I. Les approches compétences :
3. Des organisations pour faire apprendre
3.3. L’exemple des pédagogies de l’alternance
3.3.6. Des impensés pédagogiques
3.3.5. Apports de cette recherche
Nos analyses permettent de nuancer le propos concernant les pédagogies de l’alternance et montrent qu’entreprise ou centre de formation ne peuvent être con-‐ sidérée comme des organisations formatrices, si elles ne pensent l’intégration du travail dans la formation et de la formation dans le travail, au travers un certain nombre d’outils de pilotage permettant d’organiser et de réguler les parcours et les trajectoires.
Cette recherche, au delà du fait qu’elle nous a permis d’identifier des formes d’alternance, souligne à la fois combien le rapport que l’on entretient aux savoirs et aux compétences influence la manière d’en penser le développement. Elle montre également combien l’environnement de formation qui en découle permet, plus ou moins, de soutenir les apprentissages issus de la pratique et ceux réinvestis dans les pratiques. Grâce aux dispositifs déployés, l’organisation de la formation ouvre le champ des possibles et peut, à certaines conditions, repousser les frontières de l’espace de formation, ou au contraire être porteur d’impensés pédagogiques pou-‐ vant limiter les possibilités d’apprentissage.
3.3.6. Des impensés pédagogiques
Des impensés pédagogiques du côté des dispositions à apprendre
Une disposition peut être définie comme une manière de voir, de sentir et d’agir qui s’ajuste aux situations rencontrées (Lameul & al., 2009), ou qui renvoie au potentiel (cognitif, socio-‐économique, socio-‐affectif, etc.) qu’une personne mobi-‐ lise pour agir dans un contexte donné (Blandin, 2009). Elle contribue notamment à l’engagement et à la persistance dans l’action. En formation, les dispositions (valeurs, croyances, postures, motivations, sentiment d’efficacité personnelle, etc.) entrent – ou non – en résonance avec un dispositif (celui de formation, ou ceux de la formation tels que les outils de pilotage et de régulation de la formation). Un dispositif peut être défini comme une organisation de ressources (humaines, matérielles, etc.) au service d’une action finalisée, d’un but à atteindre. Le dispositif, dans la manière dont il aménage et structure les environnements de formation, conduira l’apprenant, en fonction de ses dispositions, à être plus ou moins à l’aise pour apprendre, à donner du sens à ses apprentissages, à les orienter et les conso-‐ lider, à s’impliquer et s’engager dans sa formation, etc. En ce sens, les interactions entre dispositifs et dispositions pourront être faibles ou fortes, positives ou néga-‐ tives selon qu’elles facilitent ou non l’entrée dans l’apprendre.
Les formes de l’alternance que nous avons repérées, si elles pensent plus ou moins les va-‐et-‐vient entre théorie et pratique, terrain et formation, privilégient avant tout
les objectifs de la formation au détriment des objectifs d’apprentissage. Le projet de formation prend le pas sur celui de l’apprenant. Cette priorisation s’explique, du point de vue des enseignants, par leur difficulté à gérer l’ensemble des contextes d’apprentissage, la pression du programