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L‘ENFANT EXPLOITÉ

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une histoir de l’enfant exploité

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pour effectuer un travail on ne peut plus dur, aux mines, on importait des esclaves de sexe masculin âgés de dix-huit ans en moyenne-(Stella, 1992).

En somme, si des tâches de gardiennage, de cueillette, d’éplu- chage de légumes, de menu ménage; de service d’artisan et autres activités semblables peuvent être effectuées par des enfants au- dessous de dix-douze ans, c’est seulement à partir de cet âge que l’utilisation du travail des enfants est considérée de rapport dans la plupart des secteurs d’activité. Qu’on en juge par ce dernier exemple : dans beaucoup de statuts cörporatifs de Gênes de la f i n du Moyen Age, l’obligation est faite aux membres des Arts de participer- aux funérailles de 1eurs.collègues et de leurs familiers, sauf s’il s’agit d’enfants de moins de dix ans (Casarino, 1982:

102). Dès lors, je crois que l’exploitation des enfants concerne fondamentalement la tranche d’âge dix-quinze ans, celle-ci pré- cédant l’exploitation des jeunes gens.

Une pratique vieille comme le monde, un objet historique nouveau.

Si le travail des enfants au siècle de Zola et de Dickens a attiré l’attention, la compassion et différentes interventions, pour les époques antérieures, il demeure un objet sinon complètement ignoré, en tout cas négligé par l’historiographie, connu seulement par ci par sous la forme de la ise en apprentissage ou de la mise en service. Le numéro m ographique des Annales de -

déhographie historique consacré au thème a Enfant et société >>,

contient un seul article sur le travail des enfants, portant, Justement, sur la révolution industrielle et le travail des enfants (cf. Fohlen, 1973). Toutefois, même sur le XIXe siècle, l’historien doit recou- rir aux recherches des contemporains, car la mince bibliographie existante est de peu de secours. Pour les époques antérieures, la situation est encore pire. Le numéro spécial de la revue Histoire de 1 ’éducation, consacré aux << éducations médiévales D, se penche sur I’éducation, le sentiment de l’enfance, la vie des étudiants, mais effleure seulement dans un rappel de principe le travail de l’enfant (Histoire de l’éducation, -1991). Philippe Ariès, qui s’est pourtant longuement penché sur l’enfance et à qui on doit l’inscription de l’enfance comme objet historique, a survolé le sujet. Le XIIe Congrès de la So iété des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public dont le thème était <<Les entrées dans la vie.

Initiations et apprentissages B, a recueilli des contributions sur la pédagogie, les traités d’éducation, les écoles et les universités

UNE HISTOIRE DE L‘ENFANT EXPLOITÉ

- seule faisant exception la communication de Fr Michaud- Fréjaville qui traite des contrats d’apprentissage dans l’Orléanais (Les Entrées, 1982). -

emps vue comme l’histoire de l’homme adulte au travail, a fait une place depuis deux décen- nies au travail des femmes ; l’histoire du travail des enfants reste -

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L’histoire du travail, pendant lo

- largement à faire. - _

Des apprentis apprenant,

ou des enfants et des jeunes gens travaillant ?

. Quand on pense au travail des enfants des siècles passés, on songe en premier lieu aux apprentis et à la documentation qui permet de les appréhender, les contrats d’apprentissage. Quand on dit apprenti, on pense à un jeune homme qui, pendant quelques années, suit une formation chez un maître pour devenir ensuite, et après fabrication d’un chef-d’œuvre, maître à son tour. Réalité ou imaginaire quant au << bon vieux temps >> ? I1 apparaît plutôt qÙe l’apprenti, une fois terminé son contrat apprentissage, passait généralement dans la catégorie des valet Paris, des lbvoranti à Gênes, et qu’être fils de maître-ou avoir une position économ’

solide étaient des critères- bien plus déterminants pour accéder maîtrise (Geremek,- 1968: 51 -sq.; Didier, 19 asa 1984.; 459). Qu’était alors ce qu’on

tout à quoi, et à qui servait-il ? -.

Carola Ghiara a étudié le destin des apprentis-fileurs de soie à Gènes. << Parmi les 258 garzoni recrutés entre 1461 et 1530, seu- lement 24 apparaissent dans la documentation pour les années suivantes avec un métier : 3 comme textor pannorum lane, tinctor lune ou fanerius, 21 comme fifatores sete. Parmi ces derniers,.neuf seulement contractent à leur tour des apprentis, ce -qui indique qu’ils sont devenus titulaires d’un atelier de filage, -c_’kst-à-dire magistri, à tous les sens,> (Ghiara,1991: 90). Des apprentissages donc qui ne conduisaient que très rarement à la maîtrise, amenant plus souvent au valetage dans ce même métier, ou dans un ‘autre.

