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L‘ENFANT EXPLOITÉ

Dans le document L’ENFANT EXPLOITÉ (Page 59-63)

Économie et travail des enfants Claude Meillassoux I

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des réserves démographiques - donc de travail

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considérables.

L’exode rural, lent à démarrer, s’est accéléré dans le tiers-monde quand l’appropriation privée de la terre comme moyen de pro- duction contribua à chasser les familles de leurs villages. Mais aussi lorsque, après la seconde guerre-mondiale, les paysans constatèrent que, dans les villes ou dans les pays riches, leur travail, appliqué à des moyens de production plus performants, était mieux rétribué que s’il restait confin6 à une agriculture manuelle stagnante.

L’entrée dans I’économie de marché, la nécessite pressante de posséder du numéraire pour accéder aux biens les plus nécessaires comme aux plus séduisants, donc la demande d’emplois salariés, accélèrent la’ concentration urbaine. L’exode rural alimente aussi le chômage, car il dépasse partout les capacités d’emploi d’entre- prises implantées dans des villes géantes, au gré d’investisseurs le plus souvent étrangers. Séparées de la terre, les familles urbaines (hommes, femmes et enfants) constituent ainsi un prolétariat surabondant, offerts L? l’offre aléatoire du marché du travail et en demande quotidienne de subsistances.

Faute de produire eux-mêmes leur nourriture comme dans leur campagne d’origine, les travailleurs urbanisés doivent se procurer du numéraire sous forme de salaires. Les économistes classiques, même Malthus, n’appuient pas la notion de salaire sur celles de minimum vital ou de reproduction sociale qui permettraient d’ancrer la théorie sur des exigences premières. Ils raisonnent comme si << les lois de la valeur >> pouvaient agir avec les mêmes effets sur le salaire d’êtres vivants que sur le prix de marchandises inertes. Pour les néo-libéraux contemporains, -

comme pour les employeurs, _l’ouvrier n’est qu’une << ressource humaine >> (!) qui n’existe que pendant son séjour dans -

- l’entreprise et seulement par rapport à l’échange salaire

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travail qui s’y accomplit. Ce qui lui advient hors de l’entreprise n’est pas de leur ressort. Les exigences vitales, quotidiennes, biologiques de I’être humain ne sont pas prises en -considération par cette- doctrine, ce qui permet d’ignorer les effets délétères des mesures d’austérité sur la santé et la survie des êtres réifiés qui en sont les cibles1

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Car, comme l’oublient toujours lës monétaristes, le prolétaire n’est pas un fournisseur ordinaire : vendre sa marchandise, c’est-à-dire sa force de travail, est une affaire de vie ou de mort pour lui et sa famille.

En économie de marché, toute production étant destinée à l’échange pécuniaire, une division du travail s’instaure entre toutes les composantes de I’économie dont elle entretient la dépendance mutuelle. Les économistes classiques soutiennent, depuis plus de

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-I Selon les responsables du FMI, les problbmes sociaux provoqués par leur politique d’ajus- tement structurel, qu’ils pensent être strictement économiques. ressortissent d’autres ins- tances intemationales auxquelles ils n’accordent. par ailleurs. aucune attention.

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deux siècles, que cette complémentarité universelle s’accomplit (ou s’accomplira bientôt) de façon harmonieuse et naturelle et que chacun, grâce i3 elle, jouit (ou jouira) équitablement des fruits de son travail. La concurrence est présentée comme le grand régula- teur du système : les meilleurs producteurs l’emportant sur les moins bons. Cette thèse idéaliste reste hypothétique cependant, car elle ne peut tenir compte de l’effet des rapports de force que sus- cite précisément la concurrence dans les relations économiques. Or les rapports de force ont une influence décisive, dans un monde qui se réclame aujourd’hui ouvertement du capitalisme et où l’ini- tiative et les décisions sont du côté de ceux qui détiennent le capi- tal. La hiérarchie économique _s’instaure sur cette base entre les individus, entre les entreprises, entre les classes sociales et entre les nations. A l’encontre des conditions théoriques du fonctionnement

de << la libre concurrence B, celle-ci avantage durablement et de

façon cumulative les entreprises disposant du capital le plus abon- dant. Elle conduit à des concentrations qui pè lourdement sur les autres entreprises, sur les marchés et sur les vernements. Ces rapports de force sont si présents que les -Etats-Unis, dont le

