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L’encastrement du marché dans les relations sociales

Dans le document Liste des Acronymes et Sigles (Page 77-80)

Chapitre 2. L’économie institutionnaliste pour cerner les relations

5. Encastrement du marché : une démarche institutionnelle pour étudier les interrelations

5.1. L’encastrement du marché dans les relations sociales

L’institutionnalisme de Karl Polanyi (1944 éd 1983) est structuré autour de notions clefs telles que le marché autorégulateur, les marchandises fictives et l’encastrement (Sobel, 2006). La notion d’encastrement est introduite par Polanyi pour l'analyse de phénomène socio -économique découlant de la séparation institutionnelle du système -économique. Il décrit comment la société moderne a développé l’utopie d’un marché autorégulé, désencastré, devenu indépendant à l’égard de toute détermination économique autre que marchande. La thèse défendue est que l'idée d'un marché autorégulateur, s'ajustant lui-même, interdisant toute fixation, toute réglementation du prix, de l’offre et de la demande, était purement utopique et fallacieuse. Dans toutes les sociétés, à l’exception des sociétés européennes du 19è qui ont cherché à réduire les relations économiques aux seules relations marchandes, l’économie reste encastrée (embedded) dans les relations sociales ou politiques (Caillé, 2007a). Autrement dit, aucune société humaine ne peut durablement exister sans qu’un système, d’un type ou d’un autre, assure une forme d’ordre dans la production, la distribution et la consommation des ressources (Polanyi, op. cit. p.121).

Pour Polanyi, l’ordre (système) économique est toujours pleinement encastré dans le social, lequel le structure et le contient (Sobel, op. cit.). Ainsi, l’économie doit être considérée comme un procès institutionnalisé, qui doit permettre d’expliquer l’évolution des rapports entre les formes économiques et l’état de la société dans le temps et dans l’espace en examinant les institutions concrètes qui structurent les économies empiriques (Plociniczak, 2006).

La notion d’encastrement puise son inspiration, chez Polanyi, dans le constat qu’aucune société n’a jamais confié au seul fonctionnement marchand, la régulation de l’ensemble du fonctionnement économique et social (Barthélemy, 2008, p.5). La tentative de soumettre le système économique au principe utopique, fallacieux de marché autorégulé, détaché, désencastré des liens et déterminismes sociaux expliquerait les cataclysmes humains et sociaux constatés dans la première moitié du 20è siècle. Le marché, comme institution, ne peut subsister de façon suivie sans anéantir la substance humaine et naturelle de la société. La séparation institutionnelle de l'économique, du social et du politique par désencastrement du

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système économique fut donc une menace et une catastrophe sociale.

Concrètement, le processus d’encastrement-désencastrement des relations économiques semble pertinent pour analyser les conséquences économiques, sociales et politiques de la libéralisation économique du système coton au Bénin. Nous montrerons comment cet changement institutionnel modifie les relations du producteur à la communauté villageoise d’appartenance, comment il modifie les relations de production et de répartition des ressources au sein des acteurs. Nous montrerons aussi comment il rend stable ou instable le fonctionnement économique, comment il modifie les processus de prise de décisions et de production, et enfin, comment il favorise ou empêche à un bien économique tel que le coton de remplir l’ensemble des fonctions qu’il assure à une communauté.

Polanyi montre que le marchand ne doit pas tout réguler. Le marchand nécessite le non-marchand, les deux déterminismes s’accompagnent et se complètent mutuellement.

Contrairement à l’utopie d’un marché généralisé, la terre, le travail et la monnaie ne sont que fictivement des marchandises18 parce que précisément elles sont au fondement des statuts sociaux et juridiques, et parce qu’à travers elles, particulièrement le travail i.e. ces êtres humains eux-mêmes dont chaque société est faite, c’est directement la capacité d’expression et de vie des êtres humains qui est en jeu et subordonnée aux lois du marché. Supposer qu’elles soient véritablement des marchandises i.e. que leur emploi et rémunération, que leur aliénation, deviennent dépendantes du seul fonctionnement marchand, c’est soumettre la continuité de la vie individuelle et sociale aux aléas du marché, à l’utopie d’un marché généralisé qui s’auto - régulerait (Barthélemy, 2008, p.5). Pour que l'homme soit prêt à s'offrir de façon permanente sur les marchés, il faut que son comportement soit déterminé par des considérations économiques principalement. Il n'est plus possible de conditionner la disponibilité du travail à un complexe de motivations sociales dont l'économie ne serait qu'un élément subsidiaire (Maucourant, 2006). Ceci implique que le gain soit un déterminant essentiel des comportements économiques. Par rapport à la terre, ce milieu naturel dans lequel chaque société existe, ou sur lequel vivent les hommes, la marchandisation serait un processus potentiellement destructeur du fond même sur lequel repose toute société (Sobel, op. cit.).

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Le terme d’encastrement a été ensuite repris à partir des années 1980-1990 par le courant de la nouvelle sociologie économique qui s’est attachée à étudier les déterminants non marchands (réseaux sociaux, appartenance culturelle, insertion politique) du fonctionnement marchand (Granovetter, 1985, p.504). La majorité des comportements est encastré dans des réseaux de relations interpersonnelles, ce qui permet de rejeter l’hypothèse de la sous ou de la sur-socialisation des actions humaines (Granovetter, op. cit.). Les relations d’encastrement sont associées à une approche de l’anthropologie substantiviste identifiée par Polanyi (op. cit, p.482). Il s’agit d’affirmer que l’action économique est toujours socialement située, ne serait-ce qu’en raison du rôle qu’y jouent les relations directes entre acteurs et généralement les réseaux d’acteurs (Orléan, 2003). La nouvelle sociologie économique complète la perspective polanyienne et lui permet de sortir de l’unilatéralisme qui la menace, en montrant comment à chaque instant la formation des rapports économiques, est rendue possible par leur encastrement dans les rapports sociaux (Barthélémy, 2008).

La formulation retenue par Polanyi, et c’est cela le plus pertinent, pose en balance les deux termes de libéralisme économique avec les jeux de concurrence autour des ressources rares et de protection sociale à travers les actions collectives. Très souvent, Polanyi parle du désencastrement de l’économique à l’égard du politique ou du social: il y a place pour une incertitude sur la notion même de relation économique, qui est pourtant bien aussi une relation sociale, et dont les formulations de Polanyi peuvent induire à penser qu’elle est par nature marchande, ce qui rejoindrait alors la pensée courante, principalement initiée par les économistes libéraux, qui assimilent purement et simplement l’économie au marché, le reste des relations qui forment la société étant d’ordre social ou politique. Ce qui leur permet d’instrumentaliser les secondes au bénéfice des premières comme on le voit dans le courant de la NEI où les institutions et les arrangements institutionnels sont envisagés seulement pour réduire les coûts d’échanges marchands (coûts de transaction) et pour rendre plus efficace l’action économique (Barthélemy, op. cit., p.6).

18 Une marchandise est considérée comme un bien produit pour être vendu, c'est-à-dire ayant un prix de marché.

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5.2. Principe du double-mouvement pour cerner le marchand et le non

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