• Aucun résultat trouvé

1. CADRE THÉORIQUE ET CONCEPTUEL

1.4 L ES COMMUNAUTÉS FERMÉES

La création des communautés fermées fait partie d’une profonde transformation sociale. Les personnes qui y vivent le justifient pour des raisons de sécurité alors que les personnes qui s’y

14

opposent affirment que cela crée des enclaves murées qui fragmentent le tissu social et économique (Blakely et Snyder, 1997). Les communautés fermées, plus communément appelées gated communities dans la littérature, désignent « des quartiers résidentiels dont l’accès est contrôlé, interdit aux non-résidents, et dans lequel l’espace collectif (rues, trottoirs, parcs, terrains de jeu...) est privatisé » (Le Goix, 2006, p. 107). En plus de la sécurisation et de la fermeture du périmètre, les communautés fermées se distinguent d’autres lotissements sécurisés par l’intégration de plusieurs services privés, les qualifiant de produit plutôt haut-de-gamme (Capron, 2012).

C’est dans la ville industrielle du 19ème siècle que commence à apparaître la séparation de classes sociales. La privatisation de ghettos dorés était une pratique commune aux personnes aisées en Europe et aux États-Unis à cette époque-là (Le Goix, 2006). Les premières communautés fermées à proprement dites datent du 19ème siècle aux États-Unis (Blakely et Snyder, 1997 ; Le Goix, 2006), lorsque les citoyen⸱ne⸱s aisé⸱e⸱s emménagent dans des lotissements sécurisés pour se distancier du reste de la population. Le fonctionnement des communautés fermées est inspiré de règlements de copropriétés dont les fondements sont européens (Le Goix, 2006). En effet, les résidences sécurisées sont majoritairement des copropriétés dans lesquelles il faut payer des charges pour la maintenance des espaces communs et pour la sécurité. La création de communautés fermées augmente graduellement aux États-Unis durant le 20ème siècle mais c’est à partir des années 1960-1970 que ces lotissements sécurisés deviennent également accessibles aux classes moyennes et non seulement aux personnes les plus fortunées (Blakely et Snyder, 1997).

Pendant les années 1980, aux États-Unis, se met en place le modèle de la famille de classe moyenne et élevée qui s’installe dans des zones périurbaines pour s’éloigner de la ville et de sa délinquance (Laverde Cabrera, 2013). C’est également à ce moment-là que ces complexes immobiliers et ces formes de vivre ensemble vont augmenter massivement dans le continent sud-américain (Prévôt Schapira, 1999).

L’étude d’Edward Blakely et Mary Gail Snyder sur les gated communities à la fin du siècle dernier est considérée comme une des recherches pionnières à grande échelle sur cette thématique, catégorisant les communautés en trois différentes formes. La première est la lifstyle community qui correspond à des résidences centrées sur les activités sportives et de loisirs telles que le golf ou un clubhouse (Blakely et Snyder, 1997). Il existe trois déclinaisons pour cette

15

première forme de communauté : les résidences pour retraité⸱e⸱s, celles destinées aux personnes activent professionnellement ainsi qu’à de jeunes familles et enfin les new town qui sont des lotissements bien plus grands comprenant des écoles, des commerces et des bureaux. La deuxième catégorie de communauté est celle de la communauté de prestige qui est basée sur le statut économique et social des résident⸱e⸱s. L’exclusion, l’aspiration du statut et la mobilité sociale ascendante sont centrales, le portail symbolisant la barrière du statut. Cependant, il n’y a pas d’infrastructure de loisir et ces résidences sont majoritairement périurbaines. La dernière catégorie correspond à la zone de sécurité. Cette fois-ci, c’est la peur de la criminalité qui motive les fortifications qui ne sont pas construites par les entreprises de développement mais par les résident⸱e⸱s mêmes. Dans la ville moderne, ce sont autant les riches comme les pauvres qui vont se barricader dans ce modèle.

