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Les conditions d’émergence des attentes transformationnelles dans le contexte de l’exposition à la publicité

Section 2. La publicité comme source de croyances magiques vis-à-vis du produit

2.4. Les conditions d’émergence des attentes transformationnelles dans le contexte de l’exposition à la publicité

L’exploration de l’influence de la publicité exagérée sur les croyances magiques du consommateur paraît pertinente et utile dans le contexte de la société de consommation contemporaine, où la publicité s’est imposée comme véritable institution culturelle (Holt, 2002). Néanmoins, les consommateurs ne sont pas à envisager comme des individus aliénés et dominés par le discours publicitaire omniprésent, hyperréel et hyperfétichisé (selon la formule de Belk, 2001), mais plutôt 19

comme des individus dont le potentiel créatif permet de reprendre à leur compte la publicité et les produits en vue de construire leur identité selon leurs aspirations (Holt, 2002).

Selon Richins (2011), les attentes transformationnelles constituent des croyances magiques vis-à-vis de certains produits qui s'expliqueraient tout particulièrement par l'exposition aux médias. Au-delà de la génération d'une attitude positive et d'une intention d'achat auprès de ses spectateurs, comme le suggère la majorité des recherches sur la persuasion publicitaire, la publicité jouerait un rôle bien plus profond dans la société moderne que celui de persuader le consommateur. Le poids de l'institution publicitaire en tant qu’acteur culturel serait devenue si important que certains auteurs (e.g. Jhally, 1989 ; Sheffield, 2006) postulent que la publicité pourrait s’envisager comme un système religieux caractéristique de la société de consommation. De nombreuses publicités sollicitent en effet des codes religieux, racontent des histoires fantastiques autour de leurs produits, marques et égéries. En outre, la publicité traite souvent de problématiques humaines essentielles, propose des manières de les approcher ou de les résoudre, et viserait à atténuer l’angoisse existentielle (Jhally, 1987). Cela, d’un point de vue fonctionnaliste, la rapprocherait de la religion. Selon Jhally (1987), la foi (sur un mode quasi-magique) dans les possibilités infinies de la technologie caractérisant la société contemporaine accorde d’autant plus de poids aux discours publicitaires. Cette foi en l’omnipotence de la technologie sous-tend les croyances magiques que les consommateurs peuvent tenir par rapport aux produits, qui sont elles-mêmes entretenues par l’institution publicitaire (Stivers, 1999).

Cette expression « d’hyperfétichisation » de la publicité est probablement à comprendre comme une hypersexualisation de la

Se fondant notamment sur cette foi dans la technologie, le discours publicitaire contemporain serait focalisé sur des promesses transformationnelles et sur la possible réalisation des aspirations des consommateurs (e.g. Jhally, 1987 ; Otnes et Scott, 1996). Dans le contexte de la consommation sportive, il suffit par exemple de visionner quelques publicités pour se rendre compte du travail symbolique entrepris par de grandes marques telles que Nike ou Adidas pour investir du sens dans leurs produits . Les sportifs sponsorisés par ces marques sont souvent dépeints comme des figures 20

presque divinisées (Rubio-Hernandez, 2011). Rubio-Hernandez (2011) postule que la publicité des marques de sport relève d’une résurgence du sacré par la mobilisation des symboles qu’elle entreprend. Les sportifs sponsorisés seraient l’objet d’une véritable dévotion en tant que héros nationaux. La publicité encouragerait l’agrégation sociale, le sentiment d’appartenance, tout en amenant les consommateurs à s’identifier aux sportifs divinisés (le slogan « just do it » de Nike témoigne bien de l’élan d’identification que la marque essaye de susciter).

Selon Jhally (1987), la publicité tend à présenter de plus en plus de promesses axées sur la transformation de soi, la transformation des relations sociales ou la protection magique. Au regard des littératures traitant du scepticisme et de la publicité exagérée selon l’approche spinozienne, il paraît légitime de s’interroger sur l’influence des publicités transformationnelles sur les croyances magiques du consommateur vis-à-vis du produit. Si nous nous fions à ces littératures, seules les publicités exagérées relatives aux produits à faible implication sont traitées de manière périphérique par le consommateur et sont susceptibles d’avoir une influence sur les croyances, attitudes et comportements du consommateur . En effet, un consommateur fortement impliqué rechercherait 21

plutôt des informations objectives en vue d’une évaluation exhaustive et réfléchie du produit (Petty et Cacioppo (1981). Par conséquent, il ne serait pas sensible à la publicité exagérée transformationnelle dont les arguments ne sont pas vérifiables.

