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Du fantastique dans la sérialité

Chapitre 4 : La sérialité télévisuelle

2. De l’influence d’Hollywood.

Le premier soap-opera, Faraway Hill, est diffusé par DuMont (un quatrième network disparu en 1956 qui était à l’origine un fabricant de postes de télévision) en 1946. Puis, en 1947 apparaît la première comédie de situation (la sitcom), Mary Kay and Johnny (1947-1950). Pourtant ce n’est que lors de la décennie suivante, et en particulier avec la croissance économique due à l’après-guerre, que la télévision prendra toute son importance. En effet, cela va permettre à un grand nombre d’Américains de s’équiper. En l’espace d’une dizaine d’années, le pourcentage de foyers américains possédant une télévision est passé de 2 (en 1949) à 70 (dès 1956). Il faut dès lors repenser les moyens de diffusion dans un pays si vaste qu’il possède différents fuseaux horaires. En effet, la diffusion coast to coast permettra à tous les Américains de regarder les mêmes programmes. Mais la question de la tranche horaire d’émission des programmes se pose alors lorsqu’on sait qu’il y a six heures de décalage horaire entre Los Angeles et New York. L’enregistrement des programmes est alors obligatoire et ceux-ci sont diffusés en décalage selon qu’on se trouve à un point ou à un autre du territoire américain. Dans les États intermédiaires, seul

un décalage de l’heure de début du prime time est nécessaire. Cependant, certains programmes sont nécessairement et obligatoirement diffusés en direct, il est donc indispensable de les « jouer » deux fois afin que tout le territoire puisse profiter du spectacle dans les mêmes conditions. Ainsi, à cette époque les networks diffusent des pièces de théâtre écrites ou adaptées pour la télévision en direct, sur le même modèle que ce qui se faisait déjà à la radio depuis les années 1930 et les programmes populaires de la radio ou des cafés-théâtres deviennent des fictions télévisuelles (Your Show of Shows, 1950-1954 ; Caesar’s Hour, 1954-1957).

Ce sera alors sous la bienveillance d’Hollywood que la télévision connaîtra son premier âge d’or dès les années 1950. Les studios américains, craignant la concurrence de ce « nouveau » média, vont mettre en place les bases de ce qui deviendra quelques temps plus tard la fiction télévisuelle. Une grande partie des scénaristes quitte alors New York et Chicago pour s’installer à Hollywood et crée les premières grandes séries télévisées. C’est une période d’expérimentation qui va permettre de tracer les grandes lignes directrices de ce que vont être les séries de l’époque à travers l’émergence d’auteurs de télévision remarquables et de programmes pertinents. Enfin, c’est cette décennie qui verra l’apparition des grands genres dans la fiction sérielle télévisée (comédie, policier, fantastique, …) même s'ils semblent pour le moment simplement s’adapter au médium en profitant des possibilités qu’il apporte. L’écriture, les choix de mise en scène, le jeu des acteurs restent en lien étroit avec ce qui se faisait déjà au théâtre, à la radio et au cinéma.

En 1951 est adaptée à la télévision l’émission de radio My Favorite Husband (1948-1951) rebaptisée I love Lucy et qui va marquer l’imaginaire américain jusqu’en 1957. Cette fiction nous racontant l’histoire d’une femme au foyer désirant faire du music-hall est la première sitcom filmée dans un studio hollywoodien avec trois caméras (une pour les plans larges, une seconde pour le locuteur et la dernière pour le destinataire) et un public279.

L’originalité de ce type de fictions est qu’elles reprennent les principes du spectacle théâtral. En effet, les décors ressemblent beaucoup à des scènes de théâtre et l’usage qui en est fait se rapproche indéniablement du vaudeville ou de la comédie de boulevard. Les décors sont des lieux où les différents protagonistes peuvent se retrouver facilement tous ensemble. Très souvent c’est le salon qui est choisi pour ce type de scène. De plus, ces décors sont très ouverts afin de faciliter l’entrée et la sortie des comédiens. On retrouve alors, comme pour la comédie de boulevard, une porte à gauche, une à droite et un accès situé dans le fond du décor pour aller dans une autre pièce ou monter à l’étage. Le quatrième mur est également présent avec la place systématique qui est donnée au canapé. Il se retrouve ainsi toujours face au spectateur et représente l’écran de télévision.