L’image de l’apprenti dont le but serait d’apprendre un métier ne résiste pas à l’examen serré des contrats d’apprentissage.

Après I’étude des contrats de Dijbn (XIVe-XVe siècles), Philippe Didier constate, surpris, que << la duré

parfois varier en fonction inverse de sera par exemple d’une année chez un cha un vigneron ou de dix-huit c

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(Didier, 1976:36). Françoise -Michaud-Fréjaville fait le même constat pour l’Orléanais, où par exemple les potiers d’étain prévoient cinq à huit années d’apprentissage (Michaud-Fréjaville, 1991: 203). Même conclusion pour la Rouergue médiévale (Landes-Mallet, 1988). À Montpellier, alors que les apprentis changeurs ou orfèvres sont embauchés très majoritairement pour une durée de un à trois ans, les apprentis boulangers ou cordonniers le sont pour des périodes de quatre à huit, voire dix ans (Reyerson, 1992: 356).

Mais si le but de l’apprentissage était celui d’apprendre un métier, on devrait s’attendre à voir les jeunes aspirants se presser pour rédiger un contrat chez un maître d’une profession presti- gieuse. Or, au contraire, les catégories les plus représentées dans les contrats d’apprentissage sont les plus massifiées, le textile (laine et soie) à Gênes, la vigne dans l’Orléanais (Gatti, 1980: 18; Casarino, 1982: 9 1 ; Michaud-Fréjaville, 199 1 : 274). L’âge des apprentis pouvait varier sensiblement d’un métier à l’autre, d’une ville l’autre. Dans certains cas, comme dans la Venise des XVIIe- XVIIIe siècles, les corporations avaient fixé un âge minimum (8- 10 ans dans les cas extrêmes) et un âge maximum (18-20 ans) pour l’embauche en qualité d’apprenti. Dans les faits, le dépouil- lement -sériel des contrats d’apprentissage fait ressortir un âge moyen de 14 ans, toutes corporations confondues, pour une durée moyenne d’embauche allant de trois à six ans (Beltrami, 1954:

198). À G h e s , au XVe siècle, il s’élève à 15 ans, avec une.valeur modale de 14 ans (Casarino, 1982: 103). À Orléans, à la même époque, cette moyenne est même um peu superieure, 15 ans et demi (Michaud-Fréjaville, 1982: 193). Résultat équivalent en ce qui concerne les apprentis ouvriers en soie dans la ville de Lyon au XVIIIe siècle (Garden, 1975: 99). En général les apprentis avaient donc un âge qui les rendaient rentables au travail.

Mais- qu’était, au juste, un contrat d’apprentissage ? La formule notariale, aussi bien en latin qu’en langue vulgaire, dans les derniers siècles du Moyen Age comme à l’époque moderne, de la mer du Nord à la Méditerranée, était pratiquement la même.

Passé, en général, entre les parents (ou d’autres adultes ayant autorité parentale) et le maître, le contrat prévoyait que l’enfant allait habiter chez le maître, qui avait à charge de le loger, le nourrir, parfois le blanchir, voire le chausser, et qu’en échange il devenait son apprenti pour le servir dans son métier et <<dans toutes ses besognes licites et honnêtes D (selon la formule consacrée). Donc, substantiellement, entretien contre travail à fournir. Et la rémunération ? Eh bien, contrairement à ce qu’on

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-UNE HISTOIRE DE L‘ENFANT EXPLOITÉ 39 pourrait croire, c’est le plus souvent le maître qui est payé pour ses services : en nature (oie, chapon, agneau, céréales, etc.), .ou en espèces (Greci, 1988: 227; Didier: 238; Garden, 1975:99). Ceci jusqu’à un certain âge, à partir duquel les contrats prévoient que le maître, économisant sur l’embauche d’un valet, se doit de verser un petit salaire à l’apprenti (Michaud-Fréjaville, 1982: 206).

