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Influences mélodramatiques dans la littérature sérialisée

Du fantastique dans la sérialité

Chapitre 1 : La sérialité littéraire

2. Influences mélodramatiques dans la littérature sérialisée

La littérature du XIXe siècle voit l’apparition d’une nouvelle forme d’écriture. Celle-ci laisse apparaître un goût prononcé pour le sensationnalisme à partir des années 1830. Les influences du « roman-feuilleton » sont multiples, mais il en est deux, très référencées, qui se démarquent, particulièrement en Europe. Il s’agit, comme le développe Danielle Aubry, du mélodrame et du roman gothique. Le premier se définit comme « la croyance en une nature essentiellement bonne ; la vertu triomphante, que l’on associe aux gens simples et pauvres, le vice prenant racine dans les classes privilégiées ; et enfin, la prédominance de l’émotion sur la raison113 ». On y retrouve dès lors

des caractéristiques communes telles que la systématique persécution des innocents à travers un manichéisme sans faille. Le mélodrame s’intéresse de plus près aux milieux criminels disséminés à travers la ville et ajoute de nouvelles formes au sensationnalisme. Aubry définit ce dernier grâce à l’intervention de l’élément pathétique cité par Aristote dans sa Poétique : « une action qui provoque destruction, douleur, comme les agonies présentes sur la scène, les douleurs très vives, les blessures et toutes les choses du même genre114 ». Elle y ajoute cependant, en ce qui concerne une œuvre

sensationnaliste, la nuance suivante : les éléments pathétiques y sont utilisés à outrance, sans justification logique afin de provoquer une émotion primaire.

On cherche à exagérer afin de toucher le lecteur ou le spectateur (au théâtre) à travers l’utilisation outrancière de procédés telles que la musique ou la redondance des effets spéciaux (coups de tonnerre, incendies, etc.). Le roman-feuilleton en devient de plus en plus sombre et irraisonné. La multiplication des éléments pathétiques rend le tout invraisemblable mais pourtant convaincant pour un lecteur habitué à être face à la misère. En réalité c’est moins l’intelligence du lecteur que son imagination qui y est stimulée à travers l’utilisation récurrente de la peur et des superstitions en tous genres. De là découlent deux réactions du public : soit celui-ci aime à voir des situations desquelles il est exempt, soit il les rejette totalement s’il retrouve trop d’élément le confrontant à sa propre réalité. Le sensationnalisme justifie d’ailleurs son existence en se nourrissant « du possible qui est improbable115 ». Les auteurs des romans-feuilletons se voient

obligés de réfléchir (parfois à plusieurs) sur les réactions que doivent avoir leurs personnages face à

113 Danielle Aubry, op. cit. p. 56.

114 Aristote, Poétique, Paris, Librairie générale française, 1990, p. 102. 115 Danielle Aubry, op. cit., p.60.

des situations totalement improbables. Cela est d’autant plus remarquable pour des auteurs comme Eugène Sue qui écrivent quasiment de manière aléatoire puisque sans plan narratif et sans jamais savoir où ils se rendent d’un numéro à l’autre. La sérialité favorise l’émergence du mélodrame grâce à la multiplicité des intrigues, des personnages et des rebondissements. Un engouement total se déploie autour du mélodrame et toutes les classes sociales y trouvent leur compte car les intrigues ne reposent pas sur l’intelligence du lecteur mais sur l’anticipation des émotions que sont susceptibles de provoquer des situations extrêmes tels que le danger, la mort ou encore la jalousie.

La mise en avant excessive de ces sentiments, d’ordinaire éjectés de la vie sociale de par leur caractère dangereux et tabou, en revient à provoquer une catharsis qui n’oblige pas le lecteur à se remettre en question mais, au contraire, le pousse à trouver dans les personnages de son roman- feuilleton favori des avatars symboliques, ceux-là mêmes qui seront capables de se substituer à lui. Le mélodrame se cristallise dans une forme de chaos narratif propre à faire se mouvoir les personnages. Dans une large partie des mélodrames, la tension est évacuée à la fin du roman grâce à la victoire de la vertu sur le vice, entraînant ce qu’on pourrait nommer de nos jours un happy–end. Pourtant, le mélodrame reçoit l’influence du romantisme noir et du roman gothique et va tourner le dos à ces dénouements. L’horreur subsiste et c’est la mort qui triomphe à la fin. Ce modèle devient le plus accepté et dès lors, il est toujours possible de prédire une fin atroce aux personnages des romans-feuilletons, même les plus vertueux. On voit la violence envahir le mélodrame se justifiant par l’attrait que le public ressent pour les détails sinistres et lugubres provenant des comptes-rendus de crimes dans les journaux bon-marché. On adapte les décors du roman gothique au mélodrame afin de lui donner une nouvelle profondeur, de le réactiver. Ainsi, les ruelles sombres et sales des villes du XIXe siècle sont autant de couloirs peuplant les récits gothiques. Les rebondissements s’inscrivent quant à eux dans la plus pure tradition théâtrale (d’inspiration antique, élisabéthaine ou encore mélodramatique) où l’on retrouve tour à tour l’exagération du pathétique, l’importance du hasard, de la violence et des coups de théâtre (retour d’un personnage supposé mort, révélation surprenante, etc.).

Le roman gothique se démarque des fondements du roman réaliste de l'époque et va instaurer un engouement pour la fiction terrifiante dès la deuxième moitié du XVIIIe siècle. D'abord destinés aux lecteurs aisés du fait de leur publication coûteuse, ils trouvent eux aussi, dans la mécanisation de la presse, un nouvel essor. Le roman terrifiant va dès lors s'approprier les codes d'autres genres et les adapter à sa matière fictionnelle. Eugène Sue adapte ainsi les thèmes et les procédés récurrents du roman terrifiant : « les souterrains et escaliers dérobés des vieux châteaux gothiques deviennent les rues sombres et étroites de la ville […] ; le surnaturel prend la forme de l'hallucination, du cauchemar, de visions terrifiantes provoquées par la culpabilité des crimes

commis116 ». Le public français est devenu habitué au macabre et à l'horreur suite aux nombreuses

guerres napoléoniennes ou à la Révolution française et se montre donc particulièrement réceptif à ce type de fictions. Il faut pourtant voir ici l'importance qu'a eue le développement de la littérature sérialisée sur la réapparition du genre d'inspiration gothique, bien que toujours considéré comme fortement populaire face au roman réaliste.

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