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Les attentes transformationnelles adossées au caractère instrumental du fétiche

Section 2. Les résultats de l’étude qualitative

2.3. Les attentes transformationnelles adossées au caractère instrumental du fétiche

Nous avons jusqu’ici décrit plusieurs fétiches de natures variées. Nous avons montré qu’ils avaient en commun d’apparaître dans des domaines essentiels de l’existence des individus. L’analyse des données confirme un autre aspect commun à tous les fétiches : leur caractère instrumental et les attentes transformationnelles qui y sont associées. Cela signifie que le fétiche est censé avoir une fonction précise et, de ce fait, est profondément attaché à une attente magique de la part de son possesseur. Il peut s’agir de se sentir connecté à une ou plusieurs personnes (9 occurrences), à une époque ou à une expérience (3 occurrences), de se sentir protégé (une occurrence), de se sentir rassuré (4 occurrences) ou d’atteindre un meilleur niveau de performance (3 occurrences). Ces fonctions ne sont pas mutuellement exclusives. Les répondants, ayant attribué une ou plusieurs de

ces qualités à leur fétiche, fait montre d’attentes d’ordre magique vis-à-vis de lui qu’on peut rapprocher des attentes transformationnelles conceptualisées par Richins (2011).

Selon nos données, les attentes transformationnelles semblent trouver leur origine dans des expériences personnelles ou des formes de socialisation.

Nous avons pu recenser trois cas où les attentes transformationnelles découlent d’une expérience particulière avec une possession. C’est par exemple le cas du fétiche de Kelly, qui a été l’objet d’attentes transformationnelles après une expérience victorieuse lors d’une grande compétition de golf. Dès ce moment, son t-shirt de sport a été constituée en fétiche et a acquis des vertus transformationnelles. Les doudous fétiches de Philippe et Angélique font également l’objet d’attentes transformationnelles dans la mesure où ils ont acquis le pouvoir de les rassurer au cours de leur expérience infantile. Enfin, le caillou fétiche possédé par Anne a acquis a été lié à des attentes transformationnelles au cours d’une histoire familiale. Elle appréciait sa forme et le gardait dans son porte-feuille. Lors du même jour, elle se rendit compte qu’elle avait perdu le caillou et elle apprit que son père était à l’hôpital pour cause d’accident. Son père sortit de l’hôpital peu après qu’elle ait retrouvé le caillou. Elle l’a alors associé à un pouvoir de protection de sa famille.

Selon nos données, les attentes transformationnelles vis-à-vis d’une possession peuvent également découler de la socialisation. Par le terme socialisation, nous faisons référence à un rapport à l’objet acquis par l’interaction avec des groupes sociaux, qu’il s’agisse de la famille, d’amis ou de partenaires amoureux par exemple. La croix orthodoxe d’Elisabeth incarne la continuité de sa lignée familiale et possède le pouvoir de la connecter à ses ascendantes. La croix n’a pas acquis son pouvoir par un investissement de sens suite à une expérience d’Elisabeth mais par tradition familiale. Les attentes transformationnelles d’Elisabeth vis-à-vis de sa croix découlent donc de significations partagées au sein de sa famille. Le cas du fétiche déclaré par Olivier (50 ans) reflète également l’assimilation de significations acquises par la socialisation. A l’âge de 25 ans, Olivier a hérité la veste de travail de son père pour marquer son passage à l’âge adulte. Issu d’une famille ouvrière très modeste, Olivier a associé la veste à la force de travail de son père et à son abnégation envers sa famille. Ainsi, quand il la portait plus jeune, il se sentait « comme galvanisé ». Les significations attachées à la veste ont émergé du rapport d’Olivier à son père.

Notons qu’aucun répondant n’a évoqué le rôle d’une marque ou d’une publicité dans la formation de ses attentes transformationnelles vis-à-vis de l’une de ses possessions, bien que ces points aient été proposés lors des entretiens.

Conformément à la littérature, il semble que l’objet perde son statut de fétiche s’il est considéré comme inopérant (e.g. Hegel, 1831 ; Hume, 1757). Cela signifie néanmoins qu’il se rapporte à une fonction dont la résultat est visible et pouvant être évalué. Ce type de fonction peut se rapporter à la protection, à la réassurance ou à l’amélioration des performances par exemple.

A titre d’exemple, le cas du t-shirt de Kelly (20 ans) constitue une illustration intéressante de ce caractère instrumental du fétiche. Elle relate avoir remporté une compétition de golf alors qu’elle portait un certain t-shirt. Elle a associé la victoire à ce vêtement particulier et a donc continué à le porter pour ses différentes compétitions. Néanmoins, elle a fini par l’abandonner en constatant qu’elle ne gagnait plus en le portant.

« Je pars toujours ultra pessimiste (…) à l’époque où je faisais du golf c’était pareil. J’étais assez forte mais je passais mon temps sur un parcours de golf, je passais mon temps à pleurer (…) J’ai zéro mental, je suis un peu nulle là-dessus. (…) Au golf, le jour où j’ai gagné les championnats de France avec … J’étais habillée d’une certaine façon. Et je me suis rhabillée pareil. A chaque tournoi après. Et une fois j’ai perdu et j’ai plus jamais reporté ça. (…) Mais ça ne me fait ça qu’au golf, je me dis par exemple, j’avais ça sur moi, c’était sûr que c’était grâce à ça quoi. Je ne me dis pas c’est grâce à moi, machin. Quand je portais ça, je sentais que je pouvais gagner mais c’était pas vraiment grâce à moi, c’est bizarre. Je sais pas … Mais sinon dans la vie de tous les jours, là, pour des contrôles, les partiels tout ça, pas du tout, c’était quand j’étais à fond dans le sport » (Kelly, 20 ans).

Son récit permet en outre de mettre en lumière le fait que le fétiche est instumentalisé dans certains contextes aspirationnels spécifiques : le fétiche est censé être opérant pour une tâche donnée dans un contexte donné. Kelly explique en effet que son fétiche ne déployait un pouvoir que dans le

cadre de sa pratique sportive et non dans d’autres contextes. Le périmètre de son pouvoir est donc très circonscrit.

Selon nos données, l’objet semble également perdre son statut de fétiche si les aspirations qui lui sont attachées s’estompent. Ainsi, par exemple, la veste du père d’Olivier représentait pour ce dernier son passage à l’âge adulte. Actuellement âgé de 50 ans, l’enjeu du passage à l’adulte n’existe plus pour Olivier ; la veste semble être devenue pour lui un simple souvenir chargé d’émotion.