Car voici le nœud de l’affaire : quantité d’ordonnances et articles des statuts des corporations médiévales et modernes pré- voyaient un nombre maximum d’apprentis auxquels un maître pouvait avoir recours ; employer un apprenti à la place d’un valet ou d’un compagnon signifiait donc économiser sur le coût du travail, et en même temps disposer d’une main-d’œuvre à qui la révolte était interdite. Cette question fondamentale est illustrée par la révolte des compagnons imprimeurs de Lyon et de Paris, au cours des décennies centrales du XVIe siècle. La faculté accordée aux maîtres d’atelier d’employer autant d’apprentis qu’ils dési- raient, et aux tâches qu’ils voulaient, eut des effets dévastateurs sur l’emploi et le salaire des compagnons qui déclenchèrent grèves, assemblées, et tumultes (Hauser, 1899: 184 sq.).

Travail et famille

Qui étaient les apprentis ? I1 s’agissait tout d’abord, e n large majorité, de garçons, sauf dans certaines occupations considérées traditionnellement et << par nature >> comme féminines, telles la couture ou le filage. Une autre caractéristique essentielle est illus- trée par une phrase qu’on retrouve parfois dans les contrats d’apprentissage : le maître est tenu de traiter l’apprenti << comme.si c’était son propre fils >> (Bernardi, 1993: 71; Didier, 1984: 217).

Le contrat d’apprentissage se présente, en effet, comme le transfert à temps déterminé d’un enfant ou d’un jeune homme d’une famille à une autre. Mais très souvent, il s’agit de l’accueil dans u n e famille d’enfants sans famille. C’est ce qui ressort de I’exa- men de I’état familial des apprentis : à Orléans au XVe siècle, où les orphelins de père ou de mère représentent 60 % des apprentis ; à Gênes, ceux qui ont perdu leur père constituent 30 % des 7 O00 locations d’apprentis (Michaud-Fréjaville, 1982: 188; Casarino,

1982: 106);’

Enfants abandonnés recueillis par des institutions à vocation charitable, enfants qui avaient perdu leur père et dont la mère n’arrivait plus à subvenir à leurs besoins, ou plus simplement cadets d’une famille démunie pour qui ils étaient de trop : tel semble bien être le profil de ceux mis en apprentissage.

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Le rôle joué par les institutions charitables pour l’exploitation précoce du travail des enfants apparaît nettement -dans leurs archives, et jette la suspicion (pour employer un euphémisme) sur

. leur véritable vocation. Fondés les premiers aux XIIIe-XVe siècles, puis se multipliant à l’époque moderne, à grand renfort de dona- tions et de legs rentiers de riches paroissiens, les Hôpitaux

-- d’assistance, et plus spécialement les maisons pour enfants aban- donnés, voulaient répondre à la plaie sociale de l’abandon et de l’infanticide. Les nourrissons étaient mis en nourrice à l’extérieur ou sevrés à l’intérieur de la maison. Mais ceux (peu, très peu) qui avaient survécu à l’effrayante mortalité des premières années de vie, devenaient bientôt un poids pour I’institution-mère. Dès I’âge de six-sept ans, ils étaient donc mis en apprentissage chez des arti- sans, ou mis au travail directement par les institutions dans des manufactures crées dans ce but par les Hôpitaux eux-mêmes (Sandri, 1991: 1010; Raffaele, 1991: 928; Pollet, 1991: 902;

-Schihvoni, 1991: 1039). C’est qu’avant d’etre un problème de bonne conscience, les enfants abandonnés étaient aux yeux des

<<honnêtes gens >> et des <<âmes nobles >> un problème d’ordre public et de discipline sociale : il fallait faire en sorte que ces sans- famille ne deviennent des mendiants et des délinquants, comme il est dit en toutes lettres dans les actes de fondation de l’Hôpital de

- . Langres en 1599 (Garnier, 1955: 201) ou. de l’Hôpital de Sara- gosse en 1543 (San Vicente, 1988: 1,189). Aussi, les règlements des -maisons pour les orphelins sont strictes et mélangent discipline morale et laborieuse, comme on peut le lire par exemple dans celui des Orphelines de Sens de 1772 : << Après la prière du matin, on leur donnera à déjeuner, on les mènera ensuite à la messe autant que faire se pourra ; après la messe, on les- fera travailler toutes suivant leurs forces et leurs talents, mais--surtout à tous les ouvrages de la maison, comme- balayer les chambres et le dortoir où elles couchent, les approprier, faire le pain, la lessive, la cuisine, remuer le bled, etc

