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Figure 2 : Publicités Computer Space (1971).

I.2.1. Jouer à la maison

Deux ans après son lancement sur arcade (1975), Pong est décliné sur des supports variés moins encombrants dont celui ressemblant étrangement à un radio réveil (Home pong) doté d’un

paddle55 à relier directement au téléviseur. Le parallèle entre les formes de jeu dites

traditionnelles et les pratiques sportives peut-être souligné une nouvelle fois avec ce titre s’inspirant fortement des sports de balle où le but est de renvoyer une balle à son adversaire avec l’aide d’une raquette matérialisée par un trait blanc. Le terrain de jeu linéaire va être l’illustration majoritaire du premier jeu vidéo poussant la porte des foyers. Lui aussi aura droit, tout comme son prédécesseur, à des publicités dédiées. Toutefois, au contraire de Computer

Space, le parallèle avec la lingerie de nuit56 est abandonné comme le montre une réclame

destinée à la presse qui se centre seulement sur la mise en scène du dispositif de jeu57.

La paternité de Pong tout comme celle de Spacewar est, elle aussi, discutable. Allan Alcorn, ingénieur de formation (université de Berkeley), fait partie de l’effectif de la société Atari dans laquelle il sera recruté quelques mois après son lancement. Si Pong reste affilié à Nolan Bushnell et un peu moins à son associé Ted Dabney, le rôle décisif d’Al Alcorn est très rarement mis en valeur. Steven L.Kent (op.cit), au-delà de sa frise et à travers les nombreux extraits des acteurs de l’histoire du jeu vidéo qu’il mobilise, illustre cette absence de reconnaissance d’Al Alcorn jusque dans les cercles familiaux des ingénieurs de Pong :

« Un jour mon enfant est rentré de l’école et m’a dit que la fille de Nolan avait dit au professeur que son père avait inventé Pong. Eh bien, je lui ai dit d’aller voir la fille de Nolan et de lui dire : « si ton père a inventé Pong, comment cela se fait qu’il ait dû demander à mon père de venir réparer sa machine quand elle est tombée en panne ? »58 - Kent

La commercialisation de Pong sera le résultat elle aussi d’un travail collectif avec de nombreuses péripéties financières. Même si la société Atari est associée au nom de Bushnell, la timeline de Steven L.C Kent attribue la création du jeu à Allan Alcorn sans pour autant y faire figurer, au contraire de son collègue, des éléments antérieurs sur son parcours professionnel avant Pong. L’histoire de la société Atari est longue depuis sa création en 1972 à ses nombreuses reventes. Deux autres des contributions majeures de cette dernière seront deux créations : la console de

55 Périphérique doté de boutons à tourner selon le sens désiré. 56 Cf.

Figure 2 : Publicités Computer Space (1971)

.

57 Voir exemple réclame Pong : http://www.skooldays.com/blog/pong/ (consulté en février 2019).

58 Traduction personnelle : « My kid came home from school one day and said that Nolan Bushnell’s daughter told

the teacher that her father invented Pong. Well, I told him to go to Nolan’s daughter and say, “If your daddy invented Pong, how come he had to ask my daddy to come fix his machine when it broke down ? », Steven L.Kent

jeu Atari 2600 (1977) et le jeu Adventure (1979). La console restera majoritairement dans les mémoires pour son succès commercial. À l’image des consoles d’aujourd’hui, elle est déclinée au fil des ans en plusieurs types de modèles (S/S2/Jr) avec des changements techniques et de

design. Les consoles de jeux ne sont pas la seule activité de la firme qui se lancera, avec un

timide succès, dans la vente d’ordinateurs (Atari 400 et 800). Les réclames publicitaires de l’Atari 2600 se centrent principalement sur les dispositifs de jeu (consoles, paddles et joysticks). Il est important de noter, et bien que l’Atari 2600 ne soit pas pionnière en la matière avec initialement des jeux non séparés de leur support, que la suite des évolutions techniques de la console marquera la séparation entre hardware et software avec les portages des titres de jeux sur cartouche. Mise à part l’enjeu financier qu’elle constitue (mise sur le marché des titres en plus de celui du support), cette évolution technique marquera la division que l’on connaît aujourd’hui en éditeur de conception logicielle et matérielle (Zabban, 2011).

