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Conditions d'existence de la clause

L'existence d'une prohibition de concurrence porte véritablement atteinte à la liberté économique du travailleur, puisqu'elle l'empêche d'exercer l'activité professionnelle de son choix66; c'est pourquoi, le législateur a subordonné son existence à une série de conditions67.

Celles-ci concernent d'une part la validité de la clause et, d'autre part, son extinction. Les conditions de validité peuvent se classer en condi-tions absolues et relatives.

6S A TF 117

n

72 consid. 4a; REHBINDER. Gegenstand und Voraussetzungen. op. cit.

note 4. p. 285 s.

66 Dans ce sens, Frank VISCHER, Traité de droit privé suisse, vol. VU tome 112, p. 167 s.

67 BoHNY. op. cit. note 39, p. 83; REHBINDER. Gegenstand und Voraussetzungen, op. cit. note 4. p. 286.

.•

1. Conditions de validité absolues

Les conditions sont dites absolues lorsque leur absence entraîne la nullité de la clause68. Elles sont au nombre de trois.

l' Seule une personne ayant l'exercice des droits civils peut s'engager valablement. Une personne mineure ou interdite ne peut se lier, même avec l'accord de son représentant légal (art. 12 ss CC)69.

Quant aux apprentis, qu'ils soient mineurs ou majeurs, ils ne peuvent jamais être soumis à une clause d'interdiction de concur-rence (art. 344a al. 4 CO). La clause étant nulle dès le départ, elle le reste, même à la majorité du travailleur ou à la fin de l'apprentissage 70.

2' La clause doit être conclue par écrit (art. 12 ss CO). En principe, seul le travailleur doit la signer, car il s'agit d'un engagement uni-latéral. Toutefois, si l'employeur s'engage à une contre-prestation, par exemple au versement d'une indemnité, alors celui-ci doit également signer la clause, car il se crée alors un rapport d'obligations réciproques71 .

3' Enfm, il faut, selon l'article 340 al. 2 CO, que les rapports de travail permettent au travailleur a) d'avoir connaissance de la clientèle ou de secrets defabrication ou d'affaires de l'employeur et b) que l'utilisation de ces renseignements soit de nature à causer à l'employeur un préjudice sensible. Cette dernière condition, qui en fait est double, pose des problèmes délicats.

a) La notion de secrets de fabrication et d'affaires est la même que celle existant à l'article 321a al. 4

con,

sous réserve des secrets liés à la sphère personnelle de l'employeur et de ses collaborateurs. Ceux-ci sont protégés par l'article 321a al. 4 CO, mais ne sont évidemment pas touchés par la clause d'interdiction de concurrence, puisque, par définition, ils ne concernent pas l'activité professionnelle73.

La clientèle visée par l'article 340 al. 2 CO comprend toutes les personnes qui font régulièrement des commandes, sans qu'il existe forcément entre elles et l'entreprise des liens étroits et

68 BOHNY, op. cit. note 39, p. 84; TERCIER, op. cit. note 20, p. 365 n' 2968.

69 TERcIER, op. cit. note 20, p. 365 n' 2969.

70 SnŒ!FP!vON KAENEL, op. cit. note 12, p.430; TEROER, op. cit. note 20, p. 365 n' 2970.

71 REHBINDER, Gegensland und Voraussetzungen, op. cit. note 4, p. 290; VISCHER, op. cit. note 66, p. 168.

n

ENGEL, op. cit. note 6, p. 362.

73 REHBINDER, Gegenstand und Voraussetzungen, op. cit. note 4, p.293; STIŒ!FFlvoN KAENEL, op. cit. note 12, p. 437 .

'---durables. il peut du reste s'agir de la clientèle constituée par le travailleur lui-même74. Seule la clientèle existante est visée, non pas la clientèle potentielle75. Peu importe que la clientèle ait ou non un caractère secret pour la validité de la clause d'inter-diction de concurrence76. Si les rapports entre le travailleur et la clientèle ont un caractère personnel, fondé sur sa compétence, alors sa connaissance n'est pas propre à causer un préjudice potentiel à l'employeur, qui ne peut donc imposer une clause d'interdiction de concurrence77. Le principe est clair, son appli-cation plus obscure78 • Ainsi, la jurisprudence a considéré qu'il existait des liens personnels avec la clientèle pour les médecins, les avocats et les pharmaciens79, mais non pour les expert-comptables80 ou les ingéuieurs-conseils81 . Quant aux coiffeurs, les décisions cantonales varient: tantôt le tribunal considère que leur rapport avec la clientèle dépend uniquement de leurs propres compétences et que, partant, les employés ne peuvent être liés par une clause d'interdiction de concurrence; tantôt ces compétences ne sont pas considérées comme prédominantes et la clause est jugée valable82 .

La connaissance des secrets ou de la clientèle par le travailleur peut être purement passive83 .

b) Enfin, l'activité concurrente doit être de nature à causer à l'employeur un préjudice sensible. Le préjudice n'a pas besoin d'être effectif, il suffit qu'il soit probable84• il doit exister un lien de causalité entre l'utilisation des secrets et le préjudice85 .

74 TERCIER, op. cit. note 20, p. 365 n' 2974; VISCHER, op. cit. note 66, p. 169.

75 RElmINDER, Gegenstand und Voraussetzungen, op. cit. note 4, p. 291; VISCHER, op. cit. note 66, p. 169.

76 Philippe Pmoux, La prohibition de concurrence dans le contrat de travail, thèse Lausanne 1969, p. 25, qui lui-meme critique ce fait.

77 TERCIER, op. cit. note 20, p. 365 n' 2975.

78 BoRNY, op. cit. note 39, p. 95 s.; STREIFF/VDN KAENEL, op. cit. note 12, p. 433.

79 ATF 56 II 439 consid. 2.

80 ATF 78 II 39 consid. 1.

81 JAR 1984239.

82 PIDoux, op. cit. note 76, p. 31 5.; REHBINDER, Gegenstand und Voraussetzungen, op. cit. note 4, p. 296 et note 60.

83 REHBINDER, Gegenstand und Voraussetzungen, op. cit. note 4, p. 294.

84 ATF 91 II 372 consid. 7 p. 380; BOHNY, op. cit. note 39, p. 109; ENGEL, op. cit.

note 6, p. 362.

85 BoRNY, op. cit. note 39, p. 108; REHBINDER, Gegenstand und Voraussetzungen, op. cit. note 4, p. 295.

2. Conditions de validité relatives

Ces conditions, également au nombre de trois, figurent à l'article 340a al. l CO. Elles tendent à limiter la portée de la clause d' inter-diction de concurrence. Leur caractère relatif provient du fait qu'une clause ne les prévoyant pas n'est pas nulle, mais réductible par le juge, conformément à l'article 340a al. 2 CO. Ainsi, le juge remplacera ou complétera la clause ne respectant pas les conditions de l'art. 340a al. 1 CO, en tenant compte de l'avenir économique du travailleur86.

Les trois limitations à l'interdiction de faire concurrence portent sur (art. 340a al. ICa):

IOle genre d'affaires: la clause doit décrire le domaine économique réservé;

20 la durée de l'interdiction, qui ne peut excéder trois ans, sauf circonstances particulières;

3' l'étendue géographique de l'interdiction; celle-ci varie selon le genre d' affaires87.

Ces trois limitations sont souvent appréciées ensemble: plus le genre d'affaires est délimité étroitement dans l'espace, plus la durée de l'interdiction peut être longue88.

Dans certains cas, une clause de prohibition de concurrence, même munie de ces restrictions, compromet véritablement l'avenir écono-mique du travailleur. Par exemple une interdiction de travailler dans la chimie à Bâle89Dans de tels cas, le juge peut imposer, si ce n'est pas déjà prévu dans la clause elle-même, le versement d'une indemnité au travailleur, afin de tempérer la rigueur de l'interdiction (art. 340a al. 2 CO)9O.

3. Causes d'extinction extraordinaires

La prohibition s'éteint à l'expiration du délai pour lequel elle a été prévue, mais également dans trois autres situations, envisagées à l'article 340c CO.

10 Si l'employeur n'a plus d'intérêt réel au milintien de la clause d'interdiction de concurrence. Tel est le cas lorsque l'employeur change son domaine d'activité ou que ses secrets de production ou

86 FF 1967 il 410.

87 Pour plus de ~tails sur ces trois conditions, cf. REHBINDER, Schranken und Wegfall des Konkurreozverbots im Arbeitsrecbt, ArbR 1989, p. 87 SS, 88 à 90.

88 ENGEL. op. cit. note 6, p. 363; l'IDOUX. op. cit. note 76. p. 46.

89 VISCHER. op. cit. note 66, p. 171.

90 REHBlNDER. Schranken und Wegfall. op. cit. note 87. p. 92; S11ŒIFFIVON KAENa.

op. cit. note 12. p.441.

d'affaires deviennent connus91 . Il appartient alors au travailleur d'en faire la preuve, le cas échéant, par une action en constatation de droit92.

2' Si l'employeur résilie le contrat sans motif justifié. Le motif justifié de l'article 340c CO est plus large que la notion de justes motifs prévue à l'article 337 CO. Il s'agit de toute circonstance qui, pour un employeur honnête, pondéré et juste ne permet pas de pour-suivre les rapports de service avec le travailleur93. Quelques auteurs considèrent que si l'employeur n'indique pas les motifs au travail-leur qui les lui demande, il est présumé ne pas avoir de motif justifié94.

