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Du développement de la télévision aux États-Unis à ses fonctionnements

Du fantastique dans la sérialité

Chapitre 4 : La sérialité télévisuelle

1. Du développement de la télévision aux États-Unis à ses fonctionnements

Le concept de télévision tel qu’on le connaît de nos jours est né en 1877 et renvoie à l’idée d’une « vision à distance par l’électricité ». Le terme « télévision » n’apparaît quant à lui qu’en 1900 et succède à d’autres inventions techniques telles que le télectroscope ou le téléphonoscope. On cherche alors à créer un média capable de renvoyer à la fois à la diffusion d’informations et de divertissements mais aussi à la communication entre les personnes. Ainsi les idées de la fin du XIXe siècle envers la future télévision sont déjà très proches de ce qu’elle est aujourd’hui (vidéosurveillance, vente à distance, retransmissions, etc272.). Jean Thévenot, journaliste et

producteurs d’émissions de radio et de télévision développe l’idée en 1946 dans son ouvrage L’âge de la télévision et l’avenir de la radio273 d’une télédiffusion à sens unique tel un spectacle relevant

d’une interaction à distance et capable de connecter des personnes éloignées dans l’espace. La naissance officielle de la télévision date de 1926 mais elle ne s’adresse alors qu’à quelques privilégiés partout dans le monde. Son développement est freiné par l’effort de guerre qui se met en place au début des années 1940.

C’est lors des années 1950 marquées par la Seconde Guerre Mondiale que la télévision devient une technique permettant d’être diffusée massivement. Dès lors, elle va pouvoir se

271 Les informations historiques générales ainsi que les précisions des modes de réception, de diffusion et d’écriture de la télévision américaine doivent beaucoup aux ouvrages de : Abbot, Stacey, The Cult TV Book, Berkeley, Soft Skull Press, 2010 ; Abercrombie, Nicholas, Television and Society, Cambridge, Polity, 1996 ;Ahl, Nils C., Fau, Benjamin,

Dictionnaire des séries télévisées, Paris, Éditions Philippe Rey, 2011 ; Boutet, Marjolaine, Les Séries télé, Paris,

Éditions First, 2009 ; Carrazé, Alain, Les Séries télé – L’histoire, les succès, les coulisses, Paris, Hachette, 2007 ; Carrazé Alain, Schleret, Jean-Jacques, Les Grandes séries américaines de 1970 à nos jours, Paris, Huitième Art, 1995 ; Castelman, Harry, Podrazic, Walter J., Watching TV : Six Decades of American Television, Syracuse, Syracuse Press University, 2003 ; Creeber Glen, Tele-Visions : An Introduction to Television Studies, Londres, BFI, 2006 ; Douglas, Pamela, Writing the TV Drama Series, Studio City, MWP, 2001 ; Fiske, John, Hartley, John,

Reading Television, London, Methuen & Co., 1978 ; Fiske, John, Television Culture, New York, Routledge, 1987 ;

Gaston, Delphine, Les Séries TV américaines, Toulouse, Milan, 2008 ; Geraghty, Christine, Lusted, David, The

Television Studies Book, New York, Arnold, 1998 ; Gwenllian-Jones, Sara, Pearson, Roberta E., Cult Television,

Minneapolis, University of Minnesota Press, 2004 ; Hilmes, Michele (dir.), The Television History Book, Londres, BFI Publishing, 2003 ; Leverette, Marc, Ott, Brian, Buckley, Cara Louise, It's Not TV : Watching HBO in Post-

Television Era, New York, Routledge, 2007; Liardet, Didier, Anthologie des séries : les séries américaines, Paris,

Yris, 2005 ; McCabe, Janet, Akass, Kim, Quality TV. Contemporary American Television and Beyond, Londres, I.B. Tauris, 2007 ; Miller, Toby, Television Studies, Londres, BFI, 2002 ; Sahali, Abdessamed, Séries cultes, l’autre

Hollywood, Paris, Timée éditions, 2007 ; Sepinwall, Alan, The Revolution was Televised, Chicago, S & S

International, 2013 ; Thomson, Robert J., Television's Second Golden Age : From Hill Street Blues to ER, New York, Syracuse University Press, 1997.

272 Gilles Delavaud, « Permanence d’un concept » in Permanence de la télévision, Rennes, Éditions Apogée, 2011. 273 Jean Thévenot, L’Âge de la télévision et l’avenir de la radio, Paris, Les Éditions Ouvrières, 1946.

développer rapidement. Moins marqués par la guerre, ce sont aux États-Unis qu’elle pourra réellement prendre son essor. En effet, le pays devient la plus grande puissance industrielle et se démarque politiquement et matériellement du reste du monde. Pourtant, c’est bien en pleine guerre que les prémices de la télévision d’aujourd’hui prennent leurs marques.