L’analogie avec le théâtre de boulevard ne s’arrête pas là puisque la majorité des sitcoms

sont enregistrées en public et les réactions de celui-ci sont gardées, voire amplifiées, en post- production afin d’encourager le téléspectateur. Enfin, les différents effets comiques que l’on retrouve dans la sitcom sont eux aussi directement empruntés à la comédie théâtrale. Le comique de geste hérité de la comedia dell’arte est particulièrement présent dans les sitcoms des années 1950 et 1960. C’est souvent par des gros plans sur les expressions du visage des acteurs que l’on va produire l’hilarité du spectateur. Bien entendu, un autre type de comique central dans ce genre de fiction est celui qui lui donne son nom : le comique de situation. Les ressorts comiques du vaudeville et de la comédie de boulevard sont repris à travers les portes qui claquent, les personnages cachés ou les situations surréalistes.

Pour ne rien omettre, il convient également d’introduire ici le comique de langage fondé sur les quiproquos, les doubles sens ou les tics de langage des personnages. Par ailleurs, à partir des années 1960, on note l’apparition de comédies qui ne sont pas des sitcoms en ce sens qu’elles s’éloignent des conventions que nous venons de citer par le rapprochement qu’elles opèrent avec le cinéma plutôt que le théâtre. Celles-ci sont appelées single-camera comedies puisqu’elles ne mettent en jeu qu’un seul cadreur. Celui-ci a également comme particularité la possibilité d’effectuer des mouvements de caméra. Les méthodes de tournage vont dès lors s’en trouver modifiées puisque le tournage en extérieur et dans des décors beaucoup plus complexes deviendra possible. De ce fait, le tournage en public ne sera plus possible et le rythme s’en trouvera altéré puisque la post-production et le montage vont devenir une étape cruciale dans l’aspect final de la série.

Le tournage des séries à Hollywood provoque immanquablement d’autres influences. Ainsi, les décors des studios hollywoodiens vont être réutilisés dans bon nombre de séries. Cela est particulièrement visible lors des années 1950 où sont produits énormément de westerns. À la fin de cette décennie, sept des émissions de télévision les plus regardées sont des séries relevant du genre. Bien évidemment, les moyens financiers étant différents, tout comme le support, plusieurs différences sont notables : on y trouve moins de scènes d’action et une utilisation massive du gros plan afin de coller au format d'écran de télévision280.

L’association entre cinéma et télévision est bien loin de s’arrêter là puisqu’en 1955 une série policière majeure fait son apparition : Alfred Hitchcock Presents (1955-1965). Le réalisateur fait ici de courtes apparitions en début et fin d’épisode pour présenter le contenu de l’émission du jour. Cette série est une anthologie, c’est-à-dire qu’elle ne possède pas de personnages récurrents, ni d’arc narratif déployé sur plusieurs épisodes. Le seul rapport entre les épisodes est cette structure de présentation par Hitchcock et les thèmes policiers qui y sont développés. Alfred Hitchcock Presents

est une des premières séries à faire appel à de grands metteurs en scène comme Robert Altman ou Hitchcock lui-même dans la réalisation de ses épisodes et à adapter des nouvelles d’auteurs reconnus tels H.G. Wells, Ray Bradbury ou Roald Dahl. On note ainsi que cette première série d’anthologie possède déjà de grandes qualités scénaristiques et cinématographiques sur lesquelles vont devoir se greffer ses héritières directes ou indirectes.

Par ailleurs, c’est à cette époque que va naître un autre genre majeur de la fiction télévisuelle: le fantastique. Celui-ci va se développer tout d’abord à travers une autre série d’anthologie : La Quatrième dimension (The Twilight Zone, 1959-1964). Les scénarios de cette fiction n’ont pas excessivement vieilli en cela qu’ils restent d’actualité et qu’ils prennent à parti le spectateur en lui donnant à voir des personnages ordinaires, et donc proches de lui, confrontés au surnaturel et à l’étrange à travers des chutes finales toujours surprenantes. On note ici l'importance accordée à nouveau à son créateur, Rod Serling, qui encadrait chaque histoire à la manière d'un narrateur-démiurge, reprenant ainsi les principes développés dans le feuilleton radiophonique. Les épisodes marquants sont l’œuvre d’auteurs américains significatifs comme Richard Matheson ou encore Charles Beaumont. La série se retrouve dès le départ en concurrence directe avec Alfred Hitchcok Presents, passée sur une autre chaîne, et parviendra à se maintenir pendant cinq saisons et à donner naissance à deux « suites » en 1985 (The New Twilight Zone, 1985-1989) et 2003 (La Treizième dimension ou The Twilight Zone, 2002-2003)281.

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