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L'arbitrage entre les parties contractantes

Les conventions collectives prévoient, le plus souvent, que les conflits entre les parties contractantes sont réglées par la voie de l' arbi-trage. A cette fin, elles instituent un tribunal arbitral permanent ou ad hoc (de droit privé) ou encore se soumettent à l'arbitrage (de droit public) rendu par un office cantonal de conciliation. Nous examinons ci-dessous divers problèmes révélés par la pratique.

1. La composition du tribunal arbitral de droit privé

Les partenaires sociaux apprécient particulièrement l'arbitrage de droit privé, grâce auquel ils peuvent très librement désigner leurs juges. Parfois, ces derniers sont issus de leurs organisations (secrétaires patronaux ou syndicaux, membres actifs), de sorte que la procédure ne présente pas les traits d'un arbitrage classique, mais apparaît comme la phase ultime de la négociation collective, sous la présidence d'un tiers neutre. Une telle composition du tribunal rend la décision [male plus facilement acceptable par chacun des deux camps. Quelquefois, elle permet de confirmer, sous la forme d'une sentence, une solution à laquelle adhéreraient in petto les dirigeants patronaux et syndicaux, mais dont ils parvenaient difficilement à convaincre leurs sociétaires.

Certes, selon les art. 18 al. 1 CIA et 22, let. a et b OJF, se trouvent sujets à récusation les arbitres qui sont membres ou salariés d'une personne morale partie au litige. Toutefois, la présence d'employeurs ou de salariés membres des organisations professionnelles, au sein du tribunal arbitral, n'est pas toujours ressentie comme choquante dans les rapports collectifs de travail. En conséquence, il arrive qu'aucune des parties ne se prévale d'un tel cas de récusation.

Un autre phénomène mérite d'être signalé. Le tribunal arbitral horloger, tel que constitué en 1937, comprenait trois juges cantonaux.

Il conserva cette composition pendant de longues années. Puis l'un des

2S A TF 107 la 152 consid. 20.

26 STAEHELIN, p. 394-395, VISCHER, n. 90 et 92 ad art. 357a CO; voir aussi [' ATF du 9 février 1977, consid. 3, non publié, ci~ par VISCHER, de meme qu'un autre ATF du 27 janvier 1989, con,id. 2, non publié.

arbitres devint juge fédéral. Les deux autres furent alors remplacés par des magistrats du même rang. Les procédures devinrent plus forma-listes et, par conséquent, plus longues. Bien que le tribunal arbitral horloger y gagnât en prestige, les partenaires sociaux ont décidé, en 1996, de revenir à l'ancien système. Sous l'empire de la convention actuelle, les membres du tribunal arbitral horloger sont tous des juges cantonaux.

2. Les mesures provisionnelles

Le syndicat lié par une convention collective s'apprête-t-il à déclencher ou déc1enche-t-il une grève, la question surgit de savoir si cette mesure de combat est licite en regard des obligations contractées.

La réponse ne fait souvent guère de doute, surtout quand la convention prévoit une obligation de paix absolue (art. 357a al. 2 CO). Comme il est en général impossible d'obtenir que le tribunal arbitral tranche sans délai le fond du litige, la partie patronale souhaite souvent, dans une telle hypothèse, obtenir à titre provisionnel l'interdiction de la grève projetée ou commencée.

Selon l'art. 26 CIA, les autorités judiciaires ordinaires sont seu1es compétentes pour ordonner des mesures provisionnelles; toutefois, le tribunal arbitral a la facu1té de proposer de telles mesures, auxquelles les parties peuvent se soumettre volontairement27. il suit que, pour obtenir une décision qui lie son destinataire, la partie intéressée doit solliciter les tribunaux civils et non pas les arbitres désignés confor-mément à la convention collective.

Cette situation présente des inconvéuients. En effet, se bornant à un examen prima facie du dossier, le juge civil répugne en général à intervenir dans un conflit qui déborde l'arène judiciaire, même si, à première vue, l'infraction est manifeste.

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ne peut d'ailleurs pas toujours se représenter d'une façon suffisamment complète le fond du différend, pour mesurer l'utilité et l'impact prévisible de la mesure sollicitée. D'ailleurs, supposé que la juridiction civile ordonne des mesures provisionnelles tendant, par exemple, à la suspension d'une grève en cours, le syndicat risque fort de n'y pas donner suite, en considérant somme seul légitime le tribunal arbitral à la composition duquel il a participé; on a pu observer ce phénomène dans un conflit intéressant l'imprimerie28.

Ainsi il aurait mieux valu que les tribunaux arbitraux se voient reconnaître la compétence d'ordonner des mesures provisionnelles dans 27 JOLIDON, p. 381 ss.

28 Une ordonnance dans ce sens fut ignorée par le syndicat lors d'un conf1jt dans l'imprimerie: cf. d&ision du Richterarnt ID Bern, du 18 avril 1977, cirte in AUBERT, L'obligation, p. 258.

le domaine des conflits collectifs de travail. Le concordat, qui a été conçu au premier cbef pour les litiges commerciaux, ne paraît pas répondre, ici, aux besoins de la pratique.

3. L'arbitrage des conflits d'intérêts

Sont dits «de droit» les conflits portant sur l'interprétation ou l'application d'une norme juridique. Sont dits, au contraire, «d'intérêts»

les conflits relatifs à la création d'une norme nouvelle. Les conflits d'intérêts ne sont pas résolus à la lumière d'une disposition préexistante, mais trancbés selon les règles de l'équité29.

