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4. C ADRE THEORIQUE

4.5. E NJEUX

4.5.2. INVESTISSEMENT DANS LA FONCTION FORMATION ET STRATEGIE

Selon Aubret et al. (2005), l’analyse des investissements consentis dans le capital humain est au cœur des enjeux des pays occidentaux qui « prennent progressivement conscience que les connaissances, les qualifications et les compétences acquises constituent un atout essentiel pour leur sécurité et leur réussite à venir » (p. 136) que l’on parle de cohésion sociale, de plein emploi ou de prospérité économique. Mais ce capital humain est incorporé aux salariés, tout comme les effets de la formation sont endogènes. La théorie « repose sur une analogie avec la théorie du capital physique : l’éducation et la formation sont considérées comme des investissements que l’individu effectue rationnellement en vue de la constitution d’un capital productif inséparable de sa personne » (p. 118).

Tant que leurs investissements n’ont pas été rentabilisés, les entreprises ont donc intérêt à maintenir une relation d’emploi durable. Dans la relation salariale, le caractère consensuel de la formation n’est qu’apparent. Lorsqu’elle est organisée à l’initiative du salarié – et sur ses propres deniers – , la formation constitue un “détour de consommation” : le salarié se prive de consommer dans l’espoir de gains futurs obtenus grâce à la formation. Organisée à l’initiative de l’entreprise, elle est pour elle un “détour de production” : elle sort des individus du cycle de production dans l’espoir de gains engendrés dans le futur par des individus formés. Il y a dans chaque cas une sorte de pari. Chaque acteur s’efforce d’en déduire le risque. Le salarié tente d’obtenir une prise en charge de son entreprise ou d’un financeur public. L’entreprise en appelle au co-investissement formation ou à des formules de formation-action moins risquées, d’où l’on voit naître un nouveau regard sur la relation formation-emploi. (Aubret et al., 2005, p. 117)

Cela a plusieurs conséquences en matière de gestion et d’investissement dans la fonction formation. En effet, les organisations auront tendance à soutenir des formations spécifiques à leur contexte, directement utilisables et adressées à des travailleurs en début de carrière professionnelle plutôt que des formations centrées sur des compétences transverses profitables à d’autres organisations et sur plus long terme. En effet :

[Les organisations] ont tendance à réduire leurs efforts dans ce domaine en raison de la mobilité croissante du travail et en sachant que toute personne absente de son poste représente un coût de fonctionnement supplémentaire.

Des formations orientées vers la seule adaptation au poste de travail sont de plus en plus privilégiées car les financeurs et les prescripteurs attendant davantage de productivité de la formation. Celle-ci se doit d’être de plus en plus étroitement

liée à l’activité et immédiatement “rentable”. Cette attente de cohésion avec le travail est d’autant plus forte que la part du financement de la formation pris en charge par l’entreprise est importante. (Enlart & Jacquemet, 2014, p. 57).

Nous l’avons exposé, si une organisation désire rester compétitive, il est primordial qu’elle réfléchisse sur la manière dont elle peut contribuer au développement des compétences de ses collaborateurs tout en composant avec leurs profils différenciés et répartis entre les trois générations “X”, “Y” et “Z”. En effet, « la rapidité et la diversité de changements parvenus sur toutes les composantes de l’environnement de l’entreprise l’ont contraint à revoir et à repenser ses stratégies pour garantir sa pérennité » (Boudabbous, 2007, p. 115). Il apparaît alors qu’une gestion efficace des ressources humaines, dont la fonction formation, est l’élément de différenciation principale en matière de développement et de pérennité entre les organisations. C’est pourquoi, « l’entreprise devra, dans son intérêt, intégrer la formation dans sa stratégie. Elle doit l’intégrer dans un processus méthodique, organisé et permanent » (ibid., p. 116). Cette gestion stratégique devrait permettre « une mise à niveau permanente des structures et des ressources de l’entreprise et, en particulier, de sa ressource humaine qui constitue un capital-expérience et un capital inestimable » (ibid., p. 3). Ainsi, bien que le capital humain ne se réduise pas à la formation (Aubret et al., 2005), une politique de gestion pertinente en capital humain, à travers la fonction formation, est un levier important, tant sur un plan privé, public ou sociétal comme en témoigne la “figure 1 : Modélisation des effets de la FCP” présenté dans le contexte. Cela est expliqué par l’OFS (2016e) :

