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Féminités néolibérales : analyse ethnographique des constructions de genre au sein des communautés fermées au Chili Mémoire

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Texte intégral

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Master

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Féminités néolibérales : analyse ethnographique des constructions de genre au sein des communautés fermées au Chili Mémoire

LOIS, Micaela Sophie

Abstract

Féminités néolibérales : analyse ethnographique des constructions de genre au sein des communautés fermées au Chili : Mémoire

LOIS, Micaela Sophie. Féminités néolibérales : analyse ethnographique des

constructions de genre au sein des communautés fermées au Chili Mémoire. Master : Univ. Genève, 2020

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:137601

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Féminités néolibérales : analyse ethnographique des constructions de genre au sein des communautés

fermées au Chili

Mémoire de Master en Études Genre Micaela Lois

Mai 2020

Sous la direction de Dre. Karine Duplan Jurée : Prof. Anne Lavanchy

Institut des Études Genre Faculté des Sciences de la Société

Université de Genève

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Résumé

Dans un contexte de néolibéralisation croissante de la société chilienne, la transformation urbaine se caractérise par un fort mouvement de périurbanisation des classes moyennes et supérieures renforçant une ségrégation sociale et raciale dont l'une des formes les plus courantes est la construction de communautés fermées. Cette recherche se concentre sur la prévalence des normes de genre à Chicureo, un complexe de communautés fermées au nord de Santiago. En effet, bien que les condominiums aient été étudiés par de nombreux⸱euses chercheur⸱euse⸱s tant sur le plan sociologique que géographique, très peu d’entre eux⸱elles se sont intéressé⸱e⸱s à la manière dont les subjectivités de genre sont construites à l'intérieur de ces murs. En utilisant une approche intersectionnelle, cette recherche analyse la façon dont les modèles de féminités sont construits au sein de Chicureo. Les modèles néolibéraux de féminités sont construits et se réaffirment par un contrôle social et une discipline des corps des femmes. Ces modèles se définissent par une réussite sociale inspirée de la doctrine catholique, en somme, l'appartenance à une famille blanche, bourgeoise et hétérosexuelle, tout en maintenant des normes genrées à travers la création de réseaux d’entraide exclusivement féminins. Étudier les normes de genre dans le contexte chilien est nécessaire car cette société est divisée entre une tradition catholique conservatrice qui maintient des modèles hétéronormatifs et l’émergence d’autres idéaux plus progressistes concernant la redéfinition de la famille, les droits des femmes et le féminisme de manière générale.

Mots clés : féminité hégémonique – néolibéralisme – communauté fermée – normes de genre – Chili

Abstract

In the context of increased neoliberalisation of Chilean society, urban transformation is characterised by a strong peri-urbanisation movement of the (upper) middle classes underlining social and racial segregation, one of the most common forms are gated communities. This research focuses on the prevalence of gendered norms in Chicureo, a complex of such communities in northern Santiago as, although condominiums have been studied by many scholars both sociologically and geographically, very few have focused on how gendered subjectivities are constructed inside these walls. Using an intersectional approach, this research analyses how models of femininities are constructed within Chicureo. Neoliberal models of femininities are for instance personified through the social control and discipline of women’s bodies. Furthermore, social success, inspired by the Catholic doctrine, is defined as the belonging to a white, bourgeois and heterosexual family while maintaining and reaffirming gendered norms by crating networks exclusively between the women. In fact, studying gendered norms in the Chilean context is necessary as this society is divided between a catholic conservative tradition which maintains heteronormative models, and emerging progressive ideals concerning the redefinition of family, women’s rights and feminism more broadly.

Key words: hegemonic femininity – neoliberalism – gated communities – gender norms – Chile

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Remerciements

Je tiens tout d’abord à remercier mes enquêtées sans qui cette recherche n’aurait pas pu être réalisée. Je leur témoigne toute ma gratitude pour la confiance qu’elles m’ont accordée, pour leur accueil chaleureux et les remercie de m’avoir ouvert les portes de leur monde.

Je voudrais aussi remercier Karine Duplan, ma directrice de mémoire, pour son incroyable suivi, les échanges et les commentaires qui m’ont poussée dans ma réflexion et permis d’écrire ce travail.

Je remercie également Anne Lavanchy d’avoir accepté d’être jurée pour ce travail.

J’aimerais tout particulièrement remercier Morgane Arrayet et ma sœur Isabelle Lois de m’avoir accompagnée tout au long de ce travail, pour leurs nombreuses relectures et de m’avoir toujours encouragée. Je souhaite aussi remercier mes parents pour leur soutien continu et leur écoute.

Ce travail n’aurait jamais pu se développer sans la présence, les échanges, le soutien et l’aide de mes proches. Je remercie chaleureusement Alex Bono, Antonia Lois, Carole Christ, Emilio Tamayo, Estelle Robert-Charrue, Heidi Baumann, Juliette Luginbuhl, Manuela Acosta, Noémie Schorer, Oriana Wilkinson et Sarah Gutierrez.

J’aimerais aussi remercier Florence Dumoulin pour sa relecture pointilleuse et ses corrections.

Finalement je voudrais remercier mes amies et ma famille au Chili qui m’ont permise d’entrer en contact avec les communautés fermées de Chicureo. Merci à Macarena, Machi Paola, Marilén, Pancho, Paulina et Titi.

Merci, Gracias.

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Table des matières

TABLE DES MATIÈRES ... 1

INTRODUCTION... 3

1. CADRE THÉORIQUE ET CONCEPTUEL ... 6

1.1LE NÉOLIBÉRALISME CHILIEN : UN NÉOLIBÉRALISME D’ÉTAT ?... 7

1.2L’AGENCEMENT DES CLASSES SOCIALES DANS LA SOCIÉTÉ CHILIENNE ... 9

1.3LE NÉOLIBÉRALISME URBAIN DE SANTIAGO ... 11

1.4LES COMMUNAUTÉS FERMÉES... 13

1.5LES MOTIVATIONS QUI POUSSENT À LAUTO-SÉGRÉGATION... 18

1.6LES COMMUNAUTÉS FERMÉES : UNE ALLIANCE ENTRE LES MUNICIPALITÉS ET LE SECTEUR PRIVÉ . 21 1.7CONTEXTUALISATION HISTORIQUE DES NORMES DE GENRE AU CHILI ... 23

1.8PROBLÉMATIQUE ET QUESTIONS DE RECHERCHE ... 27

2. MÉTHODOLOGIE ... 28

2.1LES COMMUNAUTÉS FERMÉES : UNE ENTRÉE DE TERRAIN NÉGOCIÉE ... 30

2.2LA COLLECTE DES DONNÉES : LES ENTRETIENS ET LOBSERVATION ... 35

2.3L’ANALYSE DES DONNÉES ... 38

2.4RÉFLEXIONS SUR LA POSITIONNALITÉ ... 39

2.4.1 Conscientiser les rapports de pouvoir : faire des entretiens avec les classes élevées ... 40

2.4.2 Le travail émotionnel : conscientiser les émotions et les préjugés durant l’enquête ... 43

2.5PRÉSENTATION DES DONNÉES ... 46

3. LE CORPS COMME ESPACE DE PRODUCTION DE NORMES ET DE SUBJECTIVITÉS ... 49

3.1LA DISCIPLINE DES CORPS ... 49

3.2L’APPARENCE ET LES HABITS : PORTEURS DE SIGNIFICATIONS SOCIALES ... 54

3.3CONSTRUCTION DIDENTITÉS DE CLASSE ET DE GENRE À TRAVERS LES PRATIQUES SPORTIVES ... 58

4. LA COMMUNAUTÉ FERMÉE : UN ESPACE FAMILIAL ... 62

4.1LE CONCEPT DE FAMILLE ... 62

4.2LE DISCOURS PROMOTIONNEL AUTOUR DE LA FAMILLE ... 69

4.3LA MAISON FAMILIALE ... 72

4.4NON-CONFORMITÉS : ENTRE DISCOURS ET PRATIQUES ... 73

4.4.1 L’homosexualité construite comme incompatible à la vie familiale ... 75

5. CONSTRUCTION COLLECTIVE DE FÉMINITÉS ... 77

5.1LES LIEUX ET ESPACES DE RENCONTRE ... 79

5.2WHATSAPP : VECTEUR DE CRÉATION DE RÉSEAUX GENRÉS ... 81

5.3LE CONTRÔLE SOCIAL ... 88

CONCLUSION ... 92

BIBLIOGRAPHIE ... 95

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ANNEXES ... 106

A.PLANS DE MAISONS VISITÉES ... 106

Croquis de la maison de Pilar ... 106

Plan d’une maison méditerranéenne de 158m2 dans le condominium Aguapiedra ... 108

