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Irrespect et outrage :

L’œuvre de Yasmina Khadra face à diverses violences

Chapitre 1 : Les violences sociales

C. Irrespect et outrage :

Dans le dernier roman de la trilogie, Les Sirènes de Bagdad, l’auteur n’économise aucun effort pour étaler les maux de la société irakienne. Semblable à ses précédentes sur les plans religieux et socioculturel, le texte nous dévoile une société en décomposition continue grâce aux témoignages du héros-narrateur dont on ne connait même pas le nom. Ce jeune bédouin irakien qui au départ transmet l’image d’une société ordonnée et homogène, et dont l’idée est partagée par les membres du groupe social de Kafr Karam dont Yacine un personnage assez ambigu. Le narrateur décrit l’organisation sociale de son village situé au fin fond du désert irakien dans le suivant passage en offrant une image assez parfaite de l’état social homogène et harmonieux:

188 AQRL, p.139

189AQRL, p.140

« La plupart des habitants de Kafr Karam avaient un lien de sang. Le reste était là depuis plusieurs générations. Certes nous avions nos petites manies, mais nos querelles ne dégénéraient jamais. Lorsque les choses se gâtaient les anciens intervenaient pour apaiser les esprits. Si les offensés jugeaient l’affront irréversible, ils cessaient de s’adresser la parole, et l’affaire était classée. »191

Ces mêmes propos seront plus tard avancés par Yacine en disant :

« Ici, dans notre village, les jeunes comme les vieux se respectent. (…) nous sommes tous frères, cousins, voisins et proches… »192

En fait les liens sociaux au sein du village sont très cadrés parce que familiaux. L’auteur plonge le lecteur dans une perception du tissu social irakien basé sur l’esprit de fraternité étant fondée sur la notion d’un groupe de personnes d’un même sang. Rappelant ici que la famille est un élément représentatif de cohésion et d’unité au sein des sociétés arabo-musulmanes tel que le dicte la religion ; tous les gens sont égaux et doivent se comporter dignement et respectueusement entre eux comme s’il s’agissait des membres d’une seule famille. Le lien familial étant un lien spécial, assez fort et indestructible appuie l’idée que veut nous transmettre l’auteur qui relève au degré d’implication de tous les membres du groupe et donc du caractère sacré de cette relation entre les différents éléments qui composent le groupe social de Kafr Karam.

En avançant dans la lecture, le lecteur s’aperçoit que le profil parfait offert au départ par les deux personnages est assez trompeur, car il se rend très vite à l’évidence que le tissu social du village, de la grande famille est en train de s’effriter, il est en état de décomposition avec assez forte remise en question de tout ce qui a été avancé au préalable. Nous assistons à une transgression des lois tribales imposées et respectées au départ. D’ailleurs le premier qui va être

191 SB, p. 29

l’élément représentatif du désordre et de la discorde est Yacine, incarnant au départ la voix de l’homogénéité sociale, mais finit par dépasser les limites exigées et fait abstraction du respect du droit d’ainesse avec Omar le Caporal, un ancien militaire déserteur, et qui fut l’une des multiples victimes du futur bourreau.

Sayed, le fils de Basheer le Faucon, un quinquagénaire installé à Bagdad où il gère son commerce en produits électroménager, mais qui rend visite à sa grande famille à Kafr Karam régulièrement ; essaye d’éclairer le jeune bédouin Yacine sur les répercussions de tels comportements sur l’unité du groupe social qui est déjà affectée :

« Depuis quelques temps tu te conduit en tyran, Yacine. Tu bouscules l’ordre des choses, ne respecte plus la hiérarchie tribale ; tu t’insurges contre tes aînés, vexes tes proches, aimes à les humilier en public ; tu hausses le ton pour un oui ou pour un non… » 193

L’image de ce tissu social fragile et morcelé, mise en avant par l’auteur, n’est pas spécifique au village de Kafr Karam mais elle est généralisée car au fil de la lecture nous observons lors du voyage entretenu par le héros en direction de Bagdad que la mutation de la société irakienne en proie à toutes les vicissitudes offre une grande fresque de la dislocation communautaire.

Profondément enracinés dans les contextes socio-culturels algérien, afghan, palestinien et irakien ; les romans du corpus entretiennent un rapport étroit avec la réalité sociale. Elles se présentent comme une véritable étude sociologique des différents comportements individuels et collectifs. Les textes de Yasmina Khadra ont tendance à se distinguer des autres productions littéraires par leur capacité à offrir une image globale, voire même une synthèse de la situation sociale réelle en mettant le doigt sur les multiples maux sociaux et leur impact sur les individus et sur la collectivité.

Via le cheminement social des héros et des différents personnages, le lecteur arrive à avoir une idée globale et lucide sur les situations sociales variées au sein des différentes communautés. Au fil de la lecture, celui-ci découvre que le profil offert par le narrateur est loin d’être parfait, où il est question d’une multitude de malaises ou plutôt violences sociales qui envahissent les textes et rendent compte de l’état de gangrène auquel est arrivé les différents groupes sociaux. L’auteur ayant recours à cette stratégie narrative veut mettre en relief l’image d’un ensemble de sociétés en proies à toutes les violences qui sont de natures et de formes différentes.

L’image perçue par le lecteur, est celle d’une société décomposée, sans repères, qui semble plonger dans la médiocrité et la déchéance humaine. Les maux sociaux qui prennent la forme de violences se présentent dans les œuvres de Yasmina Khadra sous différentes formes à savoir : misogynie, ébranlement des liens de paternité et de fraternité, adultère, homosexualité, pauvreté, stratification sociale, banditisme, chômage, ……. Les romans à l’étude ne peuvent sont perçus alors comme une véritable analyse sociologique qui relève d’une volonté de l’auteur, celle de dépeindre la réalité sociale catastrophique dans ses détails les plus médiocres et les plus répugnants. Ceci traduit en fait une sensibilité aux circonstances et aux contingences singulières de la vie des êtres dans leur aspect privé et public. Cette sensibilité et ce désir de dire les choses vont de pair avec une faculté particulière de figurer le malaise social dans son urgence, sa complexité et son chaos. Ainsi l’auteur s’engage à mettre à nu toutes

ces sociétés afin de rendre compte d’une situation de déséquilibre en évoquant le plus souvent et de façon plus précise les maux et les violences qui affectent les sociétés en question