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Banditisme et escroquerie:

L’œuvre de Yasmina Khadra face à diverses violences

Chapitre 1 : Les violences sociales

B. Violences conjugales :

6. Banditisme et escroquerie:

Dans les cinq romans du corpus, l’auteur explore inlassablement les failles et les dérapages que connaissent les sociétés : algérienne, afghane, palestinienne et irakienne. Envahies par des fléaux destructeurs des valeurs morales et humaines, celles-ci sont plongées dans l’insécurité où le lecteur sent cette angoisse perpétuelle vécue par les personnages. En fait le banditisme ainsi que l’escroquerie concerne un ensemble d’actes criminels qui laisse un impact négatif sur les victimes qu’il soit d’ordre psychique, physique ou matériel et développe chez eux un sentiment d’insécurité.

Dans A Quoi rêvent les loups, le lecteur perçoit rapidement la dégradation des valeurs morales au sein de la société algérienne et assiste de manière quasi permanente via le récit de vie du héros-narrateur Nafa Walid aux volte-face de certains personnage qui changent de cap selon la situation tel que Mourad Brik et Omar Ziri.

Après l’incident de mort de la jeune adolescente par overdose chez les Raja et la mutilation du cadavre à la forêt Bainem ; Nafa Walid décide d’abandonner son travail. De retour à la Casbah, il était perdu, cloitré dans sa chambre médiocre, et emprisonné de ses cauchemars incessants. Son quotidien devenu effrayant et obsédant le met dans un état de démence. Il voulait à tout prix sortir de cet enfer, fouir la pauvreté et la misère, réaliser son rêve de devenir acteur de cinéma. Ses tentatives veines le rendait vulnérable jusqu’au jour où il rencontre de nouveau Mourad Brik un, une vieille connaissance qu’il avait perdu de vue :

« Mourad Brik avait partagé ma chambre (…) pendant le tournage des Enfants de l’aube(…) nous étions deux jeunes comédiens ambitieux… »169

Décelant dans le regard de Nafa, le désir d’évasion, Mourad Brik profite du désarroi grandissant du héros, et tire profit en lui faisant comprendre qu’il y avait une possibilité de se débarrasser de cette situation médiocre, pour flirter avec la fortune et la célébrité en optant pour l’émigration en France. La seule condition imposée par l’escroc pour pouvoir réaliser cette étape est de donner de l’argent comptant :

« vingt mille dinars cash, et trois mille FF à l’embarquement… »170

Le problème financier étant arrêté, Nafa commence à rêver de studios parisiens, de scénarios sous le bras, bref de gloire, sans se rendre à l’évidence que sa vieille connaissance avait profité de son état désinvolte pour lui soutirer de l’argent. Mourad Brik s’est volatilisé, laissant derrière lui un Nafa bredouille et dépressif.

L’autre cas d’escroquerie est Omar Ziri, un personnage qui détenait les comptes d’un réseau d’aide aux familles des déportés dans le besoin. Ce dernier, avant les événements d'Octobre 1988, représentait l’homme algérois de pure souche, avec le tatouage aux biceps, le béret basque, et le cran d’arrêt à la ceinture. Il était accoutré à la langueur d'année d'un bleu pelé aux genoux et d'un tricot de matelot usé .Il était le patron d’une gargote qui se transforme en un «Resto de cœur » pour les mendiant et les plus démunies au lendemain de l’avènement du FIS. C’est le stéréotype du personnage «profiteur qui change d’idéologie selon ses intérêts ». Il fut tué par les islamistes parce qu’il puisait dans les fonds du mouvement pour élever sa villa à Cheraga.

Aussi Les Sirènes de Bagdad relate ce dérapage comportemental. Le voyage effectué par le jeune bédouin en direction de Bagdad après l’incident de

169 AQRL, p.123

mutilation subie par sa famille et plus exactement son père qui a enduré la pire des violences de la part des groupes d’intervention américains débarquant au village et bouleversant l’ordre des choses. Le spectacle affreux auquel assiste le héros en percevant l’appareil génital de son père mutilé par les GI le choque et le frustre. Il décide alors de quitter cette bourgade devenue maudite à ses yeux dans le but de « laver l’affront dans le sang» en direction de la capitale irakienne Bagdad où il découvrira sur son chemin un Irak totalement métamorphosé. Il ne s’agit plus de ce pays autrefois serein, en paix ; représentatif de la culture et de la civilisation babylonienne, il est en proie à toutes les dérives dangereuses. Il ne s’agit pas uniquement pas uniquement d’un espace en pleine mutation mais au-delà, les esprits ont changé avec optant pour férocité inégalée. Le héros décrit cet esprit maléfique à travers leur identification à un animal sauvage et dangereux qu’est le loup. Malgré leur jeune âge, ces enfants affichent la posture de cet animal sauvage imprimant peur et danger :