Voici quelques exemples de publicités de marques de sport mobilisant une imagerie et un discours exagérés pour construire une

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enveloppe symbolique autour de leurs produits.

https://www.youtube.com/watch?v=n6S1JoCSVNU ; https://www.youtube.com/watch?v=BOM1k4oLGJU ; https:// www.youtube.com/watch?v=w04xmH2SOLA ; https://www.youtube.com/watch?v=cl0IlD4qLUM

C’est ce que suggère l’Elaboration Likelihood Model de Petty et Cacioppo (1981) pour la publicité (en général, pas seulement la

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publicité exagérée). Ils posent que la publicité relative aux produits et services à faible implication est plus susceptible de persuader en mobilisant des éléments affectifs (« la route périphérique de la persuasion ») étant donné que ces publicités font l’objet d’une faible élaboration de la part du consommateur. A contrario, les publicités relatives aux produits et services à forte implication sont plus susceptibles de persuader le consommateur en mobilisant des éléments cognitifs et objectifs (« la route centrale de la persuasion »). Notons que la présente étude ne s’inscrit pas dans le courant de recherche sur la persuasion publicitaire. Nous nous appuyons sur un aspect du modèle ELM (i.e. l’influence de l’implication vis-à-vis du produit ou service sur l’impact du message publicitaire) pour démontrer que la publicité exagérée peut susciter des croyances magiques lorsqu’elle promeut des produits relatifs à des domaines importants de la vie du consommateur.

Les littératures sur la pensée magique et le fétichisme traitées au cours des deux premiers chapitres permettent de poser de nouvelles hypothèses concernant les produits faisant l’objet d’une forte implication. Selon notre analyse, le fétichisme du produit se caractérise notamment par l’octroi d’un pouvoir magique au produit et relève donc de croyances magiques vis-à-vis du produit. Ces croyances magiques, que nous avons assimilées aux attentes transformationnelles, se développent essentiellement par rapport à des domaines importants de l’existence humaine liés aux aspirations des individus : santé, sexualité, spiritualité, relations sociales, performance sportive ou artistique, etc. Les produits directement liés à ces domaines constituent à la fois des produits à forte implication et des produits susceptibles d’être fétichisés et donc de faire l’objet d’attentes transformationnelles.

Si nous nous intéressons à une assertion publicitaire magique (suggérant les qualités magiques d’un produit) en tant que sous-catégorie des assertions publicitaires exagérées, nous pouvons donc supposer que celle-ci peut avoir un effet sur les croyances du consommateur dans le contexte d’un produit à forte implication, contrairement à ce que suggèrent les littératures sur la publicité exagérée et la persuasion publicitaire. Ceci est donc le premier pilier fondamental de notre modèle théorique relatif à l’influence du slogan magique sur les attentes transformationnelles (cf. chapitre 5 pour la formalisation du modèle) : un slogan publicitaire magique (appartenant à la catégorie de la publicité exagérée transformationnelle) peut susciter des croyances magiques dans un contexte de produits aspirationnels, c’est-à-dire à forte implication.

Néanmoins, le mode de pensée magique activé par le slogan publicitaire magique peut selon notre analyse être contrebalancé par une tendance au scepticisme du consommateur. Selon Obermiller et Spangenberg (1998), le scepticisme vis-à-vis de la publicité dépend de facteurs situationnels tels que la source du message publicitaire. Le scepticisme pourrait être plus ou moins important selon le type de marque émettant le message. Si nous nous fions à la littérature sur la pensée magique, celle- ci tend à se développer dans des contextes d’incertitude, c’est-à-dire où les liens de causalité ne sont pas avérés ou non-vérifiables (le lien causal que nous pouvons faire par exemple entre le fait de porter un parfum censé être attirant et le fait d’effectivement séduire). On peut supposer que les sources émettrices d’un message publicitaire exagéré peuvent susciter des croyances magiques plus

efficacement lorsque ces sources sont inconnues du consommateur. Par « inconnues », nous entendons que le consommateur n’a jamais entendu parler de la marque, c’est-à-dire que ni lui, ni son entourage n’ont donc essayé ses produits. Nous postulons que l’absence d’information par rapport aux performances ou à la qualité des produits ouvre une zone d’incertitude favorable au développement de la pensée magique lorsque la marque inconnue manie un slogan publicitaire exagéré. Ce postulat est soutenu par la littérature traitant de la publicité exagérée selon l’approche spinozienne (e.g. Cowley, 2006 ; Hoek et Gendall, 2007). En effet, dans ces recherches, l’évaluation de l’influence du slogan exagéré sur les croyances et attitudes du consommateur se font dans le cadre de marques fictives uniquement. Ces recherches évitent de recourir à des marques connues pour que les résultats ne soient pas influencés par les éventuelles associations à la marque pré- existantes à l’étude. Dans le droit fil de ces recherches, nous considérons qu’un slogan publicitaire magique aurait donc plus d’influence sur les associations à la marque et sur les attentes transformationnelles dans le cas d’une marque fictive (par conséquent inconnue du consommateur) plutôt que dans le cas d’une marque connue et éprouvée. C’est le second pilier de notre modèle théorique relatif à l’influence du slogan publicitaire magique sur les attentes transformationnelles.