Le niveau de formation, sous forme de qualifications, de compétences et d'autres aptitudes, est un important facteur d'épanouissement personnel. Il existe des liens étroits entre la formation et d'autres dimensions du bien-être telles que le revenu, le travail, la santé et le réseau social. La formation comme composante du capital humain est ainsi un élément essentiel de la compétitivité et de la capacité d'innovation de l’économie ; elle joue un rôle important dans la génération du bien-être.

Or, selon l’étude de Boudabbous (2007), seule la moitié des directions d’entreprises perçoivent la formation comme un investissement au service du développement, l’autre moitié la définissant comme une charge financière et temporelle. Hanhart (2007) procède aux mêmes conclusions en expliquant que cela est dû au fait que les organisations sont incapables de mesurer le stock en capital humain et de calculer l’investissement accordé ainsi que le rendement espéré ou acquis. Or, nous l’avons explicité, « le processus de création de richesse au sein des entreprises de n’importe quel secteur d’activité repose sur les connaissances et les compétences et moins sur les actifs physiques. Dans les services,

le premier facteur de production est la ressource humaine » (Lhomme & Robert de Massy, 2011, p. 184). Si la formation n’est pas la seule modalité pour développer le stock de capital humain, c’est un levier fondamental. Le lien entre gestion du capital humain et performance permet de comprendre qu’« identifier, mobiliser et enrichir au mieux le capital humain et les patrimoines de compétences et de connaissances représentent un enjeu particulièrement décisif. On trouve ici la justification économique première de l’investissement formation » (ibid.).

La recherche (Hanhart, 2007 ; Emery, 2007) a permis de mettre en exergue des facteurs influençant les décisions d’investissement en formation de la part des organisations. En voici une synthèse dans le tableau suivant.

Critères liés à l’individu

Sexe masculin Temps plein 26-50 ans

Ancienneté et expérience dans la fonction Investissement professionnel et personnel Capacité de négociation

Souvent recours à la formation Autonome dans la fonction

Niveau hiérarchique élevé avec responsabilités Niveau de qualification élevé

Bonne entente avec la hiérarchie Bon réseau (opportunités)

Critères liés à l’organisation

Secteur public Domaine de la santé Grande entreprise Avec centre de formation

Plan stratégique de la fonction formation

Critères liés à la formation

Obligatoire Non certifiant

Liée à la fonction, utile au poste Compétences utiles immédiatement Dans l’environnement proximal

Figure 20: Critères favorisant les décisions d'investissement en FPC

Nous pouvons constater que les critères favorisant les décisions d’investissement en FPC reposent majoritairement sur des aspects liés aux individus. Il est également intéressant de relever que seulement 15% des organisations possèdent leur propre centre de formation et que leur existence dépend de la taille de l’organisation. De plus, 30%

seulement des entreprises utilisent des plans stratégiques pour la fonction formation. A nouveau, leur utilisation croît avec la taille de l’entreprise. En lisant ces critères, il est aisé de comprendre que tout un pan des salariés pourrait souffrir d’un manque d’investissement malgré le rôle important qu’ils jouent dans l’organisation. Citons par exemple, les salariés se situant à 10-15 ans de l’âge de la retraite : « employeurs et salariés hésiteraient à investir à

proximité de la date de sortie du marché du travail. La politique de l’emploi en fin de parcours professionnel est donc susceptible d’influencer les pratiques de formation continue des seniors. … . [Alors que] les seniors seraient tout aussi capables d’apprendre que les plus jeunes, pour autant que l’on tienne compte de leurs besoins spécifiques dans la conception des formations » (Greenan et al. 2012, p. 134). C’est pourquoi la fonction formation doit impérativement se professionnaliser et intégrer la stratégie des organisations à l’aide d’outils de pilotage favorisant des décisions éclairées.