B.GRILLE DENTRETIEN ... 109

C.LISTE DES CODES ... 112

D.TABLEAU DES PROFILS DES ENQUÊTÉES VIVANT À CHICUREO ... 113

E.RETRANSCRIPTION DUN ENTRETIEN ... 114

F.CITATIONS ORIGINALES EN ESPAGNOL ... 135

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Introduction

Au nord de Santiago du Chili, à une vingtaine de minutes en voiture, au milieu des montagnes asséchées par le soleil d’été, se trouve une oasis verdoyante : Chicureo. Des lotissements sécurisés avec de belles et spacieuses maisons sont dispersés au milieu de terrains agricoles, d’écoles privées et de petits centres commerciaux. En parcourant cette région, on peut apercevoir des terrains de golfs, des étangs et même un aérodrome. Le week-end, les routes sont envahies par des enfants et leurs parents à vélo. Les panneaux publicitaires des agences immobilières en bordure des routes affichent le slogan : « venez vivre votre vie de famille idéale à Chicureo ». En observant la qualité des routes, le type d’infrastructures et les voitures qui circulent au sein de ce périmètre, on peut se rendre compte qu’il s’agit d’un lieu privilégié. En effet, ce n’est pas toute la population chilienne qui pourrait se permettre d’y résider.

Dans un contexte de néolibéralisation croissante des sociétés latino-américaines, de profonds changements structurels et sociaux affectent les villes et capitales du continent, notamment en termes de planification urbaine et sociale (Janoschka et al., 2014). En effet, les changements urbains sont caractérisés par un fort mouvement de périurbanisation des classes moyennes et supérieures (Capron 2006; Janoschka et al., 2014; Laverde Cabrera 2013), renforçant ainsi les ségrégations sociales et raciales. L’une des formes les plus courantes de ce phénomène est l’existence de communautés fermées, des quartiers résidentiels sécurisés seulement réservés aux habitant⸱e⸱si qui y vivent. Ces constructions se distinguent par des vigiles ou concierges présent⸱e⸱s jour et nuit, surveillant l’entrée de personnes dans cette zone. Chicureo, un complexe de plusieurs communautés fermées, est le fruit de ces politiques néolibérales.

Le coup d’État mené par le général Pinochet il y a plus de 40 ans, a transformé le Chili en un modèle de changement historique de l’économie moderne (Janoschka et Hidalgo, 2014). En effet, ce pays est devenu le berceau du néolibéralisme et de son expression la plus radicale (Klein, 2007 ; Mayol, 2019). Cependant, depuis la révolte sociale d’octobre 2019, appelée el estallido social, le Chili est face à une remise en question générale du système actuel (Mayol, 2019). Comprendre les mécanismes et les différentes formes que prend le néolibéralisme ainsi que son impact sur la population est de ce fait pertinent dans le cadre actuel. Cette recherche se

i Dans ce travail, j’utilise une écriture inclusive en reliant les accords masculins et féminins par un point « ⸱ ». J’ai décidé de ne pas mobiliser la lettre « x » comme accord, habituellement utilisé pour les personnes non-binaires, car aucune personne participant à ma recherche ne s’est identifiée comme telle.

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penche sur une des expressions du néolibéralisme, c’est-à-dire la construction des identités néolibérales chiliennes quelques mois avant cette explosion sociale.

El estallido social de 2019, n’est pas la première réaction au système actuel chilien. En effet, depuis quelques années, le pays est tourmenté par plusieurs grandes manifestations et remises en questions générales (Mayol, 2019). C’est notamment le cas des mouvements féministes de 2018 qui ont critiqué la société patriarcale chilienne. Malgré ce contexte de revendications et de questionnements profonds, la société chilienne est toujours marquée par une tradition catholique et conservatrice avec des normes et représentations de genre traditionnelles et hétéronormées (Guzmán et Godoy, 2018 ; Morán Faúndes, 2013). Les restructurations néolibérales ont eu un grand impact sur toutes les dimensions de la société, notamment sur les relations de genre et de classe (Madrid, 2016). Il existe pourtant peu d’études qui s’intéressent aux enjeux de genre chez les classes élevées et qui analysent directement la perspective des personnes privilégiées ; bien que les classes dominantes jouent un rôle important dans la production de normes hégémoniques de masculinités (Ibid.) et de féminités. Dans ce contexte de polarisation de la société, il est alors intéressant d’étudier les normes de genre et la construction de subjectivités néolibérales.

Cette recherche porte sur des normes de genre à Chicureo. Bien que les condominiums aient été étudiés par de nombreux⸱euses chercheur⸱e⸱s, tant sur le plan sociologique que géographique, très peu d’entre eux⸱elles se sont intéressé⸱e⸱s à la manière dont les subjectivités genrées sont construites à l'intérieur de ces murs. En utilisant une approche intersectionnelleii, ce travail analyse la façon dont les modèles de féminités néolibérales sont produits au sein de Chicureo.

Par ce travail, je souhaite comprendre les expériences quotidiennes des populations aisées. En effet, j’envisage une approche centrée sur le vécu individuel, m’inspirant des géographes féministes qui insistent sur l’importance de la sphère privée, l’ordinaire, les aspects considérés comme routiniers et apolitique pour analyser la spatialisation des rapports de pouvoir (Ojeda et al., 2015). J’ai donc réalisé un terrain ethnographique avec des observations et j’ai mené treize entretiens avec des femmes vivant dans les communautés fermées de Chicureo ou travaillant dans cet espace. J’ai également visité plusieurs agences immobilières et récolté des brochures publicitaires dans le but d’analyser les différents discours promotionnels.

ii Le concept d’intersectionnalité a été inventé par Kimberley Crenshaw afin de visibiliser les violences vécues par les femmes noires aux États-Unis. Il permet de comprendre les expériences d’oppressions à plusieurs niveaux et de considérer la multiplicité des rapports de pouvoirs (Bilge, 2010 ; Crenshaw, 1990).

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Je commencerai ce travail par une contextualisation historique et une revue non-exhaustive de la littérature pour comprendre l’implémentation du néolibéralisme au Chili ainsi que la création et le fonctionnement des communautés fermées. Je contextualiserai également les normes de genre et sexuelles présentes dans le pays. Je terminerai ce premier chapitre avec la problématique et les questions de recherche qui ont pu être tirées des lacunes présentes dans la littérature scientifique.

Dans le deuxième chapitre, portant sur la méthodologie, j’expliquerai la perspective féministe de cette recherche, je parlerai de l’accès à mon terrain et de son déroulement puis je continuerai avec une partie réflexive sur les enjeux et rapports de pouvoir auxquels j’ai été confrontée.