Les diffuseurs de programmes radiophoniques que sont CBS (Columbia Broadcasting System) et NBC (National Broadcasting Company) obtiennent une autorisation à diffuser des programmes télévisés dès 1941. Cependant, il faudra attendre la fin de la guerre et l’arrêt des mobilisations militaires et industrielles pour que puissent se mettre en place des programmes réguliers. William S. Paley, le directeur de CBS, alors compagnie radiophonique, comprend qu’il faut fidéliser les auditeurs. Plutôt que de ne diffuser que des versions oralisées des journaux, il propose alors des programmes populaires qui vont lui permettre d’attirer les annonceurs et plus particulièrement d’étendre son empire sur toute la côte est des États-Unis. C’est sur ce modèle, et non sur l’initiative du gouvernement américain, que s’est mis en place le réseau radiophonique. Ces initiatives individuelles se sont répercutées sur la création du réseau télévisé. Les plus grands réseaux de production et de diffusion viennent donc d’entreprises individuelles et le pays ne possèdera dès lors qu’une seule chaîne publique ne retransmettant pratiquement que des programmes à vocation éducative : NET (National Educational Television) qui devient PBS (Public Broadcasting System) en 1970. La télévision américaine se développera tout d’abord sur la côte est. Avant de parvenir au média qu’elle est aujourd’hui, plusieurs essais plus ou moins fructifiants ont été élaborés. Il n’est d’emblée pas possible d’enregistrer et donc de stocker les émissions, celles-ci sont alors diffusées en direct depuis New-York ou Chicago. En conséquence, ce sont tout d’abord des représentations théâtrales ou des versions filmées des émissions de radio qui sont diffusées274.

Afin de contrôler la diffusion de masse de ces réseaux d’abord radiophoniques, une commission est créée dès 1934 : la FCC (Federal Communication Commission). Celle-ci a le pouvoir de réglementer les programmes sous peine de sanctions financières parfois très lourdes. Cependant son pouvoir est limité car il ne peut s’appliquer que sur l’émission hertzienne nationale et donc pas sur les réseaux locaux ou câblés. Elle ne contrôle ainsi que les networks qui sont de fait régis par des normes très strictes. Ainsi, un network est une chaîne (ou une station radiophonique) que chacun peut recevoir gratuitement et qui se démarque des chaînes câblées car uniquement financé par la publicité. De ce fait, les networks la diffusent à raison de plus de quinze heures hebdomadaires lors des prime-time (la tranche horaire allant de la fin de l’après-midi jusque la deuxième partie de soirée). Ces chaînes acquièrent ainsi ce statut si le réseau auquel elles sont affiliées (les affiliates, c’est-à-dire les antennes de relais qui diffusent leurs programmes) couvre au

minimum 75% des stations de télévision du pays. Aujourd’hui, il existe cinq networks : les pionniers que sont CBS, NBC et ABC (American Broadcasting Company) dès 1944, puis la Fox en 1986 et CW lorsque UPN et WB fusionnent en 2006. Les trois premiers utilisent le réseau radiophonique qu’ils possèdent déjà pour émettre ce qui, au départ, n’était qu’une version filmée de ce qu’ils proposaient à leurs auditeurs275.

Les networks produisent des programmes ensuite achetés par les affiliates qui ont toujours un droit de regard sur ce qu’on leur propose. En effet, lorsque la télévision devient plus accessible, la FCC commence à réguler la diversité des programmes proposés, mais aussi le droit à concurrence dans l’industrie de la communication. Son action principale reste cependant celle de censeur en interdisant toute vulgarité (langagière ou sexuelle) des programmes. La première difficulté rencontrée par les réseaux est que la production de programmes reste chère et qu’il est très difficile de diffuser dans un pays aussi vaste. C’est pourquoi les trois networks les plus anciens ont pendant longtemps eu le dessus sur les chaînes locales. Jusque dans les années 1980 avec l’apparition du câble, ces networks rassemblent 90% des téléspectateurs américains. L’intérêt de ces réseaux est d’attirer le plus de spectateurs possible afin de vendre les espaces publicitaires plus chers et ainsi rentabiliser les coûts de production. Cela n’est pas non plus sans conséquence puisque de ce fait, comme le fait remarquer Bernard Guillou, « la libre concurrence dans le cadre de l’économie de marché aboutit souvent à une grande similitude dans la programmation et à la non-satisfaction des choix minoritaires276 ». Les grilles de programmes des grands networks sont donc similaires car ils

privilégient la demande majoritaire et ne vont pas chercher à satisfaire ceux qui ne leur apporteront qu’une faible part de marché. Il faut ajouter à cela que, tout comme c'est le cas à la radio, les programmes débutent toujours à heure fixe ou à la demi-heure.