« Le sac contre ma poitrine, je surveillais une bande de louveteaux qui rôdait autour de mon banc. (…) le manche d’un couteau dépassait de sa poche…»171

L’image du « loup » reprise un peu partout dans tous les romans du corpus avec une vision assez claire du degré de menace que représente celui-ci, il est synonyme d’embûche et de perdition. L’image de ces louveteaux qui vagabondaient autour de leur proie donne l’impression d’un imminent danger et risque auquel est exposé le jeune bédouin non habitué à ce genre de situations et dont la sensibilité et la fragilité transparaissent sur le visage.

Ces humains louveteaux ne reculeraient devant rien pour s’accaparer de leur proie et de tout ce qu’elle possède. C’est dans le passage qui suit que cette idée de menace et de péril fut confirmée à travers l’agression subie par le héros. Celui-ci fut suivi et coincé dans l’obscurité par ses agresseurs qui n’économiseront pas de violence pour assujettir leur proie et s’emparer d’un maximum d’objets et argent, et de laisser derrière eux une victime détraquée :

« (…) des ombres surgirent de l’obscurité et me foncèrent dessus. Pris au dépourvu, je m’écrasai contre un mur. Des mains se cramponnèrent à mon sac et essayèrent de me l’arracher. (…) les esprits frappeurs redoublèrent de férocité. » 172

Après ce premier incident, le héros reste traumatisé mais combien même sort indemne malgré les quelques dommages corporels et matériels, il se dirige vers une gargote pour se nourrir sans que son esprit soit totalement libéré de cette image d’agression obsédante qui le baigne dans une angoisse éprouvante. Lorsque le serveur décèle la fébrilité du héros, il essaye de l’apaiser en l’orientant vers un petit coin sensé être un lieu serein « la mosquée » :

« Il y a une mosquée à l’autre bout de la rue, (…). Les gens de passage y sont hébergés pour la nuit. Là-bas, au moins, tu peux dormir sur tes deux oreilles. » 173

La maison de Dieu est un lieu saint, certes de culte, mais reste ouvert à tout le monde même les gens de passage, où les voyageurs peuvent y passer la nuit tranquillement faute de moyens ou de confiance. La mosquée dans l’Islam est un lieu symbolique, il est le plus aimé de Dieu, de son prophète Mohammed, des compagnons, des croyants, de chaque musulman et musulmane car il est l’endroit dans lequel chaque croyant retrouve sérénité et béatitude. Cette idée est exprimée dans le texte par le serveur, mais elle représente aussi une perception commune de la sainteté du lieu sacré.

Confiant, le héros se dirige vers le lieu saint, la maison de Dieu où il pouvait se reposer tranquillement sans ruminer la scène d’agression dont il a été victime. A la mosquée, son sommeil était ponctué de cauchemars incessants, mais sa plus grande surprise survient au réveil, lorsqu’il constate qu’on lui avait volé la totalité de son argent :

172 SB, p.171

« Dans la salle, la plupart des dormeurs avaient plié bagage. (…) il ne restait que quatre misérables loques encore couchées. Quant à mon sac, il n’était plus là. Je portai ma main à la poche arrière de mon pantalon ; mon argent avait disparu »174

La situation vécue par le héros n’est pas habituelle, car elle représente un acte de violation non seulement du lieu saint mais aussi du conformisme social et religieux. Ici nous assistons à un véritable paradoxe car la perception du lieu sacré offerte au préalable par le serveur est désacralisée cédant la place à une image nuisible à l’ensemble des normes humaines et tous les préceptes de l’Islam. Le vol étant une chose interdite pour lequel l’auteur reçoit un châtiment suprême, couper la main, devient quelque chose de banal au sein d’un lieu aussi sacré, pur. En fait la situation décrite au sein de la mosquée, celle du vol de sac et de l’argent du jeune bédouin dans un lieu de pureté, n’est que le reflet d’une grande perdition, d’acculturation à la fois sociale et religieuse, d’une société qui remet en question toutes les règles et normes communautaires et religieuses.