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Enfin, non. Si l’on regarde de plus près, en vérifiant les biographies des personnes qui y sont listées, l’une d’entre elles a été distinguée sous sa mauvaise identité. En 2007, Danielle Bunten Berry a reçu la célèbre récompense pour son travail et plus particulièrement le jeu M.U.L.E106

(1983). Cependant sur le palmarès (figure n°5) et son site hôte107 , elle est présentée sous son

identité de genre assignée à la naissance bien qu’elle ait fait sa transition 15 années plus tôt. L’erreur ne semble pas due au hasard ni être anodine. Outre son nom qui n’est pas le bon, la photographie choisie pour la faire figurer ne correspond aucunement à la femme qu’elle a été. Pour finir, sa transition est précisée au détour d’une parenthèse sur la page108 biographique sans

que, pour autant, elle soit distinguée sous son nom : Danielle Bunten Berry. Cet exemple édifiant nous permet de voir à quel point la reconnaissance dans ce milieu pour les femmes est problématique, et ce même dans les sphères les plus hautes de la hiérarchie vidéoludique.

105 Disponible en ligne sur le site de l’académie : https://www.interactive.org/special_awards/index.asp (consulté en

septembre 2018).

106 Titre pionnier dans le genre des jeux multijoueur·euse·s par l’exploration qu’il permettait et ses influences

scénaristiques.

107https://www.interactive.org (consulté en septembre 2018).

Si l’on s’appuie sur des exemples plus actuels, cette absence de visibilité des femmes dans l’industrie se nuance légèrement. Des femmes, promues109 à des positions de direction, sont

présentes dans des équipes chargées de la conception des jeux. L’exemple de la production de la série de vidéos110 proposées par le Syndicat des Éditeurs de Logiciel de Loisirs (SELL) en 2017

sur les femmes dans l’industrie en témoigne. Pour autant les conditions de travail de ces dernières ne se font pas sans tensions. Celles-ci sont soulignées (voir l’encadré ci-dessous) par certaines de ces actrices de l’industrie prenant la parole dans les vidéos. Nous avons distingué plusieurs de ces tensions (chiffrées dans l’encadré (n°1) selon la numérologie indiquée ci- dessous) présentes dans les témoignages :

1- Un domaine qui reste largement dominé par les hommes surtout dans ses sphères les plus liées à la programmation.

2- La force des stéréotypes alliés à ces filaires.

3- La difficile intégration par l’adoption « obligatoire » mais dans le même temps « controversée » de certains codes virils.

4- L’intégration et la carrière vécues comme un combat.

109 Pour l’exemple français nous pouvons citer Rebecka Coutaz (directrice du studio Ubisoft d’Annecy), Julie

Chalmette (directrice du management pour Bethesda et présidente du Syndicat des Éditeurs de Logiciel de Loisirs) ou encore Gabrielle Shrager (directrice narrative Ubisoft Montpellier).

110 https://www.youtube.com/watch?v=Yx9ff7dOthY (partie 1/3).

Encadré n°1 : Vidéo SELL « les femmes dans l’industrie du jeu vidéo »

3 - 4 : « Ça m’embête d’avoir à dire ça comme ça, mais, je pense qu’effectivement que les filles dans les milieux techniques, oui je pense qu’on se confronte à ne pas être entendues des fois. Et puis, il faut qu’on prouve deux fois plus de manière générale. Et puis, notre féminité, je la pousse de côté souvent des fois au studio, je ne devrais pas, je sais. Je le sais au fond de moi c’est rationnellement. Je sais mais je ne veux pas qu’on me dise : « bon alors elle est jolie mais elle sait pas tu vois » (Lubna Cecilion, productrice chez Machinegames).

1 - 4 : « Je pense que dans cette industrie, on se heurte toujours à ce mur, où l'on est une femme, une minorité ou quelque chose du genre, quelqu'un qui dit toujours : « tu peux le faire » pour une raison ou une fin. Tu dois prendre ça pour une critique positive et un obstacle défiée à passer au-dessus. J'ai définitivement cette expérience personnelle : être propriétaire de son studio indépendant et une développeuse et une femme d'affaires. Et parfois, il est très difficile de faire des affaires parce que la plupart des corps dans une pièce sont des hommes. Parfois, ils ne veulent simplement pas écouter ce que vous avez à dire, vous devez faire entendre votre voix et vous devez vous battre pour ce que vous avez cru et pour que votre passion soit votre passion » (traduction disponible encadré n°2, Christina Parker, productrice chez Rare Unlimited, vidéo SELL 1/3).

1 - 3 : « Je veux dire que c’est pas évident et que dans un pays latin où les hommes n’ont pas forcément l’habitude d’entendre une femme qui a des opinions très fortes. Il m’est arrivé de me rendre compte comment je vais essayer de m’exprimer d’une façon passionnée que parfois ils trouvent que c’est agressif. Et ça c’est une grande différence entre les hommes et les femmes. Un homme, il peut arriver, il peut se mettre à hurler et c’est plutôt considéré comme normal apparemment et à partir du moment où une femme essaie de s’imposer que ça soit dans une réunion de manière créative autre, il faut que nous on adopte finalement des stratégies que les hommes n’ont pas adoptées afin de se faire entendre » (Gabrielle Shrager, directrice narrative Ubisoft Montpellier, vidéo SELL 1/3). 1 - 2 : « Quand j’étais au CD Projeckt Red il y avait beaucoup de femmes, mais dans le département développement beaucoup moins. Dans le développement et le gameplay elle n’y sont pas. De la même manière, quand j’étais dans une filière d’informatique il y avait 1 seule femme et 200 hommes » (Len De Gracia, directrice chez CD Projekt Red, vidéo SELL 1/3 ).

