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4.2) L'angoisse liée à la mémoire collective

4.2.1) Une histoire nationale construite par des flux migratoires

En terme de pratiques spatiales, l'histoire de la France, c'est notamment l'histoire des flux migratoires qui ont traversé le territoire, c'est-à-dire autant l'histoire de l'immigration que l'histoire de l'émigration. C'est aussi l'histoire des changements de frontières nationales qui imprime une mémoire plus ou moins enracinée dans un ensemble national. En effet, la mémoire collective de certaines régions frontalières rattachées tardivement à la nation française comme l'Alsace, la Lorraine ou la Savoie est moins ancrée dans un territoire national que des régions historiquement centrales comme l'Auvergne qui conserve la mémoire gauloise ou la région parisienne qui reste le centre historique du pays. Pour être convaincu de ces différences régionales, il suffit d'observer les mouvements régionalistes ou la mise en valeur du patrimoine local. Les vestiges des forts prussiens en Alsace ou des forts piémontais en Savoie contrastent en terme de mémoire nationale avec le site de Gergovie ou la statue de Vercingétorix dans la région de Clermont-Ferrand rappelant l'empreinte gauloise. Les premiers remémorent que les marges de la nation française étaient un jour à l'extérieur des frontières actuelles, tandis que les seconds entretiennent un souvenir au cœur de la construction du territoire national. Mais l'histoire sociale, c'est aussi celle des relations diplomatiques que la France a entretenu avec le reste du monde. En effet, certains enseignants ont eu une première expérience à l'étranger par le biais de la coopération, dans le cadre du Volontariat du Service National Actif (VSNA ou CSNA). Jusqu'en 1997, année du retrait des obligations militaires, des personnes justifiant de quatre années d'études universitaires pouvaient partir hors de France pour enseigner dans le cadre des accords de coopération avec la France : c'est le cas de Jean-Marc à Tunis, Michaël à Ankara, Hulot à Beyrouth, Cédric à Casablanca et Simon à Londres.

L'histoire de l'immigration a été largement explorée, bien que son étude soit récente (Noiriel, 1988). Cependant, l'émigration, n'a fait l'objet que de quelques études dont il manque une

synthèse pour en comprendre les tendances générales (Weil, 2005). Récemment, quelques travaux ont été publiés, mais ils restent diffus (Kelly and Cornick 2013 ; Verquin 2000 ; Guth 1984 ; Gouy 1980). Pourtant, peut-on envisager l'immigration et l'émigration comme deux phénomènes distincts ? Si l'histoire réelle est parsemée de flux dans les deux sens, la mémoire collective actuelle conserve davantage la dernière. La fuite des Huguenots, protestants régulièrement persécutés du dix-septième siècle jusqu'à la Révolution française est quasiment oubliée au niveau nationale, mais elle reste présente dans les récits de certaines familles, notamment celle de Séverine qui évoque une éducation protestante en lien avec des descendants huguenots réfugiés dans les Cévennes après leur retour d'exil. L'empire colonial français, même s'il est réputé avoir été une colonie sans colons par rapport à l'empire britannique, recensait des centaines de milliers de ressortissants dont les guerres de décolonisation ont fait oublier les rapatriements. C'est particulièrement le cas des huit cent mille français d'Algérie dont l'histoire a été effacée par l'incompréhension et le refoulement collectif d'une guerre effroyable. Hormis Albert Camus dans ses articles recueillis dans les Chroniques

algériennes, rares ont été ceux qui ont apporté une vision fragmentée, nuancée et réaliste des

