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L’ancrage du fétichisme dans les contextes aspirationnels du consommateur

Section 3. Discussion de l’étude exploratoire

3.3. L’ancrage du fétichisme dans les contextes aspirationnels du consommateur

Selon nos données, les significations privées attachées aux fétiches se déploient uniquement dans des contextes bien définis, liés aux aspirations de leurs possesseurs. Cela signifie que le pouvoir d’un fétiche ne pourra émerger que dans un contexte précis uniquement, c’est-à-dire que ses significations magiques sont circonscrites à un certain périmètre au-delà duquel elles s’effacent. La volatilité des significations magiques du fétiche contraste avec les relations profondes et durables qui caractérisent l’objet sacré (e.g. Belk, Wallendorf et Sherry, 1989) . 23

Selon les données de notre étude, cette volatilité des significations magiques semble également s’observer dans le cas des attentes transformationnelles. L’étude séminale de Richins (2011) ne traite pas la persistance de ce type de croyances magiques dans la mesure où elle est focalisée sur la perception du produit précédant l’acquisition. Richins conçoit les attentes transformationnelles comme relevant d’une aspiration à la transformation (e.g. perdre du poids, s’embellir par le maquillage, etc.) et à une vie meilleure, c’est-à-dire d’un contexte aspirationnel personnel. Richins suggère néanmoins dans sa recherche que les attentes puissent toujours exister après l’acte d’achat, une fois le produit éprouvé. Notre étude montre que ces attentes s’intègrent et évoluent bien dans un cadre aspirationnel défini. Ces croyances d’ordre magique peuvent se montrer durables (comme le montre le cas de Caroline et de sa montre fétiche par exemple) ou volatiles lorsque l’objet ne semble pas remplir sa fonction transformatrice (comme le suggère le cas de Kelly et de son t-shirt fétiche).

Enfin, la littérature relative au fétichisme postule que le processus d’émergence du rapport fétichiste à l’objet trouve son origine dans la crainte (e.g. De Brosses, 1760 ; Frazer, 1890 ; Hegel, 1831 ; Hume, 1757), dans une expérience personnelle (De Brosses, 1760 ; Freud, 1927) ou dans le besoin de contrôler certains évènements (e.g. Bergson, 1932 [2006] ; De Brosses, 1760 ; Frazer, 1890 ;

Comme discuté dans le chapitre 1, section 3, les concepts de sacré et de fétichisme se chevauchent. Dans les faits, un objet peut-

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être à la fois sacré et fétiche (e.g. un bijou précieux, hérité des ascendants, permettant de se sentir plus fort ou meilleur face à certaines épreuves lorsqu’il est porté)

Hegel, 1831 ; Hume, 1757 ; Malinowski, 1935 ; Saint-James, Handelman et Taylor, 2011 ; Silva, 2013). Nos données n’ont pas fait émerger de nouveaux antécédents du fétichisme, malgré un contexte d’étude relevant de la consommation contemporaine. Les données ne suggèrent par exemple pas que le fétichisme puisse découler d’une tendance spirituelle, matérialiste ou à adhérer aux croyances paranormales. Nos résultats supposent que l’étude des phénomènes fétichistes devrait plutôt être conduite par l’analyse du contexte aspirationnel dressé par le consommateur, des enjeux qu’il recouvre et du système d’objets qui lui est associé.

Conclusion du chapitre 3.

L’étude exploratoire que nous avons conduite nous a permis de confirmer la validité de certains aspects du fétichisme évoqués dans la littérature (en anthropologie notamment) dans le contexte de la société de consommation contemporaine. L’étude montre que le fétichisme constitue vraisemblablement un phénomène universel, c’est-à-dire qu’il ne peut être envisagé comme un rapport pathologique de dépendance à l’objet mais plutôt un rapport à l’objet qui se développe dans un contexte concernant une activité importante pour l’individu, comprenant une part d’incertitude et nécessitant une forme de performance de la part de l’individu . L’étude dévoile une variété de 24

fétiches et des degrés divers de fétichisation. Cela soutient la conception du fétichisme de Silva (2013) selon laquelle le fétichisme constitue un rapport humain et magique au monde en vue d’y trouver une forme de contrôle. Ainsi, la tendance humaine au fétichisme peut s’enraciner vis-à-vis de n’importe quel objet en relation avec les aspirations de son possesseur. L’étude permet également de supposer la pertinence des dimensions du fétichisme en tant que processus cognitif proposé par Ellen (1988).