2 - 4 : « Le problème c’est que c’est un secteur où en tant que femme il faut faire en permanence ses preuves. Un secteur comme l’informatique et dans le développement : « ah ben oui les filles vous êtes uniquement bonnes à faire du graphisme, techniquement vous n’êtes pas là ». Du coup il faut autant se battre, dire : « je suis une fille ok, mais bon là globalement ce que j’ai fait ça autant de valeur que toi ». Et le genre ne rentre absolument pas en ligne de compte en fait » (Berengère Bouttier, association SYNERGIE, vidéo SELL 2/3).

4 : « Quand on parle de programmation, là on sert encore à l’image sociale du rôle de la femme du rôle de l’homme et je pense que les petites filles se rêvent rarement programmeur dans leur chambre à 10, 12 ans. Parce que c’est clairement des maths de la technique, de l’ordi et plein de choses qui sont encore dans l’imaginaire réservé aux garçons » (Frédéric Fruish, responsable game art école ISART Digital vidéo SELL 2/3).

Encadré n°2 : Traductions vidéos SELL

Traduction personnelle : « « I think in this industry you always running to those wall’s, were’s you’re a women or a minority or anything like that, that somebody always say « you can do it» for some raison or a over, you have to take that has a positif criticism and has a ostacle to challenge to you to overcamp. I have definitely this personnal experience : being somebody who own his indie studio and has a devellopeur and also a buisness woman. And sometimes it has very difficult to conduct business cause most evey body in a room who be a men. Sometime they just don’t want to lisen what you have to say, you have to make your voice heard and you have to fight for what you believed and pursue you’re passion » (Christina Parker, vidéo du SELL partie 1/3).

Traduction personnelle « So here at the CD Projeckt Red here definitely a lot fo women, however they are in departments developing much less. In developing and gameplay, they won’t. In the same way when i was in computer science this only 1 women and 200 men » (Len De Gracia vidéo SELL 1/3).

Ces tensions font écho à celles que nous avons soulevées dans la partie consacrée à la professionnalisation dans le milieu de l’informatique111. Ce bond vers des réalités plus actuelles

montre que les lignes dans le domaine bougent d’une certaine manière tout en révélant les mêmes entraves. La présence des femmes dans l’industrie et les métiers vidéoludiques ne semble pas naturalisée avec des représentations et une structuration de ses codes au masculin. Ce détour historique au travers des mécanismes de valorisation et des oubliées de la profession nous montre comment l’histoire est biaisée dès le départ puisque choisie et racontée au travers des machines et de leur conception. Ce sont ces dernières qui y sont valorisées. Le travail sur les logiciels et le secteur exécutif, où l’on retrouve majoritairement les femmes, est, quant à lui, resté dans l’ombre. L’informatique a bel et bien attrapé un « sexe ». Outre l’appropriation des technologies et des postes les plus élevés par une élite, les débuts de l’informatique dévoilent comment l’ordinateur va devenir une technologie construite socialement au masculin. Ses professionnels et utilisateurs experts légitimes sont des hommes. Si l’informatique a attrapé un sexe, les jeux vidéo, eux, ont hérité de ce dernier. Il n’est donc pas étonnant de ne trouver aucune femme chez les hackers à l’origine des premiers détournements vidéoludiques. D’emblée, les portes des laboratoires des universités semblaient doublement fermées à clefs pour les femmes avec de nombreux biais s’opposant à la création d’un espace à elles (Abbate, op.cit.). Cependant, les ordinateurs, tout autant que les technologies vidéoludiques médiées en partie sur ces derniers, vont quitter le domaine des innovations publiques qui les a fait naître pour rejoindre rapidement des logiques industrielles et privées. La démocratisation et la domestication quittant l’élite universitaire amènent à une réflexion en termes d’usage. Suivons donc le fil de l’histoire en interrogeant ses enseignements sur la suite, avec l’arrivée des micros ordinateurs dans les foyers et leur usage.

CHAPITRE 2 : USAGES, CULTURE ET PRATIQUE

L’histoire est racontée d’une certaine manière. Qu’en est-il des appropriations de ces machines et des univers qu’elles proposent ? En gardant le prisme genré, nous allons nous intéresser à l’arrivée des dispositifs vidéoludiques (consoles et micro-ordinateurs) au sein des foyers de générations d’individus dont la croissance depuis la playhistoire ne fait que croître. Les objets, les pratiques et les usages se sont intensifiés, avec la démocratisation de l’informatique et des technologies vidéoludiques, en quittant les laboratoires pour devenir une industrie culturelle à part entière. Opérons cette fois-ci une focale sur les logiques d’appropriation au travers d’une sélection faite à partir de la littérature en sciences humaines et sociales consacrée à l’arrivée et à la « vie équipée » des usagèr·e·s des technologies vidéoludiques.