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Les Sirènes de Bagdad :

Chapitre 4 : La symbolique des titres chez Yasmina Khadra

2- Analyse des titres de Yasmina Khadra :

2.5. Les Sirènes de Bagdad :

Ce titre du troisième roman de la trilogie consacrée au conflit opposant l’orient à l’occident est construit syntaxiquement sur le même modèle que les précédents titres(Les Agneaux du seigneur et Les Hirondelles de Kaboul), il est composé d’un syntagme nominal « les sirènes » suivi d’un syntagme prépositionnel « de Bagdad ». La particularité de ce titre réside dans le lieu de

l’histoire qu’est la capitale irakienne Bagdad. Par le biais du lieu, l’auteur met en avant un enjeu important appuyant la crédibilité de son récit : l’actualité en Irak.

Dès la lecture du titre et malgré l’indication géographique réelle, le lecteur se pose des questions sur le lien que peut entretenir « les sirènes » avec la capitale irakienne « Bagdad » car le terme prête à confusion dès le départ. Celui-ci renvoie à des acceptions différentes.

De prime à bord le terme « sirène »93 renvoie à des créatures mythologiques hybrides, des êtres fabuleux dont le haut du corps est celui d’une femme et le bas à partir de la taille est celui d’un poisson qui selon les légendes attirait les marins par leur chants mélodieux, les retenaient prisonniers ou les faisaient périr sur les écueils. Dans l’Odyssée d’Homère les sirènes sont des être merveilleux mi-femme, mi-oiseau appartenant aux divinités de la mort, auxquels Ulysse et ses compagnons résistèrent en se bouchant les oreilles avec de la cire.

Par dérivation la sirène renvoie à une personne qui par le charme et l’habilité de son discours arrive à séduire ou à endoctriner quelqu’un, ou encore revoie à une femme ayant un très grand pouvoir de séduction. Dans un autre sens « les sirènes » renvoient à un appareil servant à produire un signal sonore très puissant, utilisé le plus souvent comme un moyen d’appel ou d’alerte.

Toutefois le même questionnement posé par le lecteur du titre sur la valeur symbolique du terme « sirène » apparait de la manière suivante : s’agit-t-il des êtres mythiques qu’Ulysse a rencontrés dans son voyage ? Ou bien est-il question des alarmes de sirènes des ambulances transportant les morts ? Dans le roman le même questionnement est posé à travers l’intervention du narrateur qui confirme ce double sens du mot « sirène » évoqué dans le titre :

« - je l’ai intitulé Les Sirènes de Bagdad.

- Celles qui chantent ou bien celles des ambulances.

- C’est à chacun de voir. »94

« La sirène » est alors ce signal sonore synonyme de situation particulière et correspond parfaitement à l’actualité irakienne. Donc celle-ci rappelle l’actualité de L’Irak, pays ou règne la guerre et la violence lancées et dites dès le début.

Par l’aspect de son discours séducteur, les sirènes rappellent aussi cette logique de l’endoctrinement ou d’adhésion à la logique terroriste qui conduit l’adhérant à sa perte à travers le maintien d’un discours assez convaincant et persuasif par les recruteurs intégristes ; dans le roman c’est le Docteur Jalal qui semble se rapprocher de cette symbolique de la sirène puisqu’il est le porte-parole de l’idéologie intégriste :

« Il était en passe de devenir le chef de file des pourfendeurs du Jihad armé. (…) sans crier gare, il s’est retrouvé aux premières loges de l’Imamat intégriste. »95

Par rapport aussi à cette symbolique du chant merveilleux des sirènes, en avançant dans la lecture, nous constatons aussi que « Les Sirènes de Bagdad » est le titre d’une cassette vidéo où se produit Fairouz, la diva libanaise, qui met en transe le meilleur ami du narrateur passionné de luth et qui peut résonner par son aspect de divertissement et d’espoir.

De ce fait, le choix du titre n’est nullement le fait du hasard mais relève plutôt d’un long travail sur le signifié entre dénotation et connotation et joignant à la fois l’actualité à l’idéologie en abordant la thématique de l’incompréhension entre deux fronts : l’Orient et l’Occident, avec au centre le terrorisme et l’intégrisme. Par le biais du symbole de « la sirène », l’auteur a su établir une passerelle entre le titre du roman et le texte. En fait le titre « Les Sirènes de

Bagdad » par toute sa charge symbolique anticipe le récit par l’énonciation des

94 SB, p.87

destins tragiques et par conséquent ne présente pas une rupture sémantique mais bien au contraire permet de se situer par rapport au contenu du récit.

L’analyse des titres des romans de Yasmina Khadra nous a permis de repérer et de relever les éléments suivants :

 La structure syntaxique des titres est assez variable allant de la plus simple (déterminant+nom) dans L’Attentat à la plus complexe (syntagme nominal+syntagme prépositionnel dans Les Agneaux du

Seigneur, Les Hirondelles de Kaboul et Les Sirènes de Bagdad ou

encore la phrase interrogative pour A Quoi rêvent les loups).

 Les cinq tires du corpus sont thématiques car ils reflètent le contenu de l’œuvre même si cela passe par une charge symbolique extraordinaire.

 Tous les titres renvoient à des contextes politiques spécifiques brulants : pour le diptyque il s’agit de la situation de guerre civile qui a prévalu en Algérie durant les années 90, quant à la trilogie, l’auteur met en avant l’actualité internationale de: L’Afghanistan, La Palestine et L’Irak.

Les titres du corpus à l’exception de L’Attentat marquent une forte présence de l’animal (agneau, loup, hirondelle et sirène).

 Les titres possèdent une charge symbolique et poétique exceptionnelle où l’auteur tend à choisir des symboles (agneau, loup, hirondelle, sirène) qui peuvent appuyer l’idée véhiculée par le titre et le texte à la fois ; joignant à cela un caractère poétique nourri de métaphores. Le recours à ces symboles, et métaphores agneau et loup pour décrire la bestialité à laquelle était réduite la société algérienne, les hirondelles qui renvoient à la réalité chaotique des femmes afghanes ou encore les sirènes qui rappelle la guerre et l’urgence ; est déterminé par un rapport de dualité et d’ambivalence.

 Les titres du corpus par leur charge symbolique semblent être des annonceurs de violence que ce soit dans leur sens connotatif ou dénotatif (agneau, loup, hirondelle, attentat et sirène) et ancrent le lecteur dès le début dans la sphère tragique et agressive du récit.  Semblable à un énoncé publicitaire les cinq titres remplissent à notre

avis trois fonctions : la première est celle de la fonction référentielle qui sert à informer, la seconde est la fonction conative qui cherche à convaincre et la troisième et dernière fonction est la poétique qui vise à séduire et à provoquer l’admiration.

Partie II

L’œuvre de Yasmina Khadra face à