Selon Faisandier & Soyer (2007), « pour obtenir une véritable intégration de la formation dans la stratégie de l’entreprise, il est nécessaire de faire piloter ce système par quelques stratèges de l’entreprise, c’est-à-dire par l’encadrement supérieur et de mettre en place un

“réseau” pour l’application de la politique formation et des orientations définies par ces stratèges » (pp. 83-84). A travers le lien fort que l’on a pu établir entre l’ingénierie de la formation et les pratiques des ressources humaines ainsi que l’aspect intégratif entre la fonction RH et la fonction formation, le responsable de formation doit désormais être un véritable moteur dans les synergies, la coordination et le pilotage des pratiques de gestion de la fonction formation. A cette fin, il doit proposer des processus facilitant la prise de décision éclairée et favoriser la mise en exergue du retour sur investissement espéré et obtenu. Il est également nécessaire qu’il intégre des approches interdisciplinaires par l’identification d’indicateurs pertinents, c’est-à-dire adaptés au contexte de l’organisation qu’ils soient d’ordre économiques, sociaux, stratégiques ou opérationnels.

Tout projet important nécessite, pour sa conception et sa réalisation, l’intervention d’une équipe pluridisciplinaire dans laquelle le responsable formation trouve sa place, car il est celui qui fera prendre en compte, par ses collègues, les aspects socio-organisationnels des mutations de l’entreprise.

Intégrer la formation dans la stratégie de l’entreprise, c’est donc tout d’abord impliquer son pilote dans les changements majeurs de l’organisation. C’est faire en sorte que les décideurs des stratégies et ceux des grandes options sur la formation ne fassent qu’un. (Faisandier & Soyer, 2007, p. 84)

Le responsable formation a une responsabilité importante dans l’organisation car « on ne peut pas mettre en œuvre la stratégie de l’entreprise si on ne couvre pas toutes les compétences qui sont nécessaires » (Fernandez, 2007, p. 21). En effet, si les organisations sont à même d’élaborer une vision stratégique, il leur est plus compliqué de s’assurer de posséder toutes les ressources humaines nécessaires en matière de compétences et à l’inverse, tous les collaborateurs n’arrivent pas à identifier dans quelle mesure ils peuvent contribuer à l’atteinte des objectifs stratégiques. Ainsi, il est évident que le responsable formation ne doit pas se cacher, à l’abri des regards, mais bien communiquer sur son plan,

ses actions, son rendement afin de créer une synergie utile pour le développement de l’organisation, de son collectif et de ses individus. Pour ce faire, le responsable formation doit développer un réseau d’acteurs dans l’organisation et en dehors. De plus, pour posséder une valeur stratégique, la fonction formation doit être intégrée au développement de l’organisation et « le point de départ n’est pas le sujet de la formation en soi, mais plutôt l’arrimage des activités de développement des ressources humaines et des initiatives de changement avec les propriétés de l’organisation » (Rivard & Lauzier, 2013, p. 21).

Points clés : Malgré qu’il est établi que la gestion des ressources humaines permet aux organisations de rester concurrentielles dans un marché complexe, ces dernières continuent à sous-investir dans la fonction formation. Même s’il a été constaté que les décisions d’investissement sont majoritairement liées aux critères individuels des salariés, les stratégies d’investissement des organisations en matière de formation restent encore opaques. Il est nécessaire que la formation soit intégrée dans la stratégie des organisations et que la gestion des ressources humaines se réalise en interdisciplinarité, à l’aide d’indicateurs partagés.