L’analyse de mon corpus se fera à travers trois axes différents. Dans le chapitre trois, je montrerai comment les résidentes construisent et performent leur féminité néolibérale à travers leur corps et l’habillement. Il s’agira d’analyser les normes de beauté ainsi que le contrôle social et la discipline des corps à travers le sport notamment. Au sein du quatrième chapitre, je m’interrogerai sur le rôle que joue la famille pour les résidentes des communautés fermées et la façon qu’elles ont de la définir. Je regarderai également si l’idéal familial correspond à la réalité des résidentes. Puis, dans le cinquième chapitre j’analyserai comment ces féminités néolibérales sont maintenues et renforcées à travers la création de réseaux d’entraide genrée ainsi qu’à travers le contrôle social omniprésent au sein des communautés fermées. Je finirai ce travail par une conclusion générale où je ferai une synthèse des résultats principaux en répondant aux questions de recherche.

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1. Cadre théorique et conceptuel

Plus de quarante ans se sont écoulés depuis le coup d’État au Chili mené par le général Augusto Pinochet, soutenu et orchestré par les États-Unis (Janoschka et Hidalgo, 2014). Ce type de dictature, fréquente dans plusieurs pays d’Amérique latine, Afrique et Asie durant la guerre froide, a converti le Chili en un modèle historique de transformation de l’économie moderne (Ibid.). Ce pays est devenu la première expérimentation à grande échelle du modèle économique néolibéral qui s’est ensuite répandu sur tout le continent ainsi que dans le reste du monde (Janoschka et Hidalgo, 2014 ; Klein, 2007).

Naomi Klein définit le néolibéralisme par la politique de la trinité, c’est-à-dire « the elimination of the public sphere, total liberation for corporations and skeletal social spending » (Klein, 2007, p. 18). Le néolibéralisme est caractérisé par un retrait massif de l’action de l’État pour laisser place au libre marché, à la promotion du mouvement de capital et aux coupures des dépenses sociales. Une telle politique ne peut être implémentée que par la réduction des dépenses publiques et sociales, la privatisation massive des entreprises publiques, et la dérégulation de l’économie à travers la libéralisation du marché, soit la libéralisation des régulations des investisseurs étrangers, la dérégulation du marché du travail et l’élimination du contrôle des prix des subventions alimentaires (Cupples, 2013).

Les fondements du néolibéralisme actuels sont nés à l’École de Chicago, développés par l’économiste Milton Friedman qui, par ailleurs, conseilla le général Pinochet à de nombreuses reprises (Klein, 2007). Le coup d’État chilien du 11 septembre 1973 était accompagné par des changements politiques et économiques majeurs menés par les dénommés Chicago Boys. En effet, les ministres et conseillers économiques du général Pinochet, anciens étudiants de l’École de Chicago, attendaient impatiemment de pouvoir implémenter concrètement le modèle du libre marché jusqu’à alors seulement théorisé (Ibid.). Ainsi le néolibéralisme a été implémenté par la force dans le cône sud du continent américain. Klein explique que le néolibéralisme est souvent implémenté par un choc. Pour elle, la doctrine du choc reprend les mêmes principes que la torture mais à une échelle bien plus grande : c’est au lendemain d’une catastrophe naturelle, d’un coup d’État ou d’une attaque terroriste que le néolibéralisme s’installe. À un moment où la société est en crise et qu’il est nécessaire de la reconstruire, le néolibéralisme se présente comme la solution idéale, la plus rapide et la plus efficace (Klein, 2007).

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Le néolibéralisme, aussi nommé programme d’ajustement structurel (Cupples, 2013), va au-delà d’un simple modèle économique : il devient un processus territorialement enraciné et intrinsèquement lié à la politique (Janoschka et Hidalgo, 2014). Dans une perspective décoloniale et critique, Susan George argumente qu’il s’agit d’une stratégie inventée par le nord géopolitique pour avoir le contrôle sur le sud notamment à travers le fonctionnement des dettes (George, 2007). Le Chili est alors devenu le berceau du néolibéralisme (Janoschka et Hidalgo, 2014), symbole d’influence de la globalisation et du capitalisme poussés à l’extrême.

1.1 Le néolibéralisme chilien : un néolibéralisme d’État ?

Le noyau du néolibéralisme consiste en la libéralisation du marché et le retrait de l’État, le marché se régulant tout seul. Paradoxalement, afin de permettre l’implémentation d’une telle politique, l’État joue un rôle majeur, comme dans le cas du Chili qui est le parfait exemple de la collusion entre les autorités publiques et les investisseur⸱euse⸱s privé⸱e⸱s (Janoschka et al., 2014). C’est par l’intervention de Pinochet que ce système a d’abord été mis en place. Puis, le secteur privé a été favorisé à travers la promulgation de différentes lois dans les domaines de l’urbanisme, du commerce et du marché du travail. Pourtant, au Chili comme partout en Amérique latine, les administrations publiques ont mis en place de puissantes stratégies discursives pour couvrir leur aide aux investisseur⸱euse⸱s privé⸱e⸱s (Cattaneo Pineda, 2013).

Ainsi, la présence de l’État devient une condition de réussite du néolibéralisme chilien.

Tous les pays dans lesquels les politiques de l’école de Chicago ont été implémentées sont caractérisés par l’émergence d’une puissante alliance de grandes corporations avec une classe de politicien⸱ne⸱s aisé⸱e⸱s à travers le transfert des biens public au secteur privé (Klein, 2007). Ce système économique est en effet marqué par la privatisation massive de l’économie en particulier la santé, l’éducation et les entreprises publiques (Wormald et Ruiz-Tagle dans Espinoza et al., 2013). Ce qui est nommé ajustement structurel est en réalité un déplacement du centre de gravité de l’économie de l’État vers le marché, expliquent Vicente Espinoza et ses collègues.

Le néolibéralisme a été implémenté en plusieurs étapes par les Chicago Boys. Premièrement, il était question de réduire l’intervention de l’État pour lutter contre le déficit fiscal ainsi que d’instaurer un libre marché à travers des micropolitiques comme la privatisation et le développement de marché de capital (Janoschka et Hidalgo, 2014). Pendant la première année et

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demie du régime autoritaire, Pinochet privatise plusieurs entreprises autrefois étatiques. Il autorise de nouvelles formes d’économie spéculative et il ouvre les frontières à l’import externe, cassant de ce fait les barrières qui avaient longuement protégé la manufacture chilienne. De plus, il réduit de 10% toutes les dépenses sociales (Klein, 2007). Depuis 1974, les politiques publiques favorisent les entreprises pour qu’elles s’aventurent dans les activités économiques orientées vers le marché externe (Espinoza et al., 2013). À partir des années 1990, le Chili se caractérise par l’essor de nouvelles activités lucratives telles que la santé, l’éducation ou l’infrastructure urbaine (Janoschka et Hidalgo, 2014). « What Chile pioneered under Pinochet was an evolution of corporatism: a mutually supporting alliance between a police state and large corporations » (Klein, 2007, p. 105). Le secteur privé se voit être le plus favorisé dans ce système, changeant par là toute la structure du pays.

Ces changements radicaux n’ont pas été sans conséquences. En effet, le Chili a subi deux dépressions économiques aigües entre 1975 et 1976 puis entre 1982 et 1984 qui ont été considérées par les autorités chiliennes comme faisant partie de l’ajustement automatique d’une économie de marché (Espinoza et al., 2013). Pourtant, lors de la crise de 1982, c’était grâce à l’entreprise Codelco, la minière de cuivre la plus grande du pays, nationalisée auparavant par Salvador Allende et non privatisée durant la dictature, que le pays a pu surmonter la crise. Le Chili n’est donc pas un exemple de laboratoire d’un marché libre à 100% (Klein, 2007) : encore une fois, la présence de l’État a été nécessaire.