Au regard de ces définitions, Chicureo, un grand complexe de communautés fermées, correspond à une combinaison des deux premières catégories. En effet, les systèmes de sécurités sont construits par les développeur⸱euse⸱s et la plupart des condominiums possèdent un espace de loisirs ou de sport. Cependant, vivre dans ce secteur est également synonyme d’un statut social élevé, au vu des prix de l’immobilier ainsi qu’à l’aspiration sociale qu’il représente. Chicureo n’est pas un simple quartier résidentiel, c’est un espace comprenant de nombreux condominiums, des centres commerciaux, des écoles, des églises, des restaurants et bien d’autres infrastructures telles que des cliniques, des centres vétérinaires, des centres esthétiques, des fitness, des libraires, etc. Cette description correspond également à la définition de new town de Blakely et Snyder.

D’autres auteur⸱e⸱s utilisent des termes comme ville archipel, morceau de ville, ville satellite,

Image 1: Chicureo vu depuis l’autoroute

16

gated cities ou ciudad vallada pour définir un tel endroit (Borsdorf et al., 2007 ; Capron, 2012 ; Souchaud et Prévôt Schapira, 2013). Dans le cas de Chicureoiv, il s’agit en effet, d’une petite ville selon le recensement de la population de 2017 avec 27’960 habitant⸱e⸱s, 8'361 logements et une superficie de 14,5 km2 (Instituto Nacional de Estadísticas de Chile, 2019). La région de Chicureo se caractérise principalement par des condominiums avec de grandes villas, quelques commerces et des terrains agricoles. Le secteur a une faible densité de population en comparaison avec la municipalité de Santiago qui a une densité neuf fois plus grande que celle de Chicureo ou en comparaison avec la commune de classe élevée de Vitacura qui est 1,5 fois plus dense (Ibid.). Sur la carte (ci-contre) il est possible d’observer 16 écoles privées, des universités, des cliniques, des autoroutes, des lagunes artificielles ainsi que de nombreux commerces. Le secteur peut subvenir à tous les besoins essentiels humains ce qui signifie que les résident⸱e⸱s n’ont pas besoin de se déplacer à la capitale pour satisfaire leurs nécessités, considérant qu’un grand centre pour bureaux est en pleine construction. Cette région n’est toutefois pas complètement fermée, ce sont seulement les lieux de résidences et espaces de loisirs qui sont muraillés. Tout le quartier de Chicureo est tout de même sous constante surveillance avec différentes agences privées de sécurité qui patrouillent et des caméras de surveillance.

Au Chili, les communautés fermées sont appelées condominios, car légalement il s’agit d’un système de copropriétés (Borsdorf et al., 2007). Même si chaque personne est propriétaire de sa parcelle, il y a un système de charges communes qui permet le paiement de la sécurité, le maintien des infrastructures et donne l’accès aux clubs de golf, aux clubs équestres, à la lagune et aux autres centres d’intérêt. Les différents condominiums correspondent cependant à différentes strates sociales. En effet, il existe des lieux comme la Hacienda de Chicureo avec des parcelles de 5’000m2 et d’autres avec des parcelles entre 400m2 et 600m2. Il existe donc une distinction sociale au sein même de cet espace exclusif.

iv Dans ce travail, j’utilise la vision que mes enquêtées ont donnée de Chicureo, celle qui est visible sur la carte ci-contre. Chicureo regroupe plusieurs sous-quartiers ou villes comme Chamisero, Lo Arcaya ou Los Ingleses qui sont considérés séparément dans le recensement de la population de 2017. Les statistiques et données mentionnées dans ce travail sont donc la somme de tous ces lieux.

17

Image 2: Carte de la région de Chicureo. Chaque petite maison rouge correspond à un condominium. Les surfaces roses correspondent à des petits centres commerciaux et les carrés jaunes symbolisent les écoles privées du secteur.

18