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Du fantastique dans la sérialité

Chapitre 3 : La sérialité radiophonique

1. Les débuts du feuilleton radiophonique

Les recherches sur les ondes radio débutent dès le XIXe siècle avec les avancés technologiques dues à Heinrich Hertz et à Guglielmo Marconi sur la télégraphie sans fil. Dans son étude sur l'écriture des dramatiques radio, Tim Crook indique qu' « en 1881, l'ingénieur français Clément Ader avait déposé un brevet pour apporter des améliorations aux équipements téléphoniques dans les théâtres198 », créant ainsi l'ancêtre de la radio, le théâtrophone. Le nom

« radio » remplace celui de « télégraphie sans fil » en 1906 à Berlin199 et reste, comme le rappelle

Filson Young, « un hobby ou une science »200 pour des amateurs désireux d'explorer les ondes.

David Sarnoff, employé de l'American Marconi Company, cherche en 1906 à donner un but à la radio : « J'ai en tête un plan de développement qui donnerait à la radio une utilité domestique au même sens que le piano ou le phonographe201 ». Ainsi, la radio se rapproche peu à peu d'une forme

culturelle et en 1912, avec Frank Conrad, elle expérimente l'émission de musique et de propos depuis son propre studio en Pennsylvanie.

La station KDKA commence à émettre en Novembre 1920 avec un signal capable de parcourir tous les États-Unis. Au Royaume-Uni, la BBC naît deux ans plus tard suite à l'importante demande des auditeurs. De manière générale, les premiers programmes ne sont disponibles que quelques heures par jour et sont constitués de musique, d'informations, de retransmissions sportives et de pièces radiophoniques. La radio est d'abord vue comme un outil de propagande politique mais peu à peu s'instaure l'idée qu'elle pourrait également divertir. Ainsi apparaissent les premières pièces radiophoniques. Marshall McLuhan dans son texte Gutenberg Galaxy : The Making of Typographic Man202 soutient l'idée d'un parallèle entre l'impact des technologies de la communication électrique

197 Les remarques historiques sur l'histoire de la radio et du « radio drama » de fantastique et d'horreur doivent beaucoup aux travaux de synthèse de John Dunning, On the Air : The Encyclopedia of Old-Time Radio, op.cit, de Richard J. Hand et Mary Traynor, The Radio Drama Handbook, New York, Continuum Internationnal Publishing Group, 2011 et de Richard J. Hand, Terror On the Air ! Horror Radio in America, 1931-1952, Jefferson, McFarland, 2006.

198 Tim Crook, Radio Drama, Theory and practice, London, New York, Routledge, 1999, p. 15 (je traduis). 199 Lewis Coe, Wireless Radio : A Brief History, Jefferson, McFarland, 1996, p.3.

200 Filson Young, Shall I Listen : Studies in the Adventure and Technique of Broadcasting, Londres, Constable, 1933, p. 1 (je traduis).

201 David Sarnoff, cité par Leonard Maltin, The Great American Broadcast, New York, Penguin Putnam, 2000, p. 2 (je traduis).

202 Marshall McLuhan, Gutenberg Galaxy : The Making of Typographic Man, Toronto, University of Toronto Press, 1962.

et de l'invention de l'imprimerie au XVe siècle en cela que la communication imprimée a créé une perspective psychologique linéaire et uniforme. L'invention de Gutenberg a introduit le mot imprimé et l'oeil comme le premier médium de la communication humaine. McLuhan définit pourtant le « mot parlé » comme un espace acoustique sans limite, sans direction et chargé d'émotion à la différence de l'imprimé. Dans Message et Massage, un inventaire des effets203, il avance l'idée que l'apparente puissance d'extension de la parole apportée par l'enregistrement et la transmission a eu l'effet de réduire la capacité sensorielle du discours écrit. En effet, la radio se distingue des autres médiums audio comme le téléphone par sa capacité à pousser l'auditeur à imaginer davantage de choses.

Pour lui, la radio est un médium « chaud » dans le sens qu'elle est riche en information et qu'elle se prête moins à la participation sensorielle de l'auditeur réduit à sa simple oreille. Or, celle- ci convoque le pouvoir de l'imagination dans un moment paradoxal où la radio offre du son sans image quand le cinéma produit de l'image sans son, rendant, de fait, quelque peu caduque cette classification. Et passant par le conduit auditif, elle ne peut être caractérisée par un manque de participation sensorielle. La radio est ainsi plus vieille que la télévision mais plus jeune que le cinéma et au moment où elle se popularise dans les années 1920, Hollywood s'est déjà imposé comme l'usine à rêve de l'identité américaine. Quoi qu'il en soit, c'est dans l'environnement domestique, l'espace privé de l'auditeur, que la radio prend toute son ampleur. Depuis les années 1930 et pendant plus de vingt ans, les gens ont vécu leur vie au fil du son de la radio, se rassemblant en famille autour du poste204.