Nous avons évoqué, mis à part Pong, deux créations. Si l’Atari 2600 est particulièrement mise en avant dans les documentaires et autres récits de vulgarisation de l’histoire des jeux vidéo, il est important pour nous d’en souligner une autre qui n’est d’ailleurs pas une création initiale d’Atari. Il s’agit du jeu Adventure59, dont la non mention de Will Crowthe et Don Woods en leur

qualité de créateurs, sera reprochée à Warren Robinett alors développeur chargé de l’édition pour Atari. Le créateur de la première version du jeu (Will Crowthe) serait un aficionado (Hertz, op.cit.) du jeu de plateau Donjons & Dragons60 comme de nombreux étudiant du MIT de

l’époque bidouillant ensemble les créations ludiques dans les laboratoires des universités américaines. Ce type d’anecdote est souvent mis en avant pour expliquer l’inspiration de l’univers du jeu Adventure et son gameplay. Pour la deuxième version de Don Woods, c’est sa passion pour les livres de J.R.R Tolkien qui aurait influencé les ajouts du développeur à sa version originale. Nous reviendrons sur les anecdotes lourdes de sens dans une partie consacrée à la culture vidéoludique. Il n’est pas curieux de voir que les liens avec la création amateur et l’industrie sont encore présents avec l’exemple de ce jeu. En effet, Warren Robinett confiera avoir découvert ce titre lors de sa fréquentation du laboratoire d’intelligence artificielle de l’université de Stanford (Kent, op.cit.).

La paternité du jeu Adventure est en lien avec l’importance du codage, sa disposition et circulation dans les laboratoires. Cependant, améliorer un jeu et en tirer des bénéfices relève de deux logiques différentes. L’industrialisation des jeux va donc de pair avec des revendications sur la propriété des créations des jeux. Ce manque de reconnaissance du travail de développement sera porté en justice par des développeurs anciennement employés de

59 Originalement nommé Colossal Cave Adventure est le premier jeu à inclure une narration textuelle importante

développée par Will Crowther et Don Woods se déroulant dans un univers médiéval avec des dragons et des cavernes.

l’entreprise incriminée (il n’obtiendra pas gain de cause). L’entreprise Activision61, encore

florissante aujourd’hui, marque l’arrivée de la sous-traitance avec des branches consacrées à l’édition de jeux. Partie plaignante dans l’affaire, elle sera pour un certain nombre, constituée d’employés d’Atari insatisfaits de ce manque de reconnaissance (Zabban, op.cit.). Le code fera justice lui-même. Adventure est le premier jeu avec un « Easter Eggs » (Kline, 2001) traduisible littéralement par « œufs de pâques ». Cette métaphore vient de l’informatique et désigne un élément caché dans un programme et, plus tard, un « clin d’œil », une référence dans les jeux vidéo. La légende raconte qu’un employé d’Atari aurait « dissimulé dans le titre Adventure une

chambre cachée dans laquelle son nom apparaissait en lettres brillantes »62 (Zabban, op.cit.).

Encore et toujours, des détournements sont au cœur de l’histoire.

Outre la bataille autour des droits d’auteurs, Adventure est pionnier pour le gameplay et l’univers qui le caractérisent. Il propose l’exploration de nombreuses salles à la recherche de clefs et d’armes avec pour objectif de tuer trois dragons. L’avancée se fait de manière labyrinthique où trouver son chemin fait partie intégrante du gameplay. Sa dimension exploratoire de la carte qu’il propose, son affiliation à l’univers de la fantasy, vont marquer la naissance des premiers jeux, avec une accordance éponyme frappante, que nous connaissons aujourd’hui sous le terme de « jeu d’aventure ».

Le départ (1978) d’Atari du plus célèbre de ses fondateurs est mentionné dans la timeline de Kent (op.cit.). Il disparaîtra peu à peu de celle-ci après sa reconversion dans la restauration et sa création, en 1983, de la compagnie d’arcade Sente Games. La place accordée à Nolan Bushnell dans l’histoire des jeux vidéo apparaît essentiellement liée à Pong et Atari. Son intronisation en tant que père de l’industrie est justifiée par les premiers chiffres d’affaire engendrés par les technologies vidéoludiques. Si Steve Russell est le plus célèbre représentant des jeux dans les laboratoires, Nolan Bushnell est celui qui les sortira de la kluge sphère universitaire. Ce duo hacker/industrie est complété, et à la fois fusionne ces deux facettes, par un troisième personnage récurrent dès lors que l’on raconte l’histoire des jeux vidéo : Raph Baer.