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T ITRE 1 F ORCE NORMATIVE DES NORMES PRIVEES EN DROIT INTERNATIONAL

Chapitre introductif Typologie des normes privées

T ITRE 1 F ORCE NORMATIVE DES NORMES PRIVEES EN DROIT INTERNATIONAL

L’approche classique qui considère que, sur le plan formel, « est valide la norme qui présente les signes extérieurs d’appartenance, les critères d’identification que retiennent les ‘règles de reconnaissance’ (Hart) propres au système393 », n’est pas

d’une grande utilité en ce qui concerne la validité des normes privées en droit international. En effet, cette forme de validité est établie à l’aide d’un « test de dérivation394 » consistant en une interrogation sur les sources de la norme et sur son

processus d’élaboration395. Dans cette logique, le droit international public ne semble

reconnaître comme valides que les normes directement issues de la volonté des Etats, sujets classiques de ce droit : traités, coutumes, principes généraux de droit international. Or, les normes privées ne sont, par définition, pas issues de la volonté des Etats, mais de celle d’acteurs privés issus de la société civile internationale. Sont- elles donc exclues, a priori, du domaine du droit international ? Pas nécessairement. En effet, il semble de plus en plus largement reconnu que l’établissement de la validité est un processus évolutif, susceptible d’étapes et de degrés396. La validité peut notamment varier dans le temps, dans le sens d’une reconnaissance (établissement progressif d’une coutume) ou au contraire d’une déchéance (c’est le cas, par exemple, de la désuétude d’une norme). OST et VAN DE KERCHOVE parlent

ainsi, au sujet de l’importance du facteur temps dans l’étude de la validité, de « phénomènes évolutifs d’emprunt, de reconnaissance ou de rejet, de transformations tantôt lentes, tantôt brusques397 ».

Nous considérerons donc l’établissement de la validité internationale des normes privées comme un processus en cours, non comme un état. La première étape de ce processus, condition sine qua non de la validité, est la reconnaissance par les sujets du droit international – les Etats – de l’existence des normes privées et de leur

393 OST et VAN DE KERCHOVE, p. 326. 394 Op. cit., p. 327.

395 Il s’agit notamment, dans une conception kelsénienne envisageant le droit comme une pyramide de normes, d’établir si la

norme a été créée conformément aux exigences des normes supérieures.

396 Sur la gradualité de la validité, ses variations dans le temps et l’espace, voir Ost et Van de Kerchove, op. cit., p. 317 s. 397 Op. cit., p. 317.

relevance398 en droit international. Cette reconnaissance permet de mesurer la portée normative des normes privées dans l’ordre juridique international (chapitre 1). Une seconde étape du processus implique un glissement de la reconnaissance du fait vers l’établissement de son statut en droit ou, en d’autres termes, sa qualification juridique ; elle consiste donc à s’interroger sur l’intégration des normes privées dans l’ordre juridique international non en tant que faits normatifs mais en tant que normes juridiques (chapitre 2).

Dans l’étude de ce processus, il nous semble que la notion de « force normative » peut être d’une utilité non négligeable399. Souvent employée « pour des instruments

dont la force prête à interrogations400 » (dont les normes privées sont un exemple

flagrant), cette expression est à distinguer de la « force obligatoire » de la norme. Elle se rapproche des notions de « force juridique », « valeur juridique » ou « valeur normative », sans leur être totalement assimilable. Elle repose sur une question théorique fondamentale, mais qui ne reçoit pas de réponse unifiée de la part des juristes : qu’est-ce qui fait la force d’une norme401 ? Ou, pour préciser la question en

relation avec notre sujet d’étude : qu’est-ce qui fait la force des normes privées dans l’ordre juridique international ? Il existe de multiples indicateurs de la force normative : contrainte, source de la norme (nature de l’instrument, auteur, mise en vigueur, intention de l’auteur), effets de la norme, réception, mise en œuvre402. La

force normative peut être potentielle ou effective, objective ou subjective (conférée ou perçue), intrinsèque ou extrinsèque, symbolique ou régulatrice. Pour C. THIBIERGE, la force normative est composée de trois « pôles » qui permettent de

prendre en compte à la fois ses implications théoriques et ses effets pratiques403 : la valeur normative d’abord, liée à la source de la norme ou « force conférée à la norme par son émetteur » ; sa portée normative ensuite, relative aux effets de la norme ou

398 Ce terme est ici entendu au sens de…

399 La notion de « force normative » a fait l’objet d’un récent ouvrage collectif : C. THIBIERGE et al.,La force normative.