Dès ses débuts aux États-Unis, la radio a rapidement créé et développé plusieurs genres originaux. La majeure partie n'a pas été adoptée par la suite à la télévision dans son ascension de l'après-guerre. En revanche, bulletins d'information, retransmissions sportives et reportages politiques ont gardé le même format. Les jeux, soap-operas, sitcoms et autres drames sérialisés tels que nous les connaissons aujourd'hui ont, en outre, tous été inventés par la radio.

Dans ces années, la radio se révèle particulièrement innovante dans le développement d'anciens et nouveaux genres (vaudeville, émissions de variété, etc.) qui seront repris sans problème par la télévision :

Dans les premiers moments d'émission radiophonique, il n'y avait pas de règles, et encore moins de précédents. Personne ne s'était penché sur la question de diffuser des heures de divertissement au quotidien – et ceux qui s'en étaient approchés, depuis le monde du théâtre, étaient coutumiers du fait de produire le même divertissement à différents auditeurs chaque jour, que ce soit une pièce, un vaudeville, ou même du cirque. Un acteur de vaudeville qui pratiquait son art pouvait jouer les

203 Marshall McLuhan, Message et Massage, un inventaire des effets, Paris, Édition Jean-Jacques Pauvert, 1968. 204 Richard J. Hand et Mary Traynor, The Radio Drama Handbook, op. cit.

mêmes dix minutes de jeu pendant des années. Si le producteur utilisait ce contenu une nuit sur sa station locale, il pouvait tout aussi bien le répéter les soirs suivants205.

Il est pourtant difficile de retracer les débuts du dramatique radio, d'abord apparu sous la forme de lectures d'histoires pour les enfants au moment du coucher. L'historien Bill Jaker fait de A Rural Line on Education, la première pièce courte écrite spécifiquement pour ce médium diffusée par KDKA à Pittsburgh en 1921. D'autres, comme Howard Blue, préfèrent y voir The Wolf de Eugene Walter en Août 1922, bien que cette émission soit encore une adaptation d'une pièce en trois actes. Les journaux de l'époque recensent par la suite une série d'expériences radiophoniques imputées par les diverses stations américaines : KYW retransmet des opéras depuis Chicago en Novembre 1921 ; quelques mois plus tard, en Février 1922, c'est WJZ depuis ses studios situés à Newark qui retransmet des comédies musicales de Broadway avec les acteurs originaux ; enfin en 1922, des acteurs jouent une pièce de théâtre en direct de San Francisco206.

Tous ces essais aboutissent à ce que le 3 Août 1922 la station WGY de New York commence à émettre des pièces de théâtre entières de façon hebdomadaire en ayant recours à des effets sonores et musicaux ainsi qu'à une troupe entière d'acteurs. Le succès de ces émissions fit des émules et au printemps 1923, des pièces de théâtre entièrement écrites pour la diffusion radio sont émises sur les ondes de Cincinnati (When Love Wakens de Fred Smith) ou Philadelphie (The Secret Wave de Clyde A. Criswell). La même année, deux stations proposent un concours aux auditeurs leur permettant d'écrire leur propre pièce afin qu'elle puisse éventuellement être jouée par des acteurs et retransmise. Au total, en 1923, pas moins d'une vingtaine de dramatiques de tous genres (pièces en un acte, par extraits ou en version intégrale, opérettes et adaptation de grands auteurs) furent diffusées soit depuis les studios ou directement depuis les théâtres ou les salles d'opéra207.

La même année, au Royaume-Uni, 2LO diffuse un des premiers dramatiques britanniques, une adaptation d'Un Songe d'une nuit d'été de Shakespeare. C'est en 1924 que la station anglaise BBC produit sa première pièce écrite spécialement pour ce support, A Comedy of Danger de Richard Hugues, à propos d'un groupe de personnes prises au piège dans une mine de charbon au Pays de Galles. On utilise alors les spécificités du médium radiophonique : la verbalisation de tout ce qui ne se voit pas et la diffusion en direct. Au même moment, NBC et CBS, les grands réseaux américains, adoptent une politique contre l'enregistrement des radiodiffusions y voyant l'expression d'une « forme inférieure de culture ». Tout est alors diffusé en direct excepté pour la diffusion de musiques où un phonographe est utilisé208 :

205 Léo Maltin, op. cit., p.12 (je traduis).

206 John Dunning, On the Air : The Encyclopedia of Old-Time Radio, op. cit. 207 Idem.

NBC et CBS ont activement découragé une alternative technologique viable à l'émission en direct, l'enregistrement sur disques, et l'ont dénoncé comme une forme inférieure de culture. Ces networks sont allés si loin dans leur politique contre l'enregistrement qu'ils ont virtuellement banni toute utilisation d'un tel équipement dans leurs propres studios209.

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