<< libéralisme économique >> est la doctrine officieuse, se sont dotés d’un arsenal juridique (les lois anti-trusts) pour essayer de contrarier la pression des monopoles qui s’exercent, logiquement pourtant, dans ce type d’écónomie. Mais si les entrepreneurs capitalistes cherchent à se défendre les u p des autres contre ces pratiques (même par le truchement de I’Etat), chacun, individuel- lement, les met en oeuvre dès qu’il en a l’opportunité.

Sur le plan international, de même, les rapports de force entre États puissants et faibles sont la règle. Mais, parce que ces rapports sont réputés << non économiques D, ils sont ignorés de la doctrine néo-libérale et de ceux qui s’en inspirent. Ces forces s’exercent pourtant ouvertement. Le monde est aujourd’hui partagé entre, d’une part, les grandes puissances industrielles et financières (le G7) et, d’autre part, une multitude de nations tenues, à des degrés divers, pour politiquement secondaires: Les premières disposent de la plus grande partie du capital industriel et financier et gouvernent les instances économiques internationales publiques (FMI, BM) et privées (GATT). Les Sept Grands exercent une domination de fait, sur les plans tant politique et militaire que technologiquel. La concurrence entre les pays dits << avancés n et les autres s’exerce à partir d’un avantage historique décisif des premiers, consolidé en permanence aujourd’hui par les agences monétaristes. &es rattra- pages comme celui du Japon (aidé après guerre, par les Etats-Unis, alors soucieux d’endiguer l’URSS) ne sont pas possibles sans l’aide des premiers. Les tentatives d’indépendance économique soviétique ou indienne, susceptibles de démentir la suprématie

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Cette dépendance existe même entre les pays du G7, en particulier vis h vis des États-Unis.

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économique des grandes puissance, ont été combattues et neutrali- sées ; l’apparition des << dragons >> se révèle suscitée et aidée par des intérêts déjà établis. Les pays qui ont tenté de s’industrialiser hors de la tutelle internationale, -comme la Corée du Nord ou l’Irak, ont été détruits par la guerre. Quant à la Chine, qui dispose d’un potentiel considérable, chacun sait que son développement comme puissance -économiquement concurrente provoquerait une extrême tension mondiale. Mais son recours au FMI n’augure pas d’un véritable désir d’indépendance économique. Aujourd’hui, presque tous les pays hors G7 subissent une tutelle économique urs gouvernements, qui comptent généralement, , une créature de la BM ou du

FMI.

Le rapport de force entre ces agences -qui disposent de moyens financiers colossaux

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et les pays endettés

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dépossédés du capital - agit au bénéfice -des grandes, puissances qui dominent statutairement les

premières’. _.

La dépendance à I’égard des grandes puissances est ainsi, elle aussi, l’effet d’ajustements structurés. Les tentatives des pays dominés pour construire une économie autonome et cohérente sont non seulement entravées par la difficulté d’accumuler le capital, mais aussi condamnées et sanctionnées comme étant de type protectionniste, donc génératrices de rétorsions financières et commerciales. En même temps, des sociétés internationales

- s’assurent du contrôle mondial de certains produits, comme par exemple les semences hybrides, ou des produits pharmaceutiques de base, accroissant la dépendance technologique ou sanitaire des pays faibles.