Le fétichisme en tant qu’expérience vécue face à l’objet (Saint-James, Handelman et Taylor, 2011) ne semble ni dépendre du degré de matérialisme ni du degré de spiritualité de l’individu. Cela suppose qu’il relève d’une croyance plastique et adaptable à tout système de croyances et qu’il n’est pas lié à une posture religieuse quelconque. Ce point important nous a permis de postuler que le fétichisme et les attentes transformationnelles ne devraient pas être étudiées en rapport à des traits de personnalité ou des profils de consommateurs mais plutôt dans le cadre de contextes aspirationnels particuliers afin de mettre au jour leur mécanisme d’émergence.

Enfin, l’étude confirme que le fétichisme présente des caractères aspirationnel (il se rapporte à des domaines importants de la vie des individus) et instrumental (le fétiche existe dans un but précis, il a une fonction spécifique). Selon nos données, le caractère instrumental du fétichisme semble être le siège d’attentes transformationnelles vis-à-vis du fétiche : le fétiche semble manipulé pour exprimer un pouvoir magique, qu’il s’agisse par exemple d’influencer le niveau de performance de son Le fétiche n’est néanmoins pas nécessairement lié à l’accomplissement même de l’activité ou de la performance mais peut y être

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lié dans la mesure où il présente une influence sur la situation psychologique du possesseur. Par exemple, un doudou peut être érigé en fétiche par un adulte dans la mesure où il incarne la période de l’enfance et/ou le rapport aux parents, et où il assure une fonction de réassurance. Il peut donc avoir une influence sur l’individu pour surmonter un obstacle (émotionnel par exemple).

possesseur dans le cadre d’une tâche spécifique ou de le connecter à un être cher. Ainsi, tant que le fétiche présente bien une valeur instrumentale aux yeux de son possesseurs, ses significations magiques demeureraient intactes. Dans le cas contraire, le fétiche est abandonné et ses significations magiques disparaissent.

L’étude qualitative que nous avons menée présente néanmoins deux limites importantes.

La première limite de l’étude réside dans la nombre réduit de cas étudiés. Certains répondants n’avaient pas de fétiche suffisamment important dans leur vie (ou n’avaient simplement aucun fétiche) pour qu’ils les évoquent lors de l’entretien. L’étude témoigne néanmoins de l’émergence régulière (et donc non systématique) du fétichisme lors de contextes spécifiques liés aux aspirations des répondants. L’étude montre également la variété potentiellement inépuisable des fétiches. Selon nous, la multiplication des cas étudiés n’aurait pas nécessairement permis d’aboutir à de nouvelles conclusions sur l’émergence du fétichisme dans le contexte de la consommation contemporaine. La seconde limite importante de l’étude réside dans la simplicité de notre appareil méthodologique. Au fur et à mesure de l’avancée de l’étude, nous nous sommes rendus compte de la tendance prégnante à la rationalisation des répondants ainsi qu’à leur difficulté à verbaliser ou à simplement accepter leur adhésion à des croyances magiques. Comme nous l’avons souligné dans les résultats, la rationalisation découle probablement d’un biais de désirabilité sociale, les croyances magiques n’étant pas complètement admises dans les sociétés occidentales contemporaines (Campbell, 1996 ; Subbotsky, 2006). Il pourrait sûrement être utile de combiner la technique de l’entretien individuel à certaines techniques projectives pour faire émerger des données peut-être plus riches ou authentiques. Il paraît également moins fructueux d’interroger des répondants sur leurs croyances magiques en elles-mêmes que de leur proposer un récit phénoménologique de leur expérience vécue avec leurs possessions importantes, en les encourageant à relater précisément leur ressenti et leurs émotions.


création d’une échelle de mesure du

Chapitre 4. Design de recherche et création d’une échelle de mesure du