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>>. Ces orphehes,-mises au travail dès I’âge de 6-7 ans, étaient tout à fait rentables économiquement ; la comptabilité de l’institution, de 1682 à -17 1 1, montre en effet que la vente des ouvrages de broderie et de confection faitspar les jeunes filles compensait largement le coût de leur entretien (Ady, 6E4) ! Rentes et travail des assistés faisaient en sorte que, dans la comptabilité de l’Hôpital de-Dijon, du XVIe au XVIIIe siècle, les recettes dépassaient toujours les :dépenses (Bolotte, 1968: 47) ; de bon rapport économique aussi bien-que social, -les << ateliers de charité >> - qui, au XVIIe siècle, étaient surtout des filatures - . connurent Üne grande vogue au XVIIIe siècle, sous l’impulsion -d’ordonnances ro es, et ils furent étendue notamment à la voirie,

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UNE HISTOIRE DE L’ENFANT EXPLO - 41 ils employaient, outre femmes et enfants, les mendiants .valides (Bolotte, 1968: 24). La mise au travail des enfants abandonnés, des pauvres et des vagabonds, avec la construction d’établissements pour les y enfermer, contribua sûrement à la naissance de la grande manufacture concentrée de la révolution industrielle.

-. Bail à nourriture, bail en garde, et autres i< loages d’enfants.>>

I1 faut comprendre que la mise en apprentissage n’était .

qu’une des formes multiples de la mise au travail --mise en famille de certains enfants. Dans le Paris du XVIIIe siècle se développe le

<< contrat d’allouage >>. Il a les mêmes caractéristiques (âge moyen.

autour de 15 ans, durée moyenne, quatre ans), que celles du contrat d’apprentis sauf une : í l stipule l’interdiction pour l’alloué d’accéder maîtrise. Ce n’est ën fait qu’une façon pour les mafires de- contourner la législation corporative sur le nombre maximum d’apprentis en service (Kaplan, 1993: 46 I ) . II faut-rappeler ici que le << loage D de travailleurs, au Moyen Âge

oque moderne, ne concernait pas que les enfants et mais aussi les adultes. Se louer par contrat à u n artisan, un marchand ou un cultivateur, aller habiter .chez lui pendant la période convenue, était une atique très cöurante:;

mais ces locations de travailleurs adultes les, étaient d’une part, de courte durée (une saison, un ou deux ans); et de l’autre, elles étaient rémunérées, non seulement par le gîte e t le couvert (et autres fournitures en nature; parfois), mais- aussi par un salaire (Druot, 1899-1 902; Forestier, 1936- 1977).

On relève d’autres types de contrats analogues , tels le << bail à nourriture >> et le << bail en garde >? ; mais i l fautalors inverser le sens des termes : il y a d’abord mise en famille, et ensuite mise au travail. On trouve ces types de contrats dès qu’on trouve-des actes notariaux de pratique courante, c’est-à-dire dès le XIIIe siècle. Ils concernent aussi des orphelins qui sont placés par le parent survivant, un collatéral ou le tuteur, dans une famille d’accueil jusqu’à ce qu’ils aient atteint la- majorité (18-20 ans). Les diffé- rences avec les autres contrats de location d’enfants, et notamment avec le contrat d’apprentissage, tiennent -à la durée (souvent. très longue), et au fait que le preneur recevait, avec l’enfant, l’usufruit de ses héritages jusqu’à la majorité. C’était donc toujours le preneur qui était tenu de verser une certaine somme d’argent aux parents ou ayant-droit; ce qui transformait ces mises en famille en véritables mises aux enchères d’enfants (Fagniez, 1877:. 61 ; Frappier-Bigras, 1989 ; Couturier, I984 ; D-esaive, 1986).

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D’où venait le << bail à nourriture >> ? Les similitudes sont frap- pantes avec la coutume mérovingienne, telle qu’elle apparaît dans les formulaires notariaux d’Angers et de Tours : les enfants aban- donnés aux portes des églises et mo-nastères étaient vendus au plus offrant, qui les auraient gardés comme esclaves (Verlinden, 1976:

11 1). Les analogies entre les contrats établissant une dépendance familiale et laborieuse entre sujets libres, et ceux sanctionnant une dépendance servile, sont davantage nombreuses et inquiétantes.

Est-ce un hasard, par exemple, si certains statuts corporatifs du bas Moyen Âge parlent non pas de location mais bien de << vente d’apprentis >>? (Fagniez, 1877: 72 ; Geremek, 1968: 32). Et qu’était c e << droit d e fuite B, clause contenue dans les contrats d’apprentissage jusqu’au dernier siècle d.e l’Ancien- Régime, engageant le donneur d’apprenti envers le preneur à payer une amende en argent au cas l’apprenti se serait enfui de son atelier-maison et n’aurait pas été repris et ramené à son maître ? (Fagniez, 1877: 73 ; Hauser, 1899: 29 ; Forestier, 1938: 301).

