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Le fétichisme au sein de systèmes de croyances fragmentés et personnalisés

Section 2. Les résultats de l’étude qualitative

2.4. Le fétichisme au sein de systèmes de croyances fragmentés et personnalisés

L’éventail des croyances magiques de nos répondants s’est avéré très varié. Le premier constat ressorti de l’analyse de données relevait de la variété des systèmes de croyances des répondants. Seuls deux répondants (Corentin et Rislaine) semblaient se fonder sur un système de croyances magiques relativement homogène, lié uniquement à leur religion (respectivement catholique et juive). C’est-à-dire qu’ils semblaient insensibles à toutes autres formes de pensée magique. Les autres répondants, qu’ils soient religieux ou non, semblaient plutôt enclins à construire un système de croyances « Do it yourself », constitué de croyances fragmentées éparses et assemblées ensemble de sorte à leur donner un sentiment de sécurité dans leur vie. L’analyse des données montre que la créativité et l’ouverture dans la constitution du système de croyances est favorable à l’émergence d’un rapport fétichiste aux objets. L’exemple d’Anne est parlant à ce sujet. Elle est issue d’une famille catholique et a fréquenté une école catholique au collège et au lycée mais ne se retrouve pas dans cette foi. Elle adhère néanmoins complètement à l’idée de la survie de l’âme après la mort ainsi qu’à l’existence du paradis. Elle se refuse par contre à croire dans l’existence de l’enfer. Bien qu’elle croie dans la survie de l’âme après la mort, elle refuse également d’adhérer aux croyances paranormales qui lui font « peur ».

« [parlant de la survie de l’âme après la mort] Ouais c’est sûr. Parce que tu vois quand t’es une personne âgée, ton corps vieillit mais ton âme grandit. Mais je pense pas… Je pense que tu meurs parce que ton cœur arrête de battre, pas parce que ton esprit n’est plus vif … Donc peut-être du coup qu’il y a un paradis où les

âmes se rencontrent et peut-être justement qu’il n’y aurait plus cette matérialité, ce corps …Et on se verrait sans se voir. Il n’y aurait plus de matérialité, tu vois ce que je veux dire ? On retournerait à la pureté des choses.Plus d’âge, plus de sexe, de … tu vois ? (…) J’y crois, qu’au paradis c’est comme ça. Regarde, il y a des bébés qui meurent, ça veut dire qu’au paradis ils ont un aspect bébé ? Non je pense que c’est des âmes, une âme qui vole entre guillemets. Elles se rencontrent et là tu peux parler à des gens. Peut-être qu’ils veillent sur nous, je ne sais pas. (…)

Interviewer : et tu crois à l’enfer aussi ?

Anne : J’ai pas envie d’y croire. Je pense que les gens sont mauvais par nature, à la fois bons et mauvais par nature (…) Je ne pense pas qu’il y ait un enfer. Ou alors l’âme des méchants, bah elle survit pas. Peut-être que ton âme elle existe que quand t’es quelqu’un de gentil. Et que du coup elle s’étoufferait elle-même en étant méchant. Et elle n’accéderait pas au paradis parce qu’elle mourrait avec le corps » (Anne, 27 ans).

Ce passage est intéressant car si Anne développe une croyance d’ordre magique (voire ontologique), elle montre également un effort de rationalisation important. La rationalisation des croyances magiques est un phénomène que l’on retrouve systématiquement dans les entretiens selon trois modes : la rationalisation par la « scientifisation » de la croyance, la rationalisation par la minimisation de la croyance et la rationalisation par l’explication.

La croyance magique (dont le rapport fétichiste à l’objet) est parfois adossée à une sorte de scientifisation de la croyance, c’est-à-dire qu’elle fait l’objet d’une justification sur des fondements scientifiques. Par exemple, Jérôme croit que l’univers tout entier est un organisme vivant. Il se justifie en adoptant un discours scientifique.

« [parlant de l’univers en tant qu’entité organique] Ça c’est sûr. En fait pour moi c’est sûr parce que je fais partie de ceux qui sont sûrs qu’il y a d’autres organismes vivants dans l’univers, ce qui me paraît complètement crédible puisque la Terre c’est juste une planète parmi des milliards. Donc en termes de

probabilité qu’il y ait d’autres planètes équivalentes, je pense qu’il y en a pas mal. Heu. Et si la vie existe sur notre planète, c’est qu’elle peut exister sur une autre tu vois ? Donc je pense que oui, c’est un organisme vivant, c’est un ensemble … Et … C’est vivant forcément puisque tu vois les planètes, elles apparaissent, elles disparaissent. Ce qu’il a sur la planète apparaît et disparaît. Donc à tous les niveaux il y a de la vie tu vois. Donc ensuite je ne sais pas comment ça se fait, ça se crée, ça se régule mais … moi j’aime bien cette idée de l’organisme vivant. (…) Mais voilà compare la planète à une cellule, prends les supernovae, tout ça, bah ça pourrait être des cellules qui meurent naturellement (…). Je préfère penser comme ça que me dire « il y a un dieu ». D’autant plus que Dieu tu n’as pas de signes qu’il existe » (Jérôme, 29 ans).

D’autres répondants montrent plutôt une forme de rationalisation de leurs croyances en les minimisant et en les tournant en dérision. Par exemple, Adèle (20 ans) évoquait le t-shirt fétiche (ayant appartenu à sa tante décédée) qu’elle porte à chaque examen. Elle minimise ce comportement en mettant en évidence qu’il relève d’une semi-croyance. Elle fait preuve d’auto- dérision en confiant qu’elle le fait « en rigolant ».

« Alors oui, oui ! en plus de ça c’est marrant, elle m’avait offert un autre t-shirt noir et j’aime bien le mettre pour les contrôles en me disant ouais ça va m’aider … Mais je le dis en rigolant dans ma tête de le dire » (Adèle, 20 ans)

Enfin, d’autres répondants rationalisent leurs croyances magiques en leur proposant une explication (parfois d’ordre émotionnel). Ils invoquent par exemple le caractère rassurant des objets fétiches. Nos observations semblent donc aller dans le sens de l’idée de la recomposition individuelle du croire caractéristique de la société contemporaine (Hervieu-Léger, 2010). L’individu constituerait son propre système de croyances au regard de ses aspirations. Ce « petit dispositif du sens qui lui permet de mettre en récit sa propre vie et de répondre aux questions ultimes de son existence » (Hervieu-Léger, 2010, p.43) permet à l’individu de surmonter les nombreuses difficultés de la vie moderne et à ne pas s’abandonner à la perte de sens et à la dépression, largement répandues aujourd’hui (Ehrenberg, 1998).