• Aucun résultat trouvé

Le fétichisme comme investissement de significations magiques dans les possessions

Section 1. Le positionnement du concept de fétichisme dans la littérature en recherche sur le consommateur

1.3. Le fétichisme comme investissement de significations magiques dans les possessions

La formulation de notre problématique de recherche suppose premièrement une approche processuelle de l’investissement du sens dans les possessions, deuxièmement un rapport humain- objet profond reposant sur des significations magiques et troisièmement l’existence de transferts de significations de l’institution publicitaire vers le consommateur. Par conséquent, notre recherche sur le fétichisme et sur l’influence de l’exécution publicitaire sur le développement de ce phénomène chez les consommateurs s’inscrit dans le droit fil de plusieurs travaux que nous avons évoqués ou discutés plus haut : Czikszentmihalyi et Rochberg-Halton (1981), McCracken (1986), Hirschman (1985) et Richins (1994a, 1994b).

Au regard de la revue pluridisciplinaire du concept de fétichisme que nous avons présentée plus haut, les phénomènes ayant trait au fétichisme relèvent de la cultivation telle qu’elle est conçue par Czikszentmihalyi et Rochberg-Halton (1981). Pour brosser le fétichisme à grands traits, il consiste à attribuer des pouvoirs magiques à un objet naturel ou artificiel de sorte à s’approprier ses capacités surnaturelles afin de réaliser une aspiration. Si l’on se fie à la conceptualisation de la cultivation proposée par Czikszentmihalyi et Rochberg-Halton, le fétichisme peut s’entendre comme une forme particulière de ce phénomène. En effet, il relève de l’investissement d’une énergie psychique dans l’objet en vue de la réalisation de certains objectifs du consommateur. Par exemple, les boucliers fétiches décrits par Ellen (1988) constituent le point focal de l’attention des familles Nuaulu : ils sont entretenus, choyés, disposés soigneusement près des lieux de regroupement de la famille, cela en vue d’assurer la protection du foyer. Le fétiche, investi d’une énergie en lien avec une aspiration spécifique, en vient à incarner l’aspiration elle-même.

Selon Richins (1994a, 1994b), le sens investi dans les possessions se niche dans l’intrication de deux types de significations : les significations « publiques » et les significations « privées ». Les significations publiques, partagées par l’ensemble du corps social, sont acquises par les processus de socialisation et d’enculturation auxquels prennent part les médias et la publicité (Richins, 1994a, 1994b). Selon les littératures en anthropologie et en économie politique, les significations que le fétichiste investit dans l’objet sont grandement déterminées par un système de sens traversant la société dans son ensemble (ou le groupe social auquel le fétichiste appartient). Par

exemple, l’acquisition d’un totem individuel par un membre de l’ethnie des Arunka se fait dans le cadre d’un système de croyances plus large étendu à l’ensemble de la société : le système totémique (Durkheim, 1912). Dans le contexte des sociétés capitalistes, le fétichisme de la marchandise découle à la fois de la logique du système de production — du voilement des conditions de production des marchandises — et du système social de fixation de la valeur d’échange. L’effet de ces deux systèmes, conjugué à la culture de la société de consommation, investit un ensemble de significations dans les marchandises systématisées par le travail discursif des « stratèges » (Baudrillard, 1970 ; McCracken, 1986).

Les significations privées sont conçues comme la somme des significations personnelles qu’un individu attache à un objet. Ces significations se forment à partir des significations publiques que le consommateur s’approprie et des expériences personnelles du consommateur en rapport à l’objet. Selon l’auteur, ces significations découlent du processus de cultivation.

On peut donc concevoir le fétichisme comme une relation « cultivée » à l’objet relevant de significations privées, développées dans le temps. Néanmoins, cette cultivation du sens privé repose sur des significations publiques acquises par la socialisation, l’enculturation et l’exposition aux messages publicitaires . Un individu pourrait par exemple faire un fétiche d’une voiture de sport, y 10

incarner son aspiration à réussir socialement et lui attribuer le pouvoir de transformer son apparence et sa capacité à conduire. Les significations privées associées à une voiture de sport peuvent alors découler 1) du « code » structurel — pour reprendre le terme de Baudrillard (1970) — constitutif de la société capitaliste, de ce que l’objet représente dans l’imaginaire collectif en termes de significations (la réussite sociale, la richesse, l’hédonisme, etc.), 2) des publicités vantant la valeur de ce type d’objets à travers des discours chargés symboliquement (la voiture de sport incarnant la puissance, la liberté, la domination, la sensualité, etc.) ou 3) de l’expérience personnelle du consommateur lors de l’usage.

Nous pouvons considérer que la publicité contribue largement à la formation des significations publiques lorsque l’on traite de

10

Conclusion de la section 1

La littérature traitant du fétichisme nous permet donc d’envisager les phénomènes que ce concept recouvre dans le contexte de la consommation comme relevant de l’investissement de significations aspirationnelles et magiques dans les possessions. Bien que les phénomènes liés au fétichisme présentent des caractéristiques spécifiques — l’attachement de significations magiques à un objet matériel en vue de réaliser des aspirations, l’animation de l’objet et le rapport de pouvoir ambigu s’établissant entre son possesseur et lui —, ceux-ci peuvent être rapprochés d’autres types de relations profondes et signifiantes aux possessions telles que la sacralisation, l’amour des possessions ou le matérialisme.

Dans la section suivante, nous présentons et discutons de manière thématique les travaux appartenant au champ de la recherche sur le consommateur traitant de manière directe ou indirecte de phénomènes relatifs au fétichisme.

Section 2. Une analyse thématique de l’usage du concept de fétichisme en