En plus des crises économiques, le néolibéralisme a amené de fortes inégalités sociales.

L’application dogmatique de la trinité libérale a effacé les justices sociales mises en place pendant la période gouvernementale antérieur (Espinoza et al., 2013). Les lois concernant le travail ont changé pour favoriser les employeur⸱euse⸱s et les salaires ont diminué. Le cas du Chili est souvent perçu comme un « miracle économique » du fait que l’économie et le marché ont grandi de façon significative. Mais, en réalité, c’était une guerre entre les riches, les classes moyennes et les pauvres (Klein, 2007). Klein explique qu’à la fin des années 1980 environ 45%

de la population chilienne se trouvait sous le seuil de pauvreté alors que le revenu des 10% des plus riches augmentait de 85%. Curieusement, la pauvreté et les inégalités de revenus ont augmenté en même temps que le produit économique (Espinoza et al., 2013). Même si la situation du Chili est perçue comme un miracle pour les économistes de l’école de Chicago

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« perhaps shock treatment was never really about jolting the economy into health. Perhaps it was meant to do exactly what it did – hoover wealth up to the top and shock much of middle class out of existence » (Klein, 2007, p. 105) Ainsi, dans le contexte néolibéral chilien les disparités entre les classes sociales ne font que se creuser.

Les gouvernements de la concertation, c’est-à-dire les gouvernements de centre gauche de la transition démocratique de 1990 à 2010, ont choisi de ne pas changer la structure économique instaurée par Pinochet. Seul un système d’aide sociale, qui a augmenté progressivement, a été mis en place par la démocratie (Espinoza et al., 2013). Au Chili, on parle de démocratie pactée, ce qui signifie que les représentant⸱e⸱s de la démocratie se sont plié⸱e⸱s aux règles établies par la dictature où, dans un contexte de crainte d’un retour autoritariste, la cohésion sociale et nationale constituaient les enjeux centraux. Au nom du maintien d’une stabilité politique et d’une société fondée sur le consensus, les horreurs de la dictature ont été occultées et aucun changement majeur structurel n’a osé être mis en place (Morán Faúndes, 2013 ; Urriola Pérez, 2008). Bien que le Chili ait réussi, ces dernières années, à diminuer radicalement la pauvreté (Espinoza et al., 2013), le pays est marqué par une grande inégalité en termes de distribution des richesses (Janoschka et al., 2014 ; Klein, 2007 ; OECD, 2018 ; Torche et Wormald, 2004). Les fondements du libre marché implémentés dans les années 1970 n’ont cessé de s’ancrer dans la société chilienne, créant une forte tension entre les classes sociales.

1.2 L’agencement des classes sociales dans la société chilienne

Dans ce travail, j’utilise la définition bourdieusienne de classe sociale ce qui me permet d’avoir une compréhension large, car elle ne se focalise pas uniquement sur les différences économiques et matérielles. Selon Pierre Bourdieu (1979, 1980), la constitution des classes sociales comprend un capital économique (les revenus, le patrimoine et les biens financiers), un capital culturel (les diplômes, les codes culturelles et les façons de s’exprimer) et un capital social (les réseaux de relations). Cette perspective permet de considérer le capital en deux dimensions, d’un côté le capital objectivé qui correspond aux propriétés et de l’autre côté le capital incorporé qui correspond à l’habitus, c’est-à-dire des codes et comportements propres à une certaine classe sociale (Bourdieu, 1979). C’est à travers l’hexis corporel qui est la façon de se tenir et de se comporter, que l’habitus de classe se matérialise dans le corps (Ibid.).

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La dictature amène un tel changement à la structure sociale de la société chilienne qu’elle peut être qualifié d’une rupture totale avec l’ancien système. La structure sociale devient de plus en plus hétérogène (Espinoza et al., 2013) et le schéma binaire classique entre salarié⸱e⸱s et pauvres assisté⸱e⸱s n’est donc plus d’actualité. La restructuration néolibérale creuse néanmoins la distance entre les riches et les pauvres (Madrid, 2016), tout en complexifiant les distinctions au sein des classes moyennes, qui se trouvent dans une catégorie relativement perméable (Espinoza et al., 2013). Le Chili, tout comme les pays qui l’entourent, se caractérise par une majorité de la population faisant partie du secteur populaire, une classe moyenne exiguë et une élite encore plus réduite (Ibid.). Marie-France Prévôt Schapira (1999) souligne que les classes moyennes ne sont plus caractérisées par leur métier mais principalement par leur niveau de vie, les classes sociales ne sont plus seulement déterminées par le capital économique car le capital social et le capital culturel entrent également en jeu. Les classes moyennes vont alors fréquenter des nouveaux lieux, créant leurs propres espaces tels que des clubs, des cliniques ou des commerces (Ibid.). En raison des maigres revenus des foyer chiliens, peu de personnes peuvent s’identifier à une classe moyenne stable, car il existe toujours une vulnérabilité face au chômage, la maladie ou la vieillesse (Espinoza et al., 2013), qui dans un cadre néolibéral, avec peu de politiques sociales, rendent la population très précaire.

Depuis les années 1980, la mobilité sociale est freinée au Chili ; l’ascension sociale est plutôt liée aux trajectoires individuelles et non à une transformation structurelle de la société (Espinoza et al., 2013 ; Torche et Wormald, 2004). En d’autres termes, les mobilités sociales ascendantes sont principalement individuelles, ce qui signifie qu’il est difficile de changer de classe sociale par rapport à celle de ses parents. La « lutte des classes » est alors remplacée par la lutte pour le statut social, expliquent Espinoza et ses collègues. Ainsi le lieu d’habitation, les espaces et les personnes fréquentés deviennent des éléments centraux pour se définir socialement.

Les habitant⸱e⸱s de Chicureo, ville sur laquelle porte mon analyse, se situent dans la classe moyenne supérieure et la classe élevée (Borsdorf et al., 2007). En effet, au vu de leur niveau de vie, du fait que les résident⸱e⸱s sont propriétaires et qu’ils et elles vivent dans un secteur exclusif qui est Chicureo, ces personnes ne partagent pas les mêmes vulnérabilités que l’ensemble de la classe moyenne chilienne. Malgré le fait d’être privilégiées, les personnes qui ont participé à ma

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recherche ne représentent toutefois pas l’élite du pays car elles ne font pas partie du pouvoir politique ou institutionnel (Madrid, 2016).

L’idéologie néolibérale qui est un projet politique de domination de classe (Janoschka et Hidalgo, 2014) ne demande pas seulement un contrôle politique et économique mais implique aussi la projection d'une vision et interprétation du monde. Ainsi, le succès du néolibéralisme passe par une incorporation de cette idéologie par toute la population qui la voit comme un fondement naturalisé et hégémonique inhérent à la société (Ibid.). De ce fait, le discours des opportunités égales s’est enraciné avec beaucoup de facilité dans la société chilienne, soulignant le côté méritocratique des classes moyennes et aisées (Bonilla-Silva, 2006 ; Espinoza et al., 2013).