3' Si le travailleur résilie pour un motif justifié imputable à /' employeur. Tel est le cas si le travailleur a des raisons de quitter son emploi, même si les conditions d'une résiliation immédiate ne sont pas forcément réunies (par exemple, une rémunération infé-rieure à la moyenne, une pression pour accepter des conditions de travail défavorables, un climat de travail pénible)95. Le Tribunal fédéra! semble admettre assez difficilement cette condition, dès lors qu'il a considéré qu'une violation de l'article 328 CO par l'employeur n'impliquait pas forcément la cessation de la clause, en cas de résiliation du contrat par le travailleur%.

Si la résiliation est imputable aux deux parties, la clause d'inter-diction de concurrence est en général maintenue, mais sa portée peut être réduite97 .

III. Synthèse

De cet aperçu, il ressort que le système légal suisse concernant les activités concurrentes du travailleur est double. D'une part, la

législa-91 BOHNY, op. cit. note 39, p. 137.

92 ENGEL, op. cit. note 6, p. 365; TERClER, op. cit. note 20, p. 368 n' 2997.

93 ENGEL, op. ciL note 6, p. 365; RElmINDER, Schranken und Wegfall, op. cit. note 87, p.98 s.

94 RElmlNDER, Schranken und Wegfall, op. cit, note 87, p.89; VISCHER, op. cit.

note 66, p. 173; contra: STRElFF/vON KAENEL, op. cit. note 12, p. 451 S.

95 RElmlNDER, Schranken und Wegfall, op. cit. note 87, p. 100; STRElFF/vON KAENEL, op. cit. note 12, p. 453 s.

% TI s'agit d'un cas où l'employeur avait retiré au travailleur ses responsabilités dans le cadre d'une restructuration, tout en maintenant ses conditions de travail. Celui..:i avait été mis devant le fait accompli à son retour dans l'entreprise, ap~s un séjour à l'hôpital (ATF 110 Il 172 consid. 20).

97 ATF 105 Il 200 consid. 3 et 6; ENGEL, op. cit. note 6, p. 366; BoHNY, op. cit.

note 39, p. 143.

tion contient une série de restrictions, applicables d'office, qui ont en fait pour objectif d'assurer que le comportement du travailleur à l'égard de son ancien employeur va s'exercer conformément à la bonne foi. Parallèlement à ce système, le législateur autorise la création de clauses d'interdiction de concurrence qui, pour leur part, visent à limi-ter l'activité concurrente que pourrait exercer le travailleur en toute légalité et en toute loyauté. Si l'on tient compte du but d'une clause de prohibition de concurrence, on comprend le souci de protection du législateur et les conditions strictes qu'il a posées à sa validité. En effet, dès que le travailleur adopte un comportement déloyal à l'égard de son ancien employeur, par exemple qu'il viole un secret d'affaires, alors il enfreint d'autres dispositions et peut être poursuivi, indépendamment de l'existence d'une clause de prohibition de concurrence.

Pour que la clause d'interdiction de concurrence conserve son inté-rêt, les objectifs qu'elle poursuit doivent être clairement maintenus. Il convient d'une part de ne pas limiter cette clause à des comportements qui sont de toute façon déjà interdits en vertu d'autres dispositions98.

Nous ne pouvons donc souscrire à l'avis selon lequel la prohibition de concurrence ne concerne que les activités dans lesquelles le travailleur utilise de façon active des secrets d'affaires ou de fabrication99. D'autre part, il faut également prendre soin de ne pas interpréter de façon trop extensive les dispositions figurant dans le CO, la LCD et le CP qui tendent à empécher les comportements déloyaux du travailleur, sous peine de détourner les conditions strictes mises par le législateur à la validité des clauses d'interdiction de concurrence 100.

SECONDE PARTIE:

MOYENS A DISPosmON DE L'ANCIEN EMPLOYEUR

Lorsqu'un travailleur, au mépris d'une clause d'interdiction de concurrence le liant à son ancien employeur, se fait engager dans une entreprise concurrente, révèle des secrets de fabrication dont il a eu connaissance dans le cadre de sa précédente activité et débauche massi-vement ses anciens collègues, on se trouve en présence d'une violation de la prohibition de concurrence, d'un acte de concurrence déloyale au sens de la LCD et d'une infraction pénale. Dans un tel contexte, il est intéressant de comparer les actions offertes à l'employeur lésé, selon les dispositions sur lesquelles il se fonde. Nous commencerons par exa-miner deux actions qui sont ouvertes non seulement en cas de violation

98 Dans ce sens, cf. Sl1ŒlFFlvoN KAENEr., op. cit. note 12, p. 437.

99 VtSCHER, op. cit. note 66, p. 170.

100 Cf. dans ce sens à propos de l'art. 321. al. 4 CO, S1REIfFNON KAENEL, op. cit.

note 12, p. 69; WENIGER, op. cit. note 4, p. 240.

de la clause d'interdiction de concurrence, mais aussi en cas de concur-rence déloyale au sens de la LCD. Puis, nous examinerons quelques actions propres à chaque catégorie de normes applicables.

I. Action en cessation de la concurrence