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S’implanter Choisir sa localisation c’est choisir sa patientèle potentielle et ses concurrents

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marché diététique

1.2 Prendre en compte les concurrences

1.2.1 S’implanter Choisir sa localisation c’est choisir sa patientèle potentielle et ses concurrents

Le premier choix pratique que les diététiciennes et diététiciens doivent effectuer lors- qu’ils s’installent en libéral, c’est celui du lieu d’implantation de leur cabinet. Le choix de ce lieu détermine la patientèle potentielle, c’est-à-dire le nombre et le type de patientes et patients que l’on peut espérer pouvoir suivre, et les concurrents effectifs, dans la mesure où la concurrence est spatiale puisqu’il s’agit pour les patientes et patients d’un service géné- ralement consommé à proximité de leur lieu de domiciliation ou de travail. Le caractère dé- terminant du choix du lieu d’implantation n’est pas propre aux diététiciennes et diététiciens libéraux. Cela concerne vraisemblablement l’ensemble des professions libérales du domaine

38. cf section 2 page 187

de la santé et du para-médical. La perception de cette importance, par les diététiciennes et diététiciens libéraux, n’est pas non plus nouvelle. Monique Dumay, une des diététiciennes pionnières de l’exercice en libéral, dans le numéro de la revue professionnelle l’Information

diététique daté du 1erjuillet 1984, conseillait déjà aux diététiciennes et diététiciens souhaitant

s’installer en libéral de toujours conserver à l’esprit l’idée que « l’implantation géographique doit être bien choisie »40. Elle soulignait ainsi le soin qui doit être apporté au choix du lieu

d’implantation, en raison des conséquences que celui-ci fait porter sur l’activité. La diététi- cienne contemporaine qui a le mieux décrit le processus et les motivations qui l’ont conduite au choix du lieu d’implantation de son cabinet est Marie Le Roux. Précédemment avocate au sein d’un grand cabinet parisien durant six années, elle souhaite réussir sur le plan fi- nancier sa reconversion, même si elle reconnaît et s’attendait à connaître une nette perte de revenus41, acceptée en raison des confortables revenus de son conjoint, médecin généraliste

à Paris. Le soin qu’elle a porté en 2009 au choix d’implantation, ainsi que la connaissance qu’elle semblait avoir du marché diététique, est sans doute liée à sa reconversion, et au sou- hait de préserver le plus possible son niveau de vie, ainsi qu’à la profession de son conjoint, pour qui l’implantation est également un facteur déterminant de l’activité professionnelle :

Étienne : Donc vous aviez en tête immédiatement le projet de vous installer en libéral. Comment ça a commencé ? Est-ce que c’était difficile d’avoir une patientèle ?

Marie : Non, moi à mon époque on commençait à parler beaucoup de diététique. Si ça ne devenait pas à la mode, du moins la presse commençait à en parler beaucoup. On revenait des régimes miracles et on insistait sur les liens entre l’alimentation et le diabète, enfin. . . On disait que c’était super important, y avait vraiment matière à faire de la prévention et pourtant la voie est pas balisée. A Paris en tout cas. Peut-être qu’en Province, je veux dire dans les petites villes en tout cas c’est facile42. A Paris on

a la concurrence, c’est ça évidemment, des médecins, généralistes ou autre, qui font de la nutrition en complément. Et puis il y a la concurrence à Paris de la, de tout ce qui va être gyme[nastique], etc., y a des entrepreneurs qui peuvent se lancer là-dessus, et

40. Dumay, Monique, « La consultation privée de diététique », art. cit., p. 8.

41. Elle explique ainsi au cours d’un entretien effectué à son cabinet le 21 novembre 2016 : « Je n’ai pas fait ce métier pour des raisons financières, ça c’est sûr. C’était plus confortable avant, surtout que là c’est moins diplômant. J’ai mon conjoint qui a un travail donc ça va ».