Dans les sociétés néolibérales latino-américaines de nouvelles frontières sociales sont créées entre les riches, les pauvres et les moins pauvres au sein des zones urbaines (Borsdorf et al., 2016 ; Prévôt Schapira, 1999). De plus, depuis les années 1990 la délinquance est fortement médiatisée dans le continent, alimentant le discours de l’insécurité (Prévôt Schapira, 1999). Ceci entraîne de nouvelles formes de ségrégation autour d’une recherche constante de sécurité par les classes sociales les plus élevées. L’espace public, c’est-à-dire un espace accessible à tout le monde, comme par exemple, dans le cadre urbain, une rue, un trottoir ou un parc (Gregory et al., 2009 ; Lévy et Lussault, 2003) est donc associé à la pauvreté et la criminalité. Ceci explique le repli de la population aisée vers les espaces privés, des lieux dont les propriétaires sont des personnes physiques ou morales comme, par exemple, les communautés fermées, les magasins ou les centres de fitness. Il est important de distinguer ces deux espaces, car dans un cadre néolibéral se produit une privatisation continue de l’espace public. Dans ce travail, je prends également en compte la sphère domestique qui transcende la dimension physique de l’espace, qui est souvent associée à la féminité (Dorlin, 2008 ; McDowell et Sharp, 2014) et qui est traversée par des normes sociales et rapports de pouvoir.

1.3 Le néolibéralisme urbain de Santiago

Le développement urbain de Santiago a fortement été influencé par les logiques néolibérales notamment avec la mise sur le marché de terrains agricoles, la baisse des réglementations et la privatisation des transports et des services basiques (Casgrain, 2014 ; Janoschka et Hidalgo, 2014). Il est donc possible de qualifier Santiago de ville néolibérale où la majorité de ses

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composants urbains sont des objets de négoce et de spéculation sans contrepartie significative pour la société civile (Janoschka et Hidalgo, 2014). La première loi promulguée par le régime autoritaire qui a changé les dynamiques du développement urbain est celle de 1979 qui a abrogé le concept de « ressource rare » (Borsdorf et Hidalgo, 2008, p. 155). Elle postule que tout espace peut être ouvert aux développements urbains. Logiquement, le prix de l’immobilier devrait baisser considérablement. Cependant, dès l’entrée en vigueur de cette loi les entreprises de développement ont rapidement acheté tous les terrains disponibles avec un dessin de spéculation ce qui a augmenté les prix du marché (Borsdorf et Hidalgo, 2008).

Les lois chiliennes interdisent la division de terrains agricoles dans des unités plus petites que 5’000m2, mais avec le décret 3.516 de 1989, la construction de ces derniers a été autorisée (Borsdorf et Hidalgo, 2008). Le secteur immobilier a saisi cette occasion pour vendre de tels terrains aux strates les plus riches de la société, sous forme de parcelas de agrado, c’est-à-dire des parcelles de loisirs, construisant ainsi des villas luxueuses (Borsdorf et al., 2016). Cette loi concernait principalement les communes en dehors de la zone métropolitaine, notamment celle de Colinaiii où se situe Chicureo. Au début, les compagnies immobilières avaient principalement des associé⸱e⸱s chilien⸱ne⸱s mais cela a changé dans les années 1990 avec l’arrivée d’investisseur⸱euse⸱s étranger⸱ère⸱s des États-Unis, du Mexique et d’Espagne notamment (Borsdorf et Hidalgo, 2008). Les derniers développements urbains au Chili sont ainsi le fruit de la globalisation.

La réforme de 1997 introduit le concept de zone urbaine sous condition, c’est-à-dire que l’intensification de l’usage des sols est autorisée en échange d’une contribution du secteur privé aux infrastructures de transports (Cattaneo Pineda, 2013). Le cas de Chicureo illustre parfaitement cette logique car une autoroute privée fut construite en 2003, seulement accessible aux résident⸱e⸱s par une carte magnétique. Quelques années plus tard, cette route devient publique, ce sont donc les agences privées qui ont pris en charge l’accessibilité au quartier (Borsdorf et al., 2016 ; Cattaneo Pineda, 2013). La modification des lois en 2003 ne fait plus la différence entre les terres agricoles et les terrains urbanisables, tout terrain peut alors être envisagé comme surface constructible (Cattaneo Pineda, 2013). C’est dans ce cadre que

iii Pour plus d’informations sur la commune de Colina, lire 2.1 Les communautés fermées : une entrée de terrain négociée.

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s’intensifie le mouvement de périurbanisation, créant des espaces privés et fermés dans les communes éloignées du centre telles que Colina.

En laissant l’intensification résidentielle au secteur privé et en encourageant les projets de développement privé à grande échelle, la ville diminue son rôle de pourvoyeur d’espace public et de services publics (Kern, 2007). La privatisation de l’espace public par le secteur immobilier et la création d’enclaves de classes moyennes induit un affaiblissement de la cohésion sociale et un repli sur l’espace privé, plus particulièrement un repli au sein des condominiums. Le domaine de la sécurité devient une activité très lucrative (Pattaroni et Pedrazzini, 2010 ; Prévôt Schapira, 1999). La sécurité se transforme en un bien défini selon le revenu et l’accès aux services privés de protection (Davis dans Kern, 2007 ; Newman, 1973 ; Pattaroni et Pedrazzini, 2010). Ainsi, la sécurité est un privilège ou un choix personnel et non un enjeu des politiques publiques. L’accès à la sécurité varie alors en fonction des classes sociales.

Un autre processus de développement urbain néolibéral présent à Santiago est celui de la gentrification qui peut être défini comme la transformation du centre-ville ou d’autres quartiers considérés comme populaires en une zone résidentielle de classe moyenne ou élevée (Smith, 1987). Ce sont les classes les plus privilégiées qui investissent et prennent le contrôle de ces nouveaux lieux. Ces programmes de revitalisation urbaine sont considérés par Miriam Billig (2005) comme une transformation dans l’apparence physique et la conception des quartiers qui provoque également des changements aux sein des populations et des comportements humains.

Deux aspects sont importants. On observe d’abord une transformation matérielle du quartier, c’est-à-dire la rénovation ou la construction de nouveaux immeubles ou maisons, ce qui induit, dans un second temps, un changement de classe sociale au niveau de la population car ces nouveaux logements et infrastructures ne sont alors accessibles qu’aux personnes de classe plus élevée. En somme, avec le modèle économique néolibérale, l’État s’est presque entièrement retiré de la participation active du développement urbain, à l’exception des logements sociaux, ce qui laisse toutes les possibilités au libre marché et aux entreprises privées transformant ainsi les capitales latinoaméricaines en des villes globalisées (Borsdorf et al., 2016).

1.4 Les communautés fermées

La création des communautés fermées fait partie d’une profonde transformation sociale. Les personnes qui y vivent le justifient pour des raisons de sécurité alors que les personnes qui s’y

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opposent affirment que cela crée des enclaves murées qui fragmentent le tissu social et économique (Blakely et Snyder, 1997). Les communautés fermées, plus communément appelées gated communities dans la littérature, désignent « des quartiers résidentiels dont l’accès est contrôlé, interdit aux non-résidents, et dans lequel l’espace collectif (rues, trottoirs, parcs, terrains de jeu...) est privatisé » (Le Goix, 2006, p. 107). En plus de la sécurisation et de la fermeture du périmètre, les communautés fermées se distinguent d’autres lotissements sécurisés par l’intégration de plusieurs services privés, les qualifiant de produit plutôt haut-de-gamme (Capron, 2012).

C’est dans la ville industrielle du 19ème siècle que commence à apparaître la séparation de classes sociales. La privatisation de ghettos dorés était une pratique commune aux personnes aisées en Europe et aux États-Unis à cette époque-là (Le Goix, 2006). Les premières communautés fermées à proprement dites datent du 19ème siècle aux États-Unis (Blakely et Snyder, 1997 ; Le Goix, 2006), lorsque les citoyen⸱ne⸱s aisé⸱e⸱s emménagent dans des lotissements sécurisés pour se distancier du reste de la population. Le fonctionnement des communautés fermées est inspiré de règlements de copropriétés dont les fondements sont européens (Le Goix, 2006). En effet, les résidences sécurisées sont majoritairement des copropriétés dans lesquelles il faut payer des charges pour la maintenance des espaces communs et pour la sécurité. La création de communautés fermées augmente graduellement aux États-Unis durant le 20ème siècle mais c’est à partir des années 1960-1970 que ces lotissements sécurisés deviennent également accessibles aux classes moyennes et non seulement aux personnes les plus fortunées (Blakely et Snyder, 1997).