On a parfois tendance à présenter la Suisse comme la terre d'élec-tion de l'arbitrage des conflits d'intérêts. A vrai dire, les convend'élec-tions de l'industrie borlogère, du 15 mai 1937, puis de l'industrie des machines, du 17 juillet 1937, prévoyaient un arbitrage de cette nature. Force est de reconnalùe, cependant, que ces conventions, quelle que soit l'impor-tance des brancbes considérées (notamment du point de vue des exportations), ne couvrent qu'une petite minorité de la main-d'oeuvre.

D'ailleurs, la convention de l'horlogerie a abandonné, en 1996, l'arbitrage obligatoire des conflits d'intérêts (soit, dans cette branche, ceux portant sur les augmentations générales des salaires); désormais, l'arbitrage de tels conflits ne peut intervenir que selon entente ad hoc entre les parties. En revanche, la convention de l'industrie des machines a maintenu l'arbitrage obligatoire de certains conflits d'intérêts, soit ceux relatifs à la fixation des salaires, ainsi que ceux ayant pour objet la rédaction des plans sociaux. Dans les autres branches, les conventions collectives ne prévoient que très rarement l'arbitrage des conflits d'intérêts, mais les parties y recourent parfois de cas en cas30.

En d'autres termes, l'arbitrage obligatoire et institutionnalisé des conflits d'intérêts ne subsiste, en Suisse, que dans une seule convention collective d'importance nationale, ce qui est relativement peu. En Allemagne, au contraire, l'arbitrage des conflits d'intérêts joue sans doute un rôle plus important, puisqu'il s'étend obligatoirement aux litiges portant sur les règles à prévoir dans un plan social à l'occasion de licenciements collectifs.

29 VISCHER, n. 80 ad art. 357a CO.

30 Cf. par exemple deux sentences non publiées de l'Office genevois de conciliation, fIxant en équilé la durée du travail dans le gros-oeuvre, le 3 mai 1982 et le salaire minimum du personnel non qualifié dans les hÔtels. restaurants et cafés, le 14 mars 1989.

4. Les effets normatifs de la sentence arbitrale

Lorsqu'elle fixe les droits des salariés dans le cadre des rapports individuels de travail (par exemple la rémunération ou les indemnités de licenciement), la sentence arbitrale déploie un effet normatif: elle s'applique directement et impérativement, comme une convention collective, à tous les employeurs et travailleurs de la branche apparte-nant aux organisations professionnelles qui sont parties à la procédure.

C'est dire que les travailleurs membres d'un syndicat demandeur ou défendeur peuvent invoquer la sentence dans le cadre des rapports individuels de travail comme s'il s'agissait d'une disposition impérative d'une convention collective31 .

Dans l'industrie des machines se présentent souvent comme parties à la procédure d'arbitrage, du côté des travailleurs, non seulement un ou plusieurs syndicats, mais aussi une commission du personnel, désignée par l'ensemble des travailleurs de l'entreprise. Un tel cas de figure soulève de multiples questions. Nous n'en examinerons qu'une: celle de savoir si l'effet normatif de la sentence s'applique à tous les travailleurs, soit non seulement les membres du syndicat, mais aussi les dissidents.

Cette question appelle à notre avis une réponse négative. L'effet normatif de la sentence repose sur la convention (collective) en vertu de laquelle le tribunal arbitral a été constitué. Une telle convention ne déploie des effets directs et impératifs qu'au bénéfice des travailleurs liés, c'est-à-dire membres des syndicats contractants32. La sentence ne saurait créer, à la charge des employeurs, des obligations que la convention collective demeurerait inapte à leur imposer. Il suit que les sentences arbitrales de l'industrie des machines ne déploient pas d'effet normatif dans le cadre des contrats individuels de travail conclus par les employeurs avec des travailleurs non syndiqués.

5. Vers une juridiction étatique spécialisée ?

En dépit des problèmes examinés ci-dessus, l'arbitrage des conflits collectifs de travail entre les parties contractantes donne satisfaction, si bien que les législateurs cantonaux ne se sont guère souciés d'offrir aux organisations patronales et syndicales une voie de droit étatique qui leur permette de liquider leurs litiges dans des conditions plus satisfaisantes que celles de la procédure ordinaire.

Il existe depuis peu une exception. A Genève, le Grand Conseil a institué en 1999 une Chambre des relations collectives de travail, composée de quatre juges laïcs (deux employeurs et deux salariés) et

31 BERENSTEIN, p. 63.

32 ATF 123 ID 129 consid. 3.

d'un président qui revêt la qualité de magistrat. Une telle composition, identique à celle de la Chambre d'appel de la juridiction des prud'hommes, n'est pas sans ressemblance avec celle des tribunaux arbitraux. Cette Chambre est désormais la juridiction de droit commun pour connaître de tout litige relatif à l'interprétation ou à l'application d'une convention collective de travail, lorsqu'elle est saisie par les parties contractantes ou l'une d'entre elles. Elle est également compé-tente pour trancher tout litige qui lui est soumis par une organisation professionnelle possédant la qualité pour agir, si le différend concerne les rapports de travail (par exemple les actions en constatation de droit prévues par la loi fédérale sur l'égalité ou sur la participation).

A noter que cette même Chambre, d'accord entre les parties, peut siéger comme tribunal arbitral public. Dans un tel cas, les voies de recours contre sa décision sont plus restreintes que si elle se prononce comme instance judiciaire de droit commun33.

B. L'exécution commune