habitants d'Algérie avant l'indépendance. Pourtant, cette histoire demeure ancrée dans les mémoires familiales, de manière parfois refoulée comme c'est le cas de Stéphane. La conquête de l'Amérique est également une partie de l'histoire de France que la prédominance anglo-saxonne, hispanique et portugaise a tendance à faire oublier. De même, une observation plus fragmentée fait émerger un passé francophone en Acadie, en Louisiane, au Québec, ou dans certains quartiers de Mexico ou de Buenos Aires. Cécilia a évoqué un ascendant qui a voyagé en Amérique du Nord. Quantitativement bien qu'elle ait été moins importante par rapport à ses voisins Britanniques, Espagnols, Italiens, Allemands ou Portugais, l'émigration française n'a jamais été négligeable (Zeldin 1978 : 102 ; Verquin 2001 : 28). A partir des années 1960, la France a commencé à se percevoir comme pays d'immigration avec l'arrivée de migrants des anciennes colonies, en particulier d'Algérie. Mais l'histoire et la sociologie se sont focalisées sur l'immigration, en particulier algérienne, c'est-à-dire celle des musulmans d'Algérie, considérés comme des étrangers. C'était omettre, non seulement que la plupart d'entre eux étaient nés en France même si le statut de la colonie ne le reconnaissait pas, mais c'était surtout prendre comme une évidence que les centaines de milliers de Pieds-Noirs puissent s'intégrer dans un pays qu'ils n'avaient, pour la plupart, jamais connu. En d'autres termes, c'était imposer une mémoire collective erronée en assimilant d'office une population qui s'était forgée une culture singulière en Algérie française. Cette histoire encore peu explorée n'est pourtant pas sans conséquences sur un certain refoulement de la mémoire collective nationale qui induit des affirmations identitaires perdant leur sens dans l'oubli de l'origine de leurs revendications.

dans toute sa complexité et ses singularités. Certes, cette histoire est bien souvent difficile à saisir puisqu'elle est souvent le fruit d'initiatives individuelles (Zeldin 1978 : 10234). Or, l'histoire nationale, lorsqu'elle considère la colonisation, a tendance à se focaliser sur les institutions, en particulier administratives, militaires et religieuses. Quid des artisans, petits commerçants et paysans ? Jusqu'au dix-neuvième siècle, il s'agit davantage d'explorateurs et d'aventuriers (Barou 2009 ; Zeldin 1978 : 105). Hormis la circulation des élites bourgeoises des grandes villes (Wagner 2007), l'émigration française est davantage la conséquence du chômage et de la pauvreté touchant essentiellement des régions rurales pauvres du Pays Basque, du Béarn, des Alpes, de Bretagne et d'Alsace-Lorraine (Verquin 2001 : 31). La réalité de l'émigration française témoigne davantage d'une « émigration de malheur », dont « plus qu'un hypothétique esprit casanier, c'est surtout la

faiblesse de la pression démographique qui explique l'originalité » de la France par rapport à ses

voisins européens (Verquin 2000 : 79).

Or, si les étrangers ont été peu pris en compte dans les travaux historiques, les émigrés semblent l'avoir également peu été, sans doute à cause du « rapport des historiens au fait

national », pour lesquels, dans un contexte associant nationalisme, républicanisme et colonialisme,

les migrants français ont souvent été implicitement considérés comme ayant « rompu le contrat

social » (Weil, 2005 : 5). Finalement, la mémoire collective de la France en matière d'émigration

tend entre deux pôles. D'une part, le souvenir d'un empire colonial souvent considéré comme honteux ou héroïque, mais rarement comme un fait historique. D'autre part, l'émigration française a fait l'objet de récit particulier, érigeant quelques figures au rang de mythes, dont Jean de Léry, Claude Lévi-Strauss ou le général de Gaulle sont les plus cités par les acteurs. Mais si certains récits nationaux peuvent avoir incité des personnes à franchir les frontières nationales, ces représentations créant un imaginaire du voyage sont bien fragiles pour mettre en pratique un séjour durable avec un rythme quotidien, une vie professionnelle et familiale impliquant un statut d'étranger. Les histoires familiales sont donc liées à l'histoire sociale de manière concrète. Agissant sur l'espace dominant, l'histoire nationale a évidemment eu un impact sur la vie des familles et des individus. Mais considérée sur plusieurs générations, dans la formation des représentations de l'espace et de l'imaginaire de la patrie d'origine, ce sont davantage les histoires familiales que la mémoire nationale qui ont ouvert le champ des possibles pour instiguer l'idée du départ.