Pendant les années 1980, aux États-Unis, se met en place le modèle de la famille de classe moyenne et élevée qui s’installe dans des zones périurbaines pour s’éloigner de la ville et de sa délinquance (Laverde Cabrera, 2013). C’est également à ce moment-là que ces complexes immobiliers et ces formes de vivre ensemble vont augmenter massivement dans le continent sud- américain (Prévôt Schapira, 1999).

L’étude d’Edward Blakely et Mary Gail Snyder sur les gated communities à la fin du siècle dernier est considérée comme une des recherches pionnières à grande échelle sur cette thématique, catégorisant les communautés en trois différentes formes. La première est la lifstyle community qui correspond à des résidences centrées sur les activités sportives et de loisirs telles que le golf ou un clubhouse (Blakely et Snyder, 1997). Il existe trois déclinaisons pour cette

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première forme de communauté : les résidences pour retraité⸱e⸱s, celles destinées aux personnes activent professionnellement ainsi qu’à de jeunes familles et enfin les new town qui sont des lotissements bien plus grands comprenant des écoles, des commerces et des bureaux. La deuxième catégorie de communauté est celle de la communauté de prestige qui est basée sur le statut économique et social des résident⸱e⸱s. L’exclusion, l’aspiration du statut et la mobilité sociale ascendante sont centrales, le portail symbolisant la barrière du statut. Cependant, il n’y a pas d’infrastructure de loisir et ces résidences sont majoritairement périurbaines. La dernière catégorie correspond à la zone de sécurité. Cette fois-ci, c’est la peur de la criminalité qui motive les fortifications qui ne sont pas construites par les entreprises de développement mais par les résident⸱e⸱s mêmes. Dans la ville moderne, ce sont autant les riches comme les pauvres qui vont se barricader dans ce modèle.

Au regard de ces définitions, Chicureo, un grand complexe de communautés fermées, correspond à une combinaison des deux premières catégories. En effet, les systèmes de sécurités sont construits par les développeur⸱euse⸱s et la plupart des condominiums possèdent un espace de loisirs ou de sport. Cependant, vivre dans ce secteur est également synonyme d’un statut social élevé, au vu des prix de l’immobilier ainsi qu’à l’aspiration sociale qu’il représente. Chicureo n’est pas un simple quartier résidentiel, c’est un espace comprenant de nombreux condominiums, des centres commerciaux, des écoles, des églises, des restaurants et bien d’autres infrastructures telles que des cliniques, des centres vétérinaires, des centres esthétiques, des fitness, des libraires, etc. Cette description correspond également à la définition de new town de Blakely et Snyder.

D’autres auteur⸱e⸱s utilisent des termes comme ville archipel, morceau de ville, ville satellite,

Image 1: Chicureo vu depuis l’autoroute

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gated cities ou ciudad vallada pour définir un tel endroit (Borsdorf et al., 2007 ; Capron, 2012 ; Souchaud et Prévôt Schapira, 2013). Dans le cas de Chicureoiv, il s’agit en effet, d’une petite ville selon le recensement de la population de 2017 avec 27’960 habitant⸱e⸱s, 8'361 logements et une superficie de 14,5 km2 (Instituto Nacional de Estadísticas de Chile, 2019). La région de Chicureo se caractérise principalement par des condominiums avec de grandes villas, quelques commerces et des terrains agricoles. Le secteur a une faible densité de population en comparaison avec la municipalité de Santiago qui a une densité neuf fois plus grande que celle de Chicureo ou en comparaison avec la commune de classe élevée de Vitacura qui est 1,5 fois plus dense (Ibid.). Sur la carte (ci-contre) il est possible d’observer 16 écoles privées, des universités, des cliniques, des autoroutes, des lagunes artificielles ainsi que de nombreux commerces. Le secteur peut subvenir à tous les besoins essentiels humains ce qui signifie que les résident⸱e⸱s n’ont pas besoin de se déplacer à la capitale pour satisfaire leurs nécessités, considérant qu’un grand centre pour bureaux est en pleine construction. Cette région n’est toutefois pas complètement fermée, ce sont seulement les lieux de résidences et espaces de loisirs qui sont muraillés. Tout le quartier de Chicureo est tout de même sous constante surveillance avec différentes agences privées de sécurité qui patrouillent et des caméras de surveillance.

Au Chili, les communautés fermées sont appelées condominios, car légalement il s’agit d’un système de copropriétés (Borsdorf et al., 2007). Même si chaque personne est propriétaire de sa parcelle, il y a un système de charges communes qui permet le paiement de la sécurité, le maintien des infrastructures et donne l’accès aux clubs de golf, aux clubs équestres, à la lagune et aux autres centres d’intérêt. Les différents condominiums correspondent cependant à différentes strates sociales. En effet, il existe des lieux comme la Hacienda de Chicureo avec des parcelles de 5’000m2 et d’autres avec des parcelles entre 400m2 et 600m2. Il existe donc une distinction sociale au sein même de cet espace exclusif.

iv Dans ce travail, j’utilise la vision que mes enquêtées ont donnée de Chicureo, celle qui est visible sur la carte ci- contre. Chicureo regroupe plusieurs sous-quartiers ou villes comme Chamisero, Lo Arcaya ou Los Ingleses qui sont considérés séparément dans le recensement de la population de 2017. Les statistiques et données mentionnées dans ce travail sont donc la somme de tous ces lieux.

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Image 2: Carte de la région de Chicureo. Chaque petite maison rouge correspond à un condominium. Les surfaces roses correspondent à des petits centres commerciaux et les carrés jaunes symbolisent les écoles privées du secteur.

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1.5 Les motivations qui poussent à l’auto-ségrégation

Le moteur principal qui pousse à vivre au sein d’une communauté fermée est la peur de la criminalité (Blakely et Snyder, 1997 ; Capron, 2006, 2012 ; Kern, 2007 ; Laverde Cabrera, 2013). Cette peur n’est pas forcément liée au taux réel de criminalité (Pattaroni et Pedrazzini, 2010) mais représente une menace suffisante dans l’imaginaire des habitant⸱e⸱s pour se barricader derrière des grillages et des murs. Depuis la fin des années 1980, une logique d’insécurité s’installe en Amérique latine et la délinquance se présente comme un problème de société majeur (Capron, 2012). Ce sentiment d’insécurité est alimenté par les discours politiques et les médias (Pattaroni et Pedrazzini, 2010). C’est donc à travers une institutionnalisation de la culture de la peur que les agendas urbains néolibéraux ont eu un grand succès. Le marché immobilier s’adapte très rapidement en proposant une solution sécurisante pour les classes élevées, les communautés fermées.

Le bon voisinage, la qualité de vie, l’air pur, le silence et la nature font également partie des motivations qui poussent à la périurbanisation (Capron, 2006 ; Laverde Cabrera, 2013). Les bases de ce produit immobilier entrent dans un mode de vie idéalisé et mythifié : une vie reposant sur les loisirs, sur les valeurs familiales et communautaires et sur un imaginaire romantisé de l’espace rural, dénaturé et artificiel (Capron 2006; Le Goix 2006). Ce discours hygiéniste et anti-urbain (Capron, 2006) participe alors à la création d’une campagne néolibérale.