Pourquoi l’apprenti fuyait-il ? Voilà un exemple provenant d’une petite ville de Bourgogne, en 1727 : << Claude Langin n’a quitté la maison de Nicolas Rolan que parce que ledit Rolan, au lieu d’apprendre son métier de cordonnier audit Langin, il ne l’employait journellement qu’à porter de la terre aux vignes, y labourer et faire toutes façons d’esté et d’hiver, qu’à servir de varlet en son cabaret et porter du vin dans les maisons, tirer du chanvre, le tillier, faire la lessive et tous les ouvrages du dedans et du dehors de sa maison, sans tenir boutique non plus que Rolan, qui ne se mesle de son métier de cordonnier, qu’il ne le traitait pas humainement, le nourrissant très mal de pain de son et d’orge, le faisant coucher durement, le maltraitant de parolles et de coups de pied et de baston >> (Ady, 15B 299).

On peut également songer à ces anime (âmes), âgées d’une dizaine d’années, du XIVe siècle Vénitien. En 1386, les autorités de Venise, émues du scrt réservé à ces enfants importés d’Albanie et vendus comme esclaves hors de la ville, bien qu’ils soient chré- tiens (ils ont une âme, contrairement aux infidèles !), interdisent leurs réexportation et décrètent leur affranchissement

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prenant effet au bout de quatre ans. Ce délai s’impose, car on considère qu’il doivent quand même travailler pendant un certain temps pour rembourser leurs propriétaires des frais engagés ; ils passent donc à un statut d’esclave à temps déterminé. Cette durée est portée à dix ans, en 1388, sur demande des maîtres : << comme ces âmes sont rustiques et rudes d’intellect >>, le terme de quatre ans est insuffisant pour rembourser leur prix (Verlinden, 1977; 674 sq.).

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Mise en service

Par le biais de Venise et de sa cousine Raguse, nous pouvons apercevoir le passage de l’esclavage perpétuel à l’esclavage à durée limitée, pour finir à la mise en service << libre >>. Le cas de Raguse, étudié par Susan Mosher Stuard (1986), illustre bien I’évolution historique et la permanence du contenu. Les contrats notariaux de cette ville montrent, en effet, que si au XIIIe siècle les bonnes familles achètent des esclaves bosniaques pour le service domestique, au XIVe siècle ce sont plutôt des contrats de travail qui sont rédigés à ces fins-: contre versement d’une certaine somme d’argent, les parents eux-mêmes mettent en service leur fille pour un certain nombre d’années (pour vingt ans, dans cer- tains cas !). A contrario, à Florence, au cours de la première moitié du XVe siècle, c’est vers l’emploi de filles de statut servile que s’opère la substitution (Klapish-Zuber, 1986). Le statut peut chan- ger, mais la population concernée par le service domestique reste substantiellement la même : des femmes, des jeunes filles, voire des fillettes.

Aussi, on peut dire que la mise en service est le pendant fémi- nin de la mise en apprentissage, avec des dénominateurs communs et des différences liées au genre, esclave ou libre, la servante, l’apprenti ou le placé sont nourris et logés chez un maître (ou une maîtresse) ; en échange de l’entretien, les unes s’occuperont plutôt des tâches de inaison, les autres des tâches d’atelier ou de boutique. La différence, liée au sexe, se retrouve à la sortie : pour les garçons, il s’agira d’avoir, si possible, appris un métier ; pour les filles, d’avoir une petite dot pour se marier, En principe, c’est bien dans ce but lié au cycle de vie que des fillettes et jeunes filles entraient en service (Klapish-ZuBer, 1986 ; Goldberg, 1992).

Comme pour l’apprentissage débouchant sur la maîtrise, le service domestique comme prélude au mariage était souvent une chimère, et la petite servante devenue adulte continuait sa vie de service dans I’état propre aux domestiques, celui de célibataire. Ce qui ne les empêchait pas, esclave ou libre, d’engendrer des enfants, fruits souvent des services sexuels requis par le maître (Livi, 1928: 218 sq. ; Gutton, 1981: 209 sq.).

Or, les enfants nés <<d’amours ancillaires >> ou, moins poéti- quement, de viols domestiques, avaient de grandes chances d’être abandonnés, reproduisant par là le cycle infernal vécu par leurs parents. Ainsi à Valence, au bas Moyen Age, 30 % des fillettes

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