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Définition ouverte et rationalisation du fantastique sériel

Le fantastique : inscription d'un genre séculaire dans le médium-série

Chapitre 1 : La question du surnaturel dans la série télévisée fantastique

3. Pour une définition du fantastique propre à la série télévisée américaine contemporaine

3.3. Définition ouverte et rationalisation du fantastique sériel

Le fantastique sériel est œuvre de l'irréel. Il déploie à travers de nombreux exemples des mondes plus ou moins mimétiques dans lesquels une perturbation va venir gripper la machine naturelle. Cette irruption inattendue provoque toujours - que cela soit tour à tour pour le personnage, le spectateur ou bien les deux à la fois - sinon un sentiment de peur, un malaise lié à une forme d'inquiétude. S'il est des critères que nous avons montrés comme essentiels et inhérents à une définition du fantastique (le phénomène surnaturel), ces derniers, variables, font obstacle à une systématisation du genre. Pour qu'un récit soit fantastique, faut-il que la peur et l'effroi soient provoqués par l'objet surnaturel lui-même ou par ce qu'il suppose sur l'organisation du monde ? La peur ressentie face aux fantômes hantant la maison de la première saison d'American Horror Story est-elle identique à celle ressentie lors de l'attaque des Marcheurs Blancs à la fin de la deuxième saison de Game of Thrones ? Il est évident que selon les théories fantastiques, les réponses à ces

452 Denis Mellier, op. cit., p. 7. 453 Idem.

questions ne seront pas les mêmes. En effet, selon les époques du fantastique et les médiums où il se déploie, ses expressions sont différentes, et conséquemment les peurs qu'il provoque. C'est pourquoi les remarques et analyses que nous pourrions faire sur le fantastique sériel américain contemporain ne sont finalement valables que dans le cadre du médium télévisuel, sur un terrain géographique et une période restreints. Dans cette optique, nous devons faire fi des théories prônant l'idée que le fantastique, en tant que genre, obéirait à des règles figées, voire sacralisées, et finalement toujours identiques à travers les âges et les médiums. Notre étude se place davantage dans cette mouvance qui pense que les œuvres (qu'elles soient issues du fantastique ou d'un genre quelconque) ne sont pas pensées en amont pour répondre aux critères préalablement instaurés par certains théoriciens. Ainsi, la définition du fantastique possède les constantes que nous avons évoquées, mais reste irrémédiablement en mutation dans un phénomène d'hybridation ou d'éloignement rendant la tâche d'analyse toujours plus difficile (peut-être impossible) et souvent contradictoire. En résumé, nous étiquetterions une série dans la catégorie fantastique en fonction de critères que celle-ci a peut-être déjà dépassés en en redéfinissant les contours.

Nous rejoignons alors Nathalie Prince dans l'idée que nous ne pouvons ici donner qu'une définition temporaire du fantastique. Une définition qui ne serait finalement valable que pour la période que nous choisissons d'interroger et pour les œuvres télévisuelles s'inscrivant dans celle-ci. Ainsi, les séries que nous analysons sont fantastiques car elles présentent « un événement surnaturel, irrationnel ou déstabilisant pour l'ordre normatif qui conçoit la réalité454 », c'est-à-dire

finalement tout aussi bien l'interprète du récit que le personnage qui percevront d'une manière différente cette injure faite à la raison, mais qui suscitera « une peur, une inquiétude […] un effroi455 » ou un malaise, en définitive qui sera l'essence même de l'histoire narrée. Dès lors, cette

définition reste potentiellement ouverte. Même si elle semble permettre à un nombre d'oeuvres conséquent d'être qualifiée de fantastique, elle montre du même coup qu'il est un genre intemporel se déployant différemment selon les périodes, les espaces et même les médiums. Chaque nouvelle œuvre étant alors à même d'en redessiner les limites et de faire émerger de nouveaux critères propres à relancer ces tentatives de définition générique : « chaque réception nouvelle se développe à partir d'un sens attendu ou préexistant, dont la réalisation ou la non-réalisation fait apparaître la question qu'il implique et déclenche le processus de réinterprétation456 ». Plus encore, « le nouvel

interprète ne se satisfait plus de la réponse ou du sens […] formulés avant lui et qui font encore autorité et cherche une réponse nouvelle à la question impliquée par le texte ou qui lui a été