« Ces valeurs sont indicatives de l’appartenance à une communauté de happy few. Le choix de vivre dans un lieu privilégié, à l’écart de l’urbanisation, au milieu de ‘gens bien’, participe ainsi d’un mécanisme de distinction sociale qui est peut-être un des éléments moteur de la quête d’une certaine homogénéité socioculturelle » (Capron, 2012, p. 6). La qualité de vie, le statut social et l’exclusivité semblent être des éléments clés des phénomènes d’auto-ségrégation. Chicureo correspond parfaitement à ce modèle romantisé d’une vie de famille idéale. Les recherches sur les communautés fermées illustrent bien cette dynamique mais peinent à critiquer la dimension genrée et hétéronormative de ce modèle de vie. Les communautés fermées seraient alors un endroit d’expression de normes sociétales telles que l’hétérosexualité.

Dans la littérature, le concept de communauté est central pour comprendre les enjeux propres aux gated communities. Selon Blakely et Snyder, une communauté se définit par un territoire partagé, des expériences ou interactions sociales, des traditions, des structures économiques ou

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politique mais également des valeurs partagées et un but commun qui construisent l’identité de ses membres et celle de la communauté (Blakely et Snyder, 1997). Outre le sentiment d’appartenance à une communauté, celle-ci requiert également une certaine participation à sa vie sociale. Un espace de résidence privé peut aussi être définit comme un club auquel certaines personnes se voient refuser l’entrée. Renaud Le Goix argumente que la fermeture du site suppose une certaine exclusivité et forme de jouissance bourgeoise du bien, ce qui constitue l’attribut principal des communautés fermées. Ainsi « l’appartenance à la communauté signifie avant tout l’appartenance au groupe de personnes admises à jouir du bien collectif et de certains espaces

‘publics’ : rues, parcs, équipements de loisirs, etc. L’achat d’une propriété entraîne l’adhésion automatique à l’association (le club), et le propriétaire devient membre d’une gated community » (Le Goix, 2006, p. 113). Appartenir à une communauté signifie adhérer de manière plus ou moins tacite aux règlements et valeurs de la communauté fermée (Capron, 2012). De plus, le sentiment de communauté est renforcé par la fermeture du périmètre (Le Goix, 2006).

L’homogénéité sociale est une dimension importante de l’auto-ségrégation (Capron, 2012). En effet, les condominiums permettent de créer un entre soi de classe, car la plupart des résident⸱e⸱s sont présélectionné⸱e⸱s (Kern, 2007). Ainsi « plus la valeur immobilière est élevée, plus cela va contribuer à sélectionner socialement les résidents » (Le Goix, 2006, p. 133). Concernant l’homogénéité sociale, peu d’auteur⸱e⸱s ont souligné les mécanismes de ségrégation raciale qui opèrent au sein des condominiums. En effet, la création de quartiers racialement ségrégés s’inscrit tout à fait dans des logiques néolibérales qui prônent le « laisser faire », l’individualisme et la méritocratie, naturalisant de ce fait des discours et pratiques racistes (Bonilla-Silva, 2006).

Dans ce contexte-là, être propriétaire d’une maison dans un quartier racialement ségrégé devient un investissement important (Collins, 1998). C’est en partie cette double homogénéité qui renforce le sentiment de communauté.

En Amérique latine, le repli des classes supérieures dans la périphérie est motivé par une peur de la délinquance et un imaginaire de la ville comme chaotique et dangereuse. Les communautés fermées représentent des bulles qui protégeraient ses habitant⸱e⸱s des dangers réels ou imaginaires, comme les autres groupes sociaux perçus comme menaçants (Capron, 2012). En opposition à la ville décomposée et désordonnée se trouveraient les beaux quartiers périphériques organisés.

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« La frontière spatiale aurait alors pour fonction de préserver, non seulement le statut social, mais aussi l’ordre moralv. […] La défense d’un ordre moral peut renvoyer à une stratégie de distinction de classe, comprise au sens large, c’est-à-dire fondée sur l’idée de la supériorité des riches et de leur prédisposition à créer et perpétuer une éducation morale distincte des autres couches de la société » (Paugam et al., 2017, p. 15‑16).

Vivre dans des quartiers riches signifie justifier la supériorité morale des classes aisées ainsi que la pauvreté des autres à travers la méritocratie et une naturalisation de la pauvreté. Ces deux mécanismes seraient alors des explications des inégalités qui font appel à l’infériorité supposée d’un côté et à la culpabilisation des paresseux de l’autre côté (Paugam et al., 2017). C’est donc à travers ce processus d’altérisation que se légitiment des projets urbains tels que les condominiums (Kern, 2010).

Les communautés fermées adoptent des logiques d’exclusion dans lesquelles une élite s’oppose à la redistribution des richesses (Le Goix, 2006). Cette exclusion crée une enceinte dans laquelle il n’est pas possible d’interagir avec des personnes de différentes cultures, ethnies ou statuts économiques (Rafiemanzelat, 2017). Par l’accès contrôlé et restreint des communauté fermées, ces lieux affectent profondément l’espace public et la société de manière générale. En effet, cela crée « a space that contradicts the ideals of openness, heterogeneity, accessibility, and equality that helped to shape both modern public space and modern democracies » (Caldeira, 2000, p. 4).

Ces espaces semblent donc être réservés aux personnes qui craignent l’hétérogénéité sociale des quartiers urbains.

Les agences immobilières vont investir des espaces en ville ou en périphérie disputés aux classes populaires (Souchaud et Prévôt Schapira, 2013). Ces modèles de résidence créent des enclaves de personnes aisées, polarisant davantage l’espace urbain. La proximité résidentielle entre les quartiers riches et les quartiers pauvres est liée à l’emploi (du fait de la nécessité des personnes aisées d’avoir des travailleur⸱euse⸱s domestiques) mais cela ne fait que renforcer la stigmatisation et augmente la discrimination sociale par un processus de mise à distance et de fragmentation urbaine (Borsdorf et al., 2016 ; Capron, 2012). Les différents rituels d’entrée dans les communautés fermées (comme saluer et reconnaître les vigiles, montrer les papiers

v Selon Paugam et ses collègues (2017, p. 14) « L’ordre moral repose sur un consensus concernant les façons, bonnes et respectables, de se comporter ».

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Image 3: L’entrée gardée d’une des communautés fermées de Chicureo. Sur le panneau bleu il est possible de lire « Chère visite. Veuillez SVP présentez votre carte d’identité pour pouvoir entrer »

d’identités ou passer la barrière) produisent des hiérarchies entre les entrants (Capron, 2012). Ces dispositifs de contrôles symbolisent le pouvoir des forts (résident⸱e⸱s) exercé sur les faibles (les prestataires de services) qui seraient susceptibles de venir voler, explique Guénola Capron. La distinction sociale est au cœur des rapports de pouvoirs présents au sein de ces enceintes.

1.6 Les communautés fermées : une alliance entre les municipalités et le secteur privé

Les communautés fermées sont caractérisées par des associations de propriétaires. Ces associations ont un comité élu, s’occupent des services administratifs de la copropriété, organisent parfois des évènements et posent des conditions et restrictions aux propriétaires. Elles maintiennent ainsi un grand contrôle social au sein du condominium (Blakely et Snyder, 1997).