42. Cela n’est pas évident en réalité puisque le nombre de concurrents, de diététiciennes et diététiciens en particulier, s’accroît y compris en zones rurales comme le montre le témoignage de Juliette Poudale, restitué en amont, à propos des nouvelles implantations. Ce témoignage est en outre corroboré par les données du ministère de la Santé. En effet, dans le département rural de la région lyonnaise où exerce Juliette Poudale, on dénombrait seize diététiciennes et diététiciens libéraux en 2011, pour quinze praticiens salariés hospitaliers (selon Sicart, Les Professions de Santé Au 1er Janvier 2011, op. cit.). En 2017, six années après, on comptait pas moins de quarante sept libéraux pour vingt-deux praticiens hospitaliers. La croissance des effectifs a donc, ici comme ailleurs, été très rapide au cours de la décennie 2010, et nettement

faire un tabac. Et en plus on est très nombreuses. Je crois que dans le **e on est plus

de quinze, alors qu’il n’y a pas de prise en charge par la Sécurité sociale. C’est tout sauf facile de s’installer.

E : Du coup concrètement comment vous avez fait ?

M : Je me suis posée la question du lieu. Et finalement dans le **e43, il y a peut-être

une patientèle plus porteuse mais au niveau de la concurrence et puis tous les frais aussi sont plus élevés. Vivant dans le **e j’ai cherché aussi dans ce coin là. J’ai eu la

chance de tomber sur des locaux qui me plaisaient.44

Marie Le Roux explique que malgré l’accroissement de la demande de services dié- tétiques, accroissement qu’elle attribue à une mode médiatique qui a entraîné une prise de conscience collective45, « la voie n’est pas balisée » à Paris en raison de « la concurrence [. . .

] des médecins, généralistes ou autre, qui font de la nutrition en complément », des salles de sport, et autres « entrepreneurs » qui peuvent créer une activité dans la diététique, sans se revendiquer diététicien, ce pour quoi il est nécessaire d’être titulaire d’un diplôme d’État, et « faire un tabac ». Marie Le Roux décrit en détails les différents types de concurrences exté- rieures au corps des diététiciennes et diététiciens, auxquelles s’ajoute la concurrence exercée par les autres diététiciennes et diététiciens de l’arrondissement, « plus d’une quinzaine » au moment de l’entretien. Ces concurrences doivent d’autant plus être prises en considération lors de l’installation, et sont d’autant plus redoutables pour le niveau d’activité, que les prestations de suivis diététiques ne bénéficient pas d’une « prise en charge par la Sécurité sociale », ce qui contraint, limite, financièrement, la demande. C’est la raison pour laquelle elle s’est « posée la question du lieu ». Plus précisément, il est frappant de voir comment elle a été amenée à considérer les atouts et les contraintes propres à deux arrondissements limi- trophes, de l’ouest parisien, entre lesquels elle tergiversait. L’arrondissement le plus bourgeois aurait sans doute présenté « une patientèle plus porteuse ». En effet, les patientes et patients potentiels seraient, selon Marie La Roux, plus disposés à consacrer une partie de leurs reve- nus, plus élevés, à la consommation d’un service de suivi diététique. Elle aurait cependant dû faire face à des concurrences plus fortes car plus dense, des concurrents plus nombreux , attirés par la perspective de profits plus abondants, et à des coûts fixes, charges locatives notamment, plus élevés en raison des caractéristiques locales du marché de l’immobilier. Elle opte finalement pour une implantation dans l’autre arrondissement, qui présentait en outre

43. Il s’agit d’un arrondissement de Paris plus bourgeois (au-delà des représentations collectives, il n’est qu’à considérer le marché immobilier pour objectiver cette hiérarchisation des arrondissements)

44. Entretien effectué à son cabinet parisien le 21 novembre 2016.

l’avantage d’être également son quartier de résidence.

Il est à noter que le choix du lieu d’implantation devient peut-être plus crucial à mesure que le nombre de diététiciennes et diététiciens exerçant en libéral augmente. En effet, la croissance des effectifs en libéral est nettement plus rapide que l’accroissement dé- mographique de la population, et probablement plus rapidement que l’augmentation de la demande, qui peut s’expliquer, au-delà de la croissance démographique, par la transforma- tion des préférences et aspirations des patientes et patients potentiels. Le secteur libéral est en plein essor (cf introduction générale), ce qui, toutes choses égales par ailleurs, accroît la concurrence entre diététiciennes et diététiciens libéraux. Une fois le choix du lieu d’implan- tation effectué, la prise en compte de la concurrence dans les pratiques professionnelles des diététiciennes et diététiciens transparaît dans les pratiques de gestion de la patientèle et du cabinet.

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