454 Nathalie Prince, op. cit., p. 39. 455 Idem, p. 40.

456 Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard,, 1978, p. 113, cité par Sophie Geoffroy,

transmise457 ». Le fantastique évolue et mute donc en fonction de l'interprète qui va se confronter à

ses œuvres. Le démiurge fantastique, qu'il souhaite répondre à l'horizon d'attente du spectateur ou bien s'en émanciper en donnant à voir sa propre vision du genre, participe en cela très fortement à l'émergence de nouveaux fantastiques. En cela, la tentative de ratiocalisation du genre par Nathalie Prince est tout à fait pertinente puisqu'elle cristallise l'insaisissabilité du fantastique. Elle pose ainsi la question de sa définition sous la forme de deux équations mettant en avant l'existence d'une variable (qu'elle nomme x) qui modifie considérablement les critères essentiels du fantastique (F) : le surnaturel (S) et la peur (P)458 :

F = P/Sx F = Px/Sx

Dans la première équation, le fantastique se définit selon un rapport étroit entre le sentiment de peur suscité par l'irruption d'un événement surnaturel s'exprimant différemment selon les époques dans lesquelles il émerge. Pour autant, nous ne pouvons l'accepter comme suffisante pour définir le récit sériel fantastique car elle suppose que seul le phénomène surnaturel est sujet au changement culturel mais que le sentiment qu'il provoque sera indifféremment toujours le même. Or, les relectures des grandes figures surnaturelles comme le vampire, le fantôme ou encore le sorcier à travers l'histoire de la série télévisée en témoigneront : on n'est pas confronté au même sentiment lorsque nous regardons les aventures familiales de Samantha dans Ma Sorcière bien- aimée au milieu des années 1960, celles des sœurs Halliwell de Charmed à la toute fin des années 1990 ou encore de la sororité d'American Horror Story Coven dans la deuxième décennie du XXIe siècle.

Ainsi, la seconde semble apporter une nuance majeure : chaque relecture de l'événement surnaturel provoque un sentiment différent qu'il n'est plus nécessaire alors de nommer exclusivement « peur ». Il peut être variablement effroi, malaise ou simplement inquiétude. Pour reprendre nos exemples, la magie de la sorcière Samantha est loin d'effrayer, tandis que celle déployée par Fiona, le personnage incarné par Jessica Lange dans American Horror Story Coven, est profondément menaçante pour les personnages, l'ordre du monde fictionnel et est dès lors à même de mettre à mal le spectateur.

Si l'avantage de ces ratiosalisations est d'écarter l'idée, ici obsolète, d'une volonté mimétique du monde réel en mettant l'accent sur l'événement surnaturel et la peur qu'il produit, il est nécessaire d'y apporter compléments et modifications si l'on souhaite l'adapter aux œuvres issues de la série

457 Idem.

télévisée américaine contemporaine. L'effet fantastique ne peut plus ainsi être symbolisé par ce P bien trop connoté. Nous lui préférons un symbole plus large à même de représenter également ces moments dans lesquels le surnaturel ne provoque pas de sentiment à proprement parler négatif : C symbolise alors ces sentiment paradoxaux et donc contradictoires allant de l'effroi, au malaise en passant par le pathétique qu'il est toujours nécessaire de mettre en lien avec le surnaturel. De même, nous l'avons remarqué, le sentiment provoqué par l'irruption du surnaturel n'agit pas de la même manière sur le personnage et sur l'interprète du récit. Le premier, puisque le phénomène finit par intégrer la possibilité de l'existence d'un ordre supérieur ne ressent pas logiquement les mêmes affections que le spectateur. Il nous semble alors nécessaire de préciser que dans la série fantastique le sentiment provoqué par l'intervention d'un surnaturel dépend aléatoirement ou conjointement du personnage ou de l'interprète, ceci symbolisé par s, le sujet. Ainsi, la ratiosalisation du fantastique dans la série télévisée américaine contemporaine (maintenant FS) se définirait selon cette équation :

FS = Cx/Sx s

Cette équation n'enlève rien de la difficulté à définir le fantastique comme genre. En revanche, il est possible grâce à elle d'intégrer des œuvres sensiblement différentes dans leur traitement du surnaturel car elles ne sont plus régies par des règles rigides et strictes et non adaptées à une notion en constante redéfinition.

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