Conclusion de la section 2

Cette section a présenté une littérature relative à la publicité exagérée et au scepticisme du consommateur vis-à-vis de la publicité. Cela nous a permis de mettre en lumière le fait que le consommateur, même lorsqu’il se déclare sceptique vis-à-vis de la publicité, peut s’avérer sensible à des assertions exagérées ou émotionnelles et développer des croyances vis-à-vis du produit ou du service sur leur base. Les marques, lorsqu’elles expriment une promesse sur un mode exagéré, peuvent surmonter le scepticisme du consommateur en ne faisant pas appel à sa rationalité mais plutôt à son système de pensée expérientiel, dont la particularité est d’être intuitif et associatif. Cela explique par exemple pourquoi une promesse exagérée n’est pas crue par le consommateur mais qu’elle suscite tout de même une attitude plus positive vis-à-vis de la marque (Cowley, 2006).

En associant cette littérature à celle relative à la pensée magique, nous avons proposé une nouvelle approche de l’influence de la publicité exagérée sur les croyances magiques du consommateur. La littérature relative à la pensée magique postule que celle-ci intervient dans des contextes importants et incertains pour l’individu. Nous avons proposé à l’inverse des littératures sur la publicité exagérée et sur la persuasion publicitaire qu’une annonce promouvant un produit impliquant pouvait susciter une réponse d’ordre irrationnel, plutôt que solliciter un processus de traitement de l’information rationnel. Ainsi, dans certains cas, une marque mobilisant une rhétorique exagérée pourrait contourner la barrière du scepticisme, en particulier si elle n’est pas connue du consommateur.

Cette section visait à établir les fondations théoriques du modèle relatif à l’influence de la publicité exagérée sur les attentes transformationnelles du consommateur vis-à-vis du produit que nous proposons au chapitre 6.


Conclusion du chapitre 2.

Ce chapitre a permis de mettre en évidence la prégnance de la pensée magique dans la société de consommation et de rendre compte de sa pertinence dans le cadre de l’étude de l’influence de la publicité sur la formation des attitudes et croyances du consommateur. Nous avons présenté une littérature permettant de postuler que la pensée magique se développe au sein d’espaces d’ambiguïté causale (e.g. l’ambiguïté concernant la véritable efficacité d’un produit) qui seraient entretenus par les discours transformationnels de l’institution publicitaire. La publicité, à travers une rhétorique exagérée, stimulerait un mode de pensée magique chez le consommateur et susciterait potentiellement chez lui des attentes transformationnelles vis-à- vis du produit qu’elle promeut. Nous avons néanmoins montré que le développement des attentes transformationnelles dépendrait en grande partie de l’alignement de la promesse engagée dans la publicité et des aspirations du consommateur.

La littérature analysée et déployée dans ce chapitre permet d’aborder une question qui, à notre connaissance, n’est actuellement pas traitée dans la littérature : la publicité exagérée peut-elle susciter des croyances magiques vis-à-vis de produits, notamment dans un contexte de forte implication de la part du consommateur ?

Nous tenterons d’apporter une première réponse à cette question par le biais d’une étude empirique présentée dans la troisième partie de cette recherche.


transformationnelles sur le

fétichisme du produit.

Exploration, construction d’une

échelle de mesure du fétichisme,

La première partie de cette recherche a déployé une revue de littérature du concept de fétichisme pour ensuite procéder à un travail de conceptualisation du fétichisme du produit. Notre travail conceptuel sur le fétichisme a ensuite été positionné dans le courant de recherche sur les significations des possessions. Cette démarche a permis de faire ressortir les grandes caractéristiques du fétichisme du produit et de l’ancrer dans le cadre théorique relatif à la pensée magique en consommation. Le travail conceptuel exposé dans la première partie a permis de suggérer certaines relations théoriques que nous développons plus avant dans la deuxième partie et que nous testons empiriquement.

La deuxième partie de cette recherche vise à présenter nos études explorant empiriquement le lien entre attentes transformationnelles vis-à-vis du produit et fétichisme du produit.

Le chapitre 3 présente une étude exploratoire portant sur le fétichisme dans le contexte de la consommation contemporaine. Dans le droit fil de notre approche postulant le caractère universel du fétichisme (Ellen, 1988 ; Silva, 2013), nous avons interrogé un échantillon de 19 individus pour étudier les caractéristiques de leurs relations fétichistes à leurs possessions.

Pour tester la relation théorique entre fétichisme et attentes transformationnelles, nous avons dû construire une échelle de mesure du fétichisme (études 1 et 2 ; cf. chapitre 4) pour ensuite l’utiliser dans le cadre d’une enquête (étude 3 ; cf. chapitre 5) dont l’objectif était de tester les relations entre les attentes transformationnelles vis-à-vis du produit, le fétichisme du produit, l’implication vis-à- vis de la catégorie de produits et l’attachement au produit. Le chapitre 4 présente donc la méthodologie et les résultats des deux études préliminaires visant à la conception de l’échelle du fétichisme. Le chapitre 5 développe le modèle théorique de l’étude 3, les hypothèses relatives au modèle théorique et le design de recherche mis en œuvre pour réaliser cette étude. Nous présentons les résultats de l’étude 3 ainsi que leur discussion.


fétichisme dans le contexte de la

Chapitre 3. Étude exploratoire du fétichisme dans le contexte de la