Ces nouvelles formes de gouvernances locales amènent les associations à remplacer les pouvoirs publics en favorisant les intérêts privés (Capron, 2012 ; Le Goix, 2006). L’histoire des villes latino-américaines de ces trente dernières années montre qu’il y a une forte volonté de séparatisme afin de ne pas devoir payer pour les quartiers défavorisés. Pourtant, l’autonomie des municipalités ne convient pas aux quartiers favorisés car il existe une gestion différenciée des territoires de la part des autorités locales, notamment avec la police (Capron, 2012). Les

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communautés fermées peuvent donc jouir de services privilégiés tout en appartenant à la commune, ainsi « l’idée, proprement néolibérale, selon laquelle la qualité d’un service doit être proportionnée à sa rémunération a fait son chemin et est profondément ancrée dans la mentalité des classes moyenne et supérieure» (Capron, 2012, p. 10‑11). Les gouvernements locaux sont favorables aux constructions des gated communities, car l’aménagement urbain est transféré au secteur privé (Blakely et Snyder, 1997 ; Le Goix, 2006). C’est notamment le cas avec l’autoroute qui relie Santiago à Chicureo en vingt minutes qui avait été offerte à la municipalité en 2006 (Borsdorf et al., 2007). Pourtant, lorsque l’espace public est privatisé, un changement majeur se produit dans la société et la cohésion sociale. En effet, selon Blakely et Snyder, l’espace civique représente bien plus qu’une construction politique ou juridique, « it is a manifestation of society, culture and the shared polity » (Blakely et Snyder, 1997, p. 1). La conception de société est ainsi transformée dans le contexte néolibéral de privatisation continue de l’espace public.

L’exclusion fait partie de la structure centrale des changements des villes latinoaméricaines.

Cette exclusion ne s’arrête cependant pas seulement aux motivations résidentielles mais s’étend jusqu’à l’éducation, aux loisirs, au travail, à la communication et la mobilité, c’est-à-dire à toutes les fonctions humaines (Borsdorf et al., 2007). En somme, « social and ethnic segregation, privatization of public space through gated communities, the emergence of social and economic fragments and international mobility may be seen as a result of the de-regulation policy of the state » (Borsdorf et al., 2016, p. 26).

Dans la littérature scientifique sur les communautés fermées, ce sont principalement les enjeux de classes, les inégalités sociales au niveau spatial et les rapports de pouvoir qui sont analysés. Il est donc curieux de constater que très peu de travaux traitent des questions de genre alors même que celui-ci est « une façon première de signifier les rapports de pouvoir » (Scott, 1988, p. 141).

Cela devient encore plus évident lorsque certain⸱e⸱s auteur⸱e⸱s comme Axel Borsdorf et ses collègues (2016) expliquent que les parcelas de agrados se vident durant la journée et se remplissent de personnes le soir car la plupart des personnes travaillent dans la capitale chilienne. Mais qu’en est-t-il des femmes au foyer, des travailleur⸱euse⸱s domestiques et des enfants ? Quelles places ont ces personnes dans les analyses sur les communautés fermées ?

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1.7 Contextualisation historique des normes de genre au Chili

L’intérêt de ce travail est de faire une analyse sur les communautés fermées incluant une perspective de genre, considérant que tous les aspects du monde social sont genrés (Hughes dans Sahin, 2016). De plus, faire une analyse centrée sur le genre est très pertinente dans le contexte chilien actuel. En effet, bien que le Chili soit un pays de tradition catholique et conservateur notamment concernant les normes de genre et les droits sexuels et reproductifs (Morán Faúndes, 2013), au cours des dernières années, la société est tourmentée par des questionnements autour de thématiques telles que la sexualité, la définition de la famille et les droits des femmes.

Depuis la fin du 19ème siècle et au cours du 20ème siècle, les femmes chiliennes se sont principalement organisées pour lutter pour des droits civils et politiques ainsi que pour des meilleures conditions de travail (Morán Faúndes, 2013). Les revendications des années 1980 étaient intrinsèquement liées à l’opposition au régime militaire, les femmes se sont alors mobilisées pour critiquer le gouvernement et protester contre les disparitions et les emprisonnements des opposant⸱e⸱s au régime (Morán Faúndes, 2013 ; Urriola Pérez, 2008). De plus, la dictature a retiré les droits sociaux et sexuels acquis par le passé, comme l’avortement thérapeutique qui a été pénalisé en 1989 juste avant que Pinochet ne rende le pouvoir à la démocratie (Nicholls et Cuestas, 2018). Ainsi, durant les années du régime militaire, les revendications féministes se sont unies aux luttes démocratiques, comme le montre si bien le slogan de Julieta Kirkwood et Margarita Pisano, deux grandes féministes chiliennes,

« démocratie dans le pays, à la maison et dans le lit » (Carosio, 2009). La dictature réaffirmait en effet, l’image de la femme comme mère, épouse et défenseuse de la patrie (Guzmán et Godoy, 2018).

Malgré cela, les crises économiques ont propulsé les femmes chiliennes sur le marché du travail, ceci dans le but d’une stratégie de subside familial, expliquent Virginia Guzmán et Lorena Godoy. Les femmes ont été, et sont encore particulièrement affectées par les logiques néolibérales. Dans un contexte de coupure dans les services publics et de changement des pratiques de consommations, les femmes doivent maintenir leur famille en travaillant tout en ayant la charge du foyer, des enfants et des personnes âgées (Cupples, 2013 ; Elson, 1995 ; Gómez et Jiménez, 2018 ; Ortiz Ruiz et Gonzálvez Torralbo, 2017). Ceci est lié à la division sexuelle du travail qui « a pour caractéristiques l’assignation prioritaire des hommes à la sphère

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productive et des femmes à la sphère reproductive ainsi que, simultanément, la captation par les hommes des fonctions à forte valeur sociale ajoutée » (Dorlin, 2008, p. 16). La travail du care revient alors aux femmes (Cienfuegos Illanes et al., 2017). Le care est un terme souvent utilisé dans les analyses féministes désignant « des activités spécialisées où le souci des autres est explicitement au centre » (Molinier, 2010, p. 162). De plus, Pascale Molinier souligne que dans le travail du care la dimension de service (dans le sens prêter attention à) est importante. Le travail du care peut être celui des infirmier.ère.s, aides soigant.e.s ou même l’ensemble des activités domestiques. Le care est également vu comme un « sale boulot » d’un côté car le travail est perçu comme dégoûtant par l’ensemble de la population et de l’autre côté parce que c’est une activité que tout le monde cherche « à ne pas faire » et donc à déléguer à la personne la moins bien placée dans la hiérarchie socio-professionnelle (Hughes dans Molinier, 2010). Au Chili, les familles aisées vont déléguer le travail du care à des travailleuses domestiques, souvent migrantes (Ortiz Ruiz et Gonzálvez Torralbo, 2017).

Durant la transition démocratique, toutes les thématiques considérées comme sensibles n’ont pas été discutées dispersant le silence à tous les domaines sociaux ce qui a provoqué une démobilisation et dépolitisation générale de la société chilienne (Forstenzer, 2012 ; Urriola Pérez, 2008). Ce pacte du silence a également tu les discussions sur les enjeux liés aux droits des femmes, évitant ainsi tout questionnement et conflit au sein de la société. La baisse d’action collective a engendré une fragmentation des mouvements et luttes féministes dans le pays (Urriola Pérez, 2008). Le Service National de la Femme et de l’Équité de Genrevi (SERNAMEG en espagnol) a été fondé en 1991 dans le but de coordonner et créer des politiques d’égalité et de non-discrimination de genre (Morán Faúndes, 2013). C’est même grâce aux revendications féministes que cette institution a vu le jour. Plusieurs militantes ont donc choisi la voie étatique pour faire changer le pays. Étant donné que le SERNAMEG est une institution qui dépend du gouvernement, les différents partis politiques, notamment le démocrate-chrétien, ont une influence sur les décisions prises par cette institution. José Manuel Morán Faúndes explique que c’est la raison pour laquelle les politiques proposées par le SERNAMEG depuis sa création sont

vi Le SERNAMEG s’appelait le Service National de la Femme (SERNAM) au moment de sa création, et c’est en 2016 lorsque Michelle Bachelet crée le Ministère de la Femme et de l’Équité de Genre que le Service change de nom et devient incorporé au nouveau ministère (Romero, 2016).

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