Naissance d’un concept, LGDJ, Paris, 2009, 891 p.

400 C. THIBIERGE, « Introduction », in C. THIBIERGE et al.,La force normative. Naissance d’un concept, LGDJ, Paris, 2009, p.

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401 Voir sur ce point la rubrique que consacre l’ouvrage collectif précité aux réponses à cette question, récoltées « à chaud »

auprès de nombreux juristes : « Réponses de juristes à la question : ‘Selon vous, qu’est-ce qui fait la force des normes en droit ?’ », pp. 857-860.

402 A côté de ces indicateurs « récurrents », THIBIERGE identifie des indicateurs « ponctuels » : nature de la norme elle-même

(statut et legitimité), fonction de la norme, éléments extra-juridiques. Les indicateurs de la force normative sont en général multiples et peuvent être combinés ou accumulés. Voir THIBIERGE, « Synthèse », in C. THIBIERGE et al.,La force normative.

Naissance d’un concept, LGDJ, Paris, 2009, p. 770 s.

« force de la norme perçue, ressentie, vécue et conférée par ses destinataires » ; enfin, la garantie normative404 concernant le respect de la norme, ou « garantie du respect et de la validité de la norme (offerte) par le système juridique».

Sur le plan pratique, la notion de force normative constitue un « outil technique de diagnostic de la force des normes en droit » :

« Le concept de ‘force normative’ permettrait de mettre en mots, en idées et en liens, de manière à la fois unifiante et complexe, des données empiriques que tous les juristes peuvent observer : les manifestations multiples de la force des normes. Non seulement des normes juridiques obligatoires et contraignantes, mais aussi de normes juridiques qui, sans êtres dotées d’une force juridique obligatoire ab initio, n’en sont pas mois revêtues d’une certaine force, au sens d’une capacité à fournir référence, c’est-à-dire à modeler les comportements, à réguler l’action, à guider l’interprétation des juges, à orienter la création du droit par le législateur, voire à inspirer la pensée de la doctrine et, plus largement encore, les représentations sociales du droit405 ».

C’est précisément cette capacité à influer sur les « représentations sociales du droit », notamment celles du droit international, que l’on cherchera à établir et à mesurer à travers la notion de force normative. Pour cela, nous examinerons d’abord la manière dont les normes privées sont perçues par les sujets du droit international (portée normative)406, puis quelle force juridique résulte de la volonté de leurs auteurs de leur conférer une valeur juridique d’une part, mais aussi de leur réception par les sujets du droit international d’autre part (valeur normative). Ceci nous permettra mettre en évidence la validité interne des normes privées – leur validité en tant que phénomène juridique – qui est, à l’heure actuelle et sur le plan formel, une validité encore en devenir.

404 Ce dernier pôle est très lié aux deux pôles précédents, en ce que la garantie normative peut être à la fois potentielle

(valeur) et effective (effet) et que son objet peut être soit de garantir l’effectivité de la norme par rapport à d’éventuelles violations soit de garantir sa validité normative.

405 C. THIBIERGE, « Conclusion », in C. THIBIERGE et al., La force normative. Naissance d’un concept, LGDJ, Paris, 2009, p.

817-818.

406 La portée normative, purement subjective car portant sur les représentations du droit, est à distinguer de l’effectivité des

normes qui sera traitée dans le Titre suivant. Cette dernière porte sur les effets concrets des normes, leur capacité à influencer, dans les faits, les conduites des acteurs concernés – en d’autres termes, sur leur capacité à servir de modèle pour l’action.

Remarque : il est rare que l’examen de la validité d’une norme puisse se limiter à l’une de ses dimensions (validité formelle, factuelle ou axiologique), sans prendre en compte également l’interaction avec ses autres aspects. Ainsi, si l’établissement de la validité formelle d’une norme porte pour l’essentiel sur des questions procédurales, il semblerait que l’examen évolue de plus en plus, dans la pratique, vers un « examen (implicite mais réel) de légitimité et d’effectivité407 ». Nous laisserons cependant de côté pour l’instant, et pour la clarté de l’analyse, ces deux aspects (légitimité et effectivité), qui seront étudiés lorsque nous aborderons la dimension systémique des normes privées (Titre 2).

Chapitre 1. Portée normative : reconnaissance internationale des