Par un paradoxal détournement des thèses du libéralisme économique, ces rapports de force s’exercent au nom de-la restau- ration des lois dites << naturelles n de I’économie de marché. Les agences financjères internationales (FMI et BM), qui sont les ins- truments des Etats les plus puissants, invoquent les nécessités du développement pour- imposer de -grands équilibres naturels qui, contrairement à la logique libérale, ne s’établissent pas automati- quement d’eux-mêmes. De sorte que l’inexactitude de la théorie devient le prétexte 8‘ une politique interventionniste arrogante, manifestation des pressions économiques des grandes puissances sur les plus faibles.

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La misère sans précédent qu’a suscitée ce dirigisme néo-libéral dans le monde entier, depuis 1950 et plus encore depuis les années 80, laisse à penser (sauf à admettre I’échec de ces institutions et/ou l’improbable inintelligence de ses fonctionnaires) que l’objectif de cette politique n’est pas le développement. En effet, le rapport sur l’emploi de l’organisation internationale du travail pour l’année

La représentation des États est fondé sur le montant respectif des cotisations, c’est-&-dix sur

N la richesse des nations D.

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1992 montrait que le soutien des gouvernements nationaux à cer- taines branches (crédit, stimulation des échanges et des investisse- ment) avait -été plus efficace que le strict libéralisme, et-que lës politiques d’ajustement devaient être accompagnées de mesures -pour éviter la baisse du niveau de vie, des investissements-et la détérioration des équipements. I1 ajoutait que << plus que -1’abon-

- dance .d’une main-d’œuvre bon marché, c’est l’-existence d’un main-d’œuvre formée, l’investissement humain, qui sont la clé du succès > > l . Le FMI et la BM sont restés sourds à ce langage. Ce n’est donc pas sur les intentions déclarées de ces institutions qu’-il faut juger du résultat de leur interventionnisme,- mais sur les résul- tats de fait, c’est-à-dire l’abaissement permanent du prix des matières premières et de la force de travail au bénéfice des milieux industriels et financiers transnationaux. On concédera qu’elle est, à cet égard, une indéniable réussite.

Entre le coût et le prix

marché, de sa confrontation aux acheteurs. Le niveau du. prix dépend donc- de la situation conjoncturelle dominante au moment de la vente et, plus encore, des rapports de force entre acheteurs et vendeurs. Ces circonstances

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la conjoncture. comme les rap- ports de force

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sont indépendantes -de- celles qui président à- la formation du coût de cette marchandise (ce que le fournisseur doit débourser pour acquérir les ingrédients - matières premières, équipements, force de travail, etc.

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nécessaires à sa fabrication).

L’intérêt des deux parties est donc de peser sur les transactions pour altérer les prix à leur avantage, en usant de leur influence*.

Dans le système du marché, il n’y a donc pas de-relation de cause à effet entre le coût et le prix d’une même marchandise ; ils s’éta- -

blissent dans deux contextes sans rapports organiques entre eux : l’un dans l’atelier, l’autre sur le marché. Si le vendeur cherche, de son côté, à récupérer le coût de son produit, l’acheteur, de l’autre, s’emploie à en faire baisser le prix, éventuellement au dessous de son coût. L’équilibre de l’offre et de la demande, que subodorent les économistes classiques, suppose implicitement soit une absence de rapports de force, soit le souci moral,.de la part de l’acheteur, de préserver l’existence du vendeur en lui payant en échange de son produit de quoi en assurer au moins la reproduction. Mais dans la pratique, l’acheteur, qui opère dans le court terme, ne peut s’encombrer de ces généreuses considérations qui le mettraient en moins bonne posture que ses concurrents.

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Le-prix d’un bien marchand résulte, selbn la logique ¿lu -

D’après Le Monde, 25 février 1995: 5.

II existe des Bourses internationales des matières premieres dont la fonction est en principe d’harmoniser l’offre et la demande. Elles parviennent surtout h favoriser les fluctuations des cours sur lesquels se fonde la spéculation, le plus souvent aux dépens des vendeurs.

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