De fait, ils démarrent tous en même temps quelle que soit la chaîne sur laquelle ils sont émis. Une étude menée par l’Institut Nielsen, chargé de mesurer les chiffres de l’audience aux États-Unis, montre qu’un téléspectateur satisfait par un programme ne change pas de chaîne si celle-ci propose à la suite plusieurs émissions du même type. Sur les networks on va donc pouvoir trouver tout au long de la journée différents talk-shows entre cinq heures et midi ; des informations jusque douze heures trente ; des émissions de divertissement (jeux, autres talk-shows, soap-operas et productions locales) toute l’après-midi afin de toucher les ménagères, seule catégorie sociale principalement disponible à ce moment de la journée ; un journal d’information à dix-huit heures lorsque la plupart des Américains rentrent du travail ; du divertissement simple de dix-huit heures trente à vingt heures ; des séries et des fictions à enjeux financiers en prime time (entre vingt heures

275 Christine Geraghty, David Lusted, The Television Studies Book, New York, Arnold, 1998.

et vingt-trois heures) ; un dernier bulletin d’information vers vingt-trois heures et, enfin, à nouveau des talk-shows jusque une heure. Cette catégorisation de la grille des programmes est un cas général uniquement applicable aux networks puisque la majorité des Américains a accès de nos jours à d’autres types de chaînes beaucoup plus spécialisées. Il est possible également d’effectuer une catégorisation du prime-time en fonction des fictions qui y sont diffusées : les comédies ou les programmes familiaux sont ainsi programmés à vingt heures en guise de produit d’appel (lead-in), ceci afin de détendre le spectateur et de le préparer pour les programmes plus sérieux diffusés par la suite. À vingt et une heures commence l’émission centrale du prime-time qui est censée attirer le public et le faire passer de la fiction précédemment diffusée jusqu’à la suivante. Enfin, à vingt-deux heures, les networks diffusent les séries destinées à un public adulte. Il est à noter également que tous les networks diffusent des séries ou des émissions de télé-réalité à raison de six soirs par semaine avec des pics d’audience les jeudis et dimanches. En revanche, le vendredi est un soir à faible audience et le samedi est très souvent réservé aux retransmissions sportives. Il est dès lors aisé de comprendre que les networks sont en concurrence directe les uns avec les autres et qu’une fiction se retrouve confrontée à la même heure à plusieurs autres programmes originaux277.

Le métier de programmateur de télévision est un véritable casse-tête qui demande beaucoup de temps afin de trouver le bon créneau horaire adapté à chaque programme. Il faut en effet prendre en compte beaucoup de données extérieures telles que le sexe, l’âge ou la catégorie sociale du public visé mais aussi être conscient de ce qui est diffusé sur les autres chaînes à la même heure. On va également privilégier certaines séries en les intercalant entre deux programmes qui ont déjà fidélisés leur public afin de l’inciter à rester sur la même chaîne pour en découvrir un nouveau. Il est par ailleurs fréquent de voir une nouvelle fiction changer à plusieurs reprises de tranche horaire avant de trouver celle qui lui permettra de rassembler le plus large public. Les programmateurs sont en effet conscients que le manque d’audience d’une série ne signifie pas qu’elle est foncièrement mauvaise mais simplement qu’elle est peut-être face à une concurrence trop forte sur une autre chaîne. Le rôle des programmateurs de télévision ne s’arrête pas là.

Outre celui de trouver leur place à chaque fiction, ils décident également quels programmes acheter ou produire ainsi que ceux qu’il faut déprogrammer suite à une audience faible. Les scores d’audience sont ainsi analysés de deux manières : la première mesure s’effectue à l’instant t, c’est- à-dire pendant que le public regarde le programme ; ensuite sont analysés les résultats en relation avec d’autres données extérieures telles que les chiffres d’audience des autres chaînes au même moment et l’évolution de ceux-ci au fil des semaines. Ainsi, une série qui ne gagne pas de

277 Robert J. Thomson, Television's Second Golden Age : From Hill Street Blues to ER, New York, Syracuse University Press, 1997.

téléspectateur mais en perd risque fort d’être annulée car elle est considérée comme décevante pour le spectateur. Il est donc nécessaire pour un programmateur de connaître les tendances actuelles sur ce que désire voir le public mais également ce qu’il aura envie de voir dans un avenir plus ou moins proche. Ils doivent alors observer attentivement les modes, les tendances ou même les succès cinématographiques et littéraires. Un programme qui fonctionne va immédiatement fédérer un engouement du public qui va forcer les chaînes concurrentes à produire des fictions similaires. Paradoxalement, on remarque que ces séries « d’imitation » ont généralement de meilleurs résultats que le programme d’origine, sans doute du fait d’une épuration et d’une amélioration des éléments du script original. Cela explique alors que l’on peut observer des phénomènes de mode à l’intérieur même du processus de création des séries télévisées et ce depuis les années 1950 avec les westerns. On trouvera par la suite beaucoup de séries d’espionnage dans les années 1960, des séries de super- héros et de grandes sitcoms satiriques lors des années 1970, des séries policières et des comédies familiales dès 1980 puis des séries pour adolescents et fantastiques dès les années 1990 et le retour de la série policière (mais cette fois à caractère scientifique) et à suspens depuis les années 2000. Pourtant, les limites de ce système de copie ne sont pas difficiles à imaginer : la lassitude du téléspectateur oblige alors les programmateurs à créer régulièrement des fictions innovantes et originales278.

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