34 « Les statistiques dévoilent que les Français voyageaient beaucoup, même si ce n'était pas sur la même échelle que les Anglais. Il se trouvait à coup sûr moins de Français que d'Anglais à l'étranger ; mais leur nombre était loin d'être insignifiant. L'émigration française est fort ancienne (…) environ un demi-millions de huguenots quittèrent la France entre 1660 et 1710. (…) Bien des personnes quittaient la France sans qu'aucun service du gouvernement n'en ait eu connaissance : l'émigration était plus active dans les régions frontalières possédant de solides traditions dans la contrebande ainsi que l'art d'échapper au service militaire. » (Zeldin, 1978, p. 102)

4.2.2) Un cadre national générant une angoisse identitaire

L'histoire de l'émigration montre que certains Français partagent une représentation commune de l'espace qui sort du cadre national. En effet, pour que la pensée individuelle se traduise en action par un départ du pays d'origine, il a fallu que le territoire national ait été remis en question en termes de pratiques spatiales par une appropriation de l'espace en dehors de ce cadre. Du point de vue des représentations de l'espace des dominants, cette pratique spatiale a pu prendre le caractère de transgression, voire de trahison. Il s'agit donc de comprendre ce que signifie le cadre national pour l'ensemble des personnes enquêtées. Il s'est notamment façonné lors de leur socialisation à l'école, notamment en primaire, institution sur laquelle s'est fondé le nationalisme français au dix-neuvième siècle, notamment par l'introduction de l'histoire et de la géographie (Michelet, 1874) et de la langue française (Zeldin, 1978 : 5). Cette connaissance commune aux ressortissants français dans leur éducation primaire, « constitue le tissu sémantique (the fabric of meanings) sans lequel aucune société ne pourrait exister » (Berger and Luckmann, 2011 : 62).

C'est principalement par l'école primaire que se constitue une « typification

réciproque » (Berger and Luckmann, 2011 : 123). Ainsi, elle met en commun des routines, des

habitudes de pensée, de conception de l'histoire, de la géographie, de la langue et de la culture. Ce « monde institutionnel » transmis à d'autres devient réel et objectif dans la mesure où il ne peut plus être changé instantanément (Berger and Luckmann 2011 : 124). En effet, malgré des modifications successives, l'apprentissage scolaire de l'espace et de la mémoire nationale a conservé un cadre strictement national jusque dans les années 1990 où la mise en place de l'Union européenne et la multiplication des échanges mondiaux ont nécessité d'élargir les cadre de référence. Initialement, l'école primaire française développée au cours de la seconde moitié du dix-neuvième siècle, a eu pour ambition de constituer une identité nationale. Il s'agissait à l'époque de partager un socle commun entre les provinces françaises, dont « seules les vieilles provinces autour de Paris

s'identifiaient à la France » (Zeldin 1978 : 8), rappelant que « pendant longtemps, le sentiment de son unité a été plus conscient chez les dirigeants que dans le peuple » (Zeldin 1978 : 5 - 6). Mais ce

socle s'est également propagé dans les colonies et à l'étranger au début du vingtième siècle, en particulier là où les ressortissants français étaient les plus nombreux, mais aussi à des fins de stratégie diplomatique, par l'intermédiaire des institutions françaises, des Alliances françaises, de la Mission laïque et autres associations non gouvernementales de promotion de la langue et de la culture française. Par exemple, le lycée Charles de Gaulle à Londres a été créé en 1915 (Faucher and Lane 2013). Le projet était plus ambitieux que l'unification de la nation puisqu'il s'agissait d'une théorie universelle de l'éducation. Le nationalisme français véhiculé par l'école de la troisième

République repose sur l'incarnation du concept de « civilisation ». L'école primaire était avant tout une institution destinée à faire adopter aux provinciaux un comportement bourgeois, un mode de pensée, des comportements et des expressions parisiennes : « Les doctrinaires agitaient des

théories sur les idéaux que la France se devait de représenter (…) La première de ses thèses, celle qui eut le plus d'influence, voulait que la France incarnât la « civilisation ». Être français au plein sens du terme signifiait être civilisé, ce qui exigeait que l'on adoptât les modes de pensée, de comportement et d'expression en vogue à Paris » (Zeldin, 1978 : 9). Issue du Siècle des Lumières et

de la Révolution française, l'idée de civilisation reposait sur la rationalité de l'organisation sociale dont le principe primordial était l'égalité. Il s'agissait de former un « homme meilleur, éduqué, poli,

à l'esprit plus ouvert », valeurs qui devaient être transmises aux autres, également en dehors du

territoire national (Zeldin 1978 : 11). A travers l'institution scolaire, c'est une standardisation de normes et de valeurs qui se sont répandues à travers la France. C'est aussi l'apprentissage d'une langue unique, réputée pour sa logique, sa clarté et son bon sens, dont les usages sont centralisés et réglementés par l'Académie française et la validation de diplômes et certificats d'études communs à l'ensemble du territoire national. Le nationalisme français du dix-neuvième siècle a ainsi été conçu autour de la langue française, diffusée par une école centralisée. Par conséquent, cette conception jacobine et idéale tend à rejeter toute forme de métissages et de particularismes comme dégénérescence, notamment constitués par les échanges effectués au cours des déplacements humains. Ce nationalisme prône une institutionnalisation de l'assimilation à une culture commune au nom du sentiment d'appartenance à une cohésion nationale. Il diffère ainsi radicalement d'une conception plus individualiste de la société comme en Grande-Bretagne en opposition duquel le nationalisme français s'est notamment constitué (Guiffan 2004; Tombs and Tombs 2006).

De manière variable selon les époques, l'école française, en particulier l'école primaire, a donc été le vecteur, non seulement d'une langue et de valeurs communes, mais aussi d'un sentiment d'appartenance national. Si la puissance d'intégration de ces valeurs dans les esprits des jeunes Français s'est atténuée après la deuxième guerre mondiale, l'esprit de l'unité nationale a été perpétué, en particulier par des politiques assimilationnistes de l'intégration des étrangers. L'espace représenté de la France reste porteur de significations catégorielles figées chez bon nombre de Français, comme une « histoire intériorisée jusque dans les manières du corps » (Noiriel 1988 : 345-346). Ces significations s'imposent dans des formes de jugements en distinguant « un registre

social, un registre esthétique et un registre moral » dans lesquels « ce qui est bas est associé à la décomposition des matières organiques, à la corruption, à la mort » (D’Iribarne 2006 : 60). Cette

représentation idéaliste assimilée de manière prétendue objective prend une conception rationaliste de la nation fondée sur la forme, idée platonicienne qui s'abstrait des mouvements du réel pour le

figer par la pensée. Dans le cas de la représentation de l'espace français, l'exemple le plus significatif est la représentation de l'Hexagone. Cette idée de la nation en terme de forme géométrique est caractéristique d'une absence de penser le réel, car elle exclut de la pensée les entités qui dérogent à la forme (régions frontalières, DOM-TOM, Français hors de France). Il s'agit d'une approche « totaliste » de l'histoire de la nation en la considérant dans son essence, par sa forme. Cette manière de construire une catégorie sociologique n'est pas fausse, mais elle est insuffisante pour faire l'objet d'une analyse scientifique qui se doit d'y ajouter une approche « fragmentaire » (Popper, 1991 : 92). Il ne s'agit pas d'opposer à cette « essentialisme méthodologique », un « nominalisme méthodologique » comme la définition des catégories le fait souvent en philosophie pour distinguer l'essentiel de l'accidentel (Popper, 1991 : 38 – 39 ; Popper, 2002 : 29 – 31). Dans le cas de la mémoire collective concernant la France, l'accidentel, c'est justement les mémoires familiales qui n'ont pas cette représentation figée de la France. En effet, une « chose, c'est-à-dire une essence immuable, ne peut être connue qu'à travers ses changements » (Popper, 1991 : 43). C'est ainsi que cette histoire a pu être reconstruite sociologiquement, en prenant en compte ce qui modifie, transgresse cette forme apparemment immuable, car « d'une façon

analogue, l'essence d'un homme – sa personnalité – ne peut être connue que comme elle se développe dans sa biographie. Si nous appliquons ce principe à la sociologie nous sommes conduits à la conclusion que l'essence, ou le caractère réel, d'un groupe social ne peut se révéler elle-même et être connue qu'à travers son histoire » (Popper, 1991 : 44).

En d'autres termes, il s'agit d'analyser les écarts à la norme, à cet idéal des représentations de l'espace établi par le pouvoir dominant, constitué par la pensée individuelle de l'espace des acteurs. Pour ce faire, l'expérience des enseignants hors de France permet d'introduire la dimension réaliste d'une dimension critique de l'essence nationale telle quelle est diffusée. C'est l'insatisfaction entre la réalité expérimentée par les acteurs et la conception de la forme qui provoque une angoisse identitaire. Il s'agit donc d'un décalage entre les représentations collectives et la réalité vécue par les acteurs. Finalement, c'est l'échelle des catégories construites pour penser la réalité collective et la manière de les nommer qui permet de saisir l'angoisse de manière à opérer une concordance entre les représentations et la réalité vécue. Mais ce décalage ne se dévoile pas seulement au niveau des représentations, il agit également au cours des expériences sociales.

4.2.3) L'expérience de la pluralité et des variations de la nation

Certaines personnes soulignent la situation des étrangers en France comme une raison de leur départ. Le manque de prise en compte du multiculturalisme français dans certains discours

publiques et les représentations collectives inciteraient certaines personnes à explorer par eux-mêmes d'autres manières d'appréhender la situation de l'étranger dans des contextes historiques et culturels différents de celui de la France. Dans le cas significatif d'Aurélien, il s'agit d'essayer de comprendre ce que le sentiment d'étrangeté peut signifier pour la personne qui la vit. Aurélien était enseignant résident à Casablanca depuis six mois au moment de l'entretien, mais il avait déjà exercé à Rabat pendant quatre ans. Avant de partir au Maroc pour la première fois, il a commencé sa carrière en région parisienne, dans une Zone d'Éducation Prioritaire (ZEP) à Pierrefitte-sur-Seine. Entre ses deux séjours au Maroc, il était également en région parisienne, d'abord dans un établissement d'une banlieue assez aisée à Bois Colombes, puis de nouveau dans une ZEP pendant quatre ans à Gennevilliers. Son expérience alternant entre des séjours prolongés au Maroc et en France lui a permis de comparer les différentes situation en tant qu'étranger en France et au Maroc. Il est intéressant de remarquer qu'il associe de prime abord le Maroc à un ensemble prolongeant la France par le critère de la langue, à savoir la francophonie, ce qui était pour lui une condition importante dans le choix du pays. Il souligne également son intérêt pour une expérience dans un pays qui renvoie à des situations d'interaction qu'il a connues en France auprès de certains de ses élèves originaires du Maghreb : « compte tenu des difficultés que j'avais rencontrées en France,

avec le public avec lequel j'avais enseigné, comme je ne connaissais pas grand-chose de l'islam, c'est vrai que j'avais aussi envie d'avoir cette expérience de vie dans un pays musulman »

(Aurélien).

De manière plus générale, il a articulé les dimensions de l'immigration et de l'émigration en associant une même situation d'étrangeté qui prend des formes différentes selon le contexte d'accueil : « en analysant rétrospectivement, j'ai vu que cette dimension-là était bel et bien

présente. C'est-à-dire qu'il y avait un peu l'idée aussi de se retrouver dans la peau de l'immigré, c'est-à-dire d'être confronté moi-même à la tarte à la crème de l'intégration dont on parle tant, et d'essayer, non pas d'avoir des idées là-dessus, mais de savoir ce que c'est par expérience... »

(Aurélien). Ce décalage entre l'idée et l'expérience est souligné ici : l'idée d'une intégration par assimilation qui ne tient pas suffisamment compte de la pluralité des expériences individuelles. Aurélien précise néanmoins que la situation n'est pas du tout réversible, dans la mesure où un enseignant français au Maroc se trouve dans une situation dominante dans la société et dans l'interaction scolaire, contrairement à un élève maghrébin en France, considéré comme une minorité et de par sa position subalterne en tant qu'élève. Aurélien évoque peu son parcours personnel et son