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éloignons considérablement des thématiques qui m’intéressaient, ou que ces sujets n’allaient pas être abordés par eux-mêmes. À travers des relances, des silences et une écoute active, j’ai pu suivre mes enquêtées : « suivre l’enquêté, c’est l’accompagner dans le déploiement de son récit et de ses opinions. Suivre l’enquêté, c’est s’attacher à comprendre les éléments qu’il juge pertinents pour donner du sens à une situation, interpréter des événements, formuler des attentes » (Barbot, 2012, p. 134). De cette façon, j’ai pu recueillir les discours avec les termes de mes enquêtées, sans trop intervenir avec mes propres conceptions et propos. De plus, j’ai été agréablement surprise de voir que mes enquêtées discutaient spontanément de plusieurs sujets, notamment certains liés au genre, comme les pratiques et lieux de sociabilisation et l’organisation de leur foyer. Je me suis alors rendue compte que mes intérêts de recherche correspondaient à ce dont mes enquêtées avaient envie de parler et que c’étaient des thématiques importantes pour elles. Mes questionnements ne semblaient pas en dissonance par rapport à la réalité vécue dans ces espaces-là.

Toutes mes enquêtées ont été d’accord que j’enregistre l’entretien, ce qui m’a permis de les retranscrire mots par mots, dans le but d’analyser leurs propos sans les déformer. En plus de mon téléphone portable, avec lequel je faisais les enregistrements, j’avais toujours un bloc note avec moi, car dans les méthodes ethnographiques, la tenue d’un journal de terrain est importante afin de ne pas oublier ce qu’il se passe sur le terrain (Barbot, 2012). J’y écrivais mes réflexions, mes émotions et à la suite de chaque rencontre, j’y notais mes ressentis sur l’entretien, sur comment cela s’était passé, les éléments discutés qui m’ont le plus marquée et je faisais également une brève description des lieux et de la personne. C’est dans ce journal de terrain que j’ai noté toutes mes observations ethnographiques.

L’observation est une méthode complémentaire aux entretiens, car elle permet de « donner accès à ce qui se cache, retracer l’enchaînement des actions et des interactions, ou encore saisir ce qui ne se dit pas ou ‘ce qui va sans dire’ » (Chauvin et Jounin, 2012, p. 145). Grâce aux entretiens, j’ai pu observer cinq communautés fermées de Chicureo depuis l’intérieur. En plus de cela, j’ai fait plusieurs déplacements en voiture dans la région de Chicureo, me permettant d’observer d’autres espaces de vie et de sociabilisation. Je me suis assise dans des cafés, des restaurants, au bord de la lagune de Piedra Roja (un sous-quartier de Chicureo) et dans des centres commerciaux afin d’observer ce qui se passait autour de moi. C’est ainsi que j’ai pu étudier l’espace

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géographique de Chicureo et voir quel usage en font ses habitant⸱e⸱s. De plus, j’ai aussi visité le village de Colina, un quartier nettement plus pauvre que Chicureo mais situé à proximité, dont mes enquêtées m’ont parlé, certaines évoquant plus de craintes que d’autres.

Plusieurs agences immobilières sont installées à Chicureo. Elles ont des bureaux dans cette région et proposent des visites de certains condominiums en construction et de maisons pilotes.

Je me suis approchée de trois agences immobilières, cette fois accompagnée de mon père, nous faisant passer pour des potentiel⸱le⸱s acheteur⸱euse⸱s pour avoir accès aux brochures de vente et pour pouvoir observer et entrer dans ces espaces destinés à la clientèle. Du fait de mon jeune âge, j’ai fait le choix de venir accompagnée par mon père lors de ces visites, afin de rendre l’intérêt pour l’achat d’une maison plus crédible. Les informations reçues ainsi que ces observations m’ont permis de comprendre plus en détails l’agencement des lieux de résidence et d’analyser les discours promotionnels qui y sont associés. C’est également dans ces agences immobilières que j’ai récolté des brochures publicitaires que j’ai par la suite analysées.

2.3 L’analyse des données

L’analyse des données s’est faite en plusieurs étapes. Elle a tout d’abord débuté avec la retranscription des entretiens. Pendant cette étape, j’ai commencé à écrire des mémos contenant les idées qui me venaient à l’esprit en réécoutant les enregistrements. La création de mémos permet de noter toutes les idées et bribes d’analyses lorsqu’elles nous viennent (Corbin et Strauss, 2015) pour ensuite les développer plus tard de façon abstraite. J’ai donc écrit des mémos durant les retranscriptions, les lectures répétées de mes entretiens, lors de l’écriture de mon travail et lors de discussion avec mes proches. Cette méthode m’a été utile afin d’avancer dans ma réflexion.

L’analyse de mes données s’est faite de manière inductive et déductive à la fois. J’ai, dans un premier temps, lu plusieurs fois les entretiens, en faisant ainsi une analyse verticale. Puis, je les ai comparés, en procédant à une analyse horizontale. C’est ainsi que plusieurs thématiques sont ressorties (Gaudet et Robert, 2018). Les thèmes identifiés de manière inductive ont été combinés avec les thématiques et les concepts présents dans ma grille d’entretien, cette fois de manière déductive. C’est ainsi que j’ai pu identifier trois thèmes principaux que j’ai analysés en profondeur : le corps, la famille et les réseaux de sociabilité. J’ai alors codé mes entretiens, mes

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notes ethnographiques d’observation ainsi que les images récoltées selon ces trois grands thèmes, créant également des sous-codes pour chaque thématiquexv. J’ai alors pu procéder à une analyse théorisante (Gaudet et Robert, 2018) me permettant de relier les notions importantes et gravir les échelons de l’abstraction (Corbin et Strauss, 2015). Pour le processus de codage, je me suis servie du logiciel MAXQDA qui m’a permis d’avoir toutes mes données, mémos et codes sur une même plateforme, me facilitant ainsi la tâche.

Concernant les brochures publicitaires récoltées durant mon terrain ethnographique, j’en ai fait une analyse visuelle. Il s’agit de penser aux conditions sociales et aux effets des objets visuels afin de prendre en compte les institutions et les relations économiques, sociales et politiques qui entourent les images et à travers lesquelles elles sont vues et utilisées (Rose 2007). M’inspirant des études visuelles féministes, je considère le caractère socialement construit du regard qui s’inscrit dans des rapports de pouvoir coloniaux et hétéropatriarcaux (Ballester Buigues, 2017 ; Martinez Luna, 2012 ; Pallock, 2007). Ainsi, dans ce travail, je tiens compte des différents sites de production de sens des images, tel que le site de la création et celui où elles sont vues par les audiences (Rose 2007). J’analyse de ce fait les logiques et discours des promoteur⸱euse⸱s immobilier⸱ères ainsi que celles des résidentes, clientes du marché immobilier.

2.4 Réflexions sur la positionnalité

Afin d’analyser au mieux mes données ethnographiques et suivant les logiques des savoirs situés féministes, je souhaite prendre en considération les différents rapports de pouvoir qu’il y a eu sur mon terrain. En effet, « chaque situation d’entretien engage dans une interrelation délicate la position sociale de l’un et de l’autre, de l’interviewé et de l’interviewer » (Pinçon et Pinçon-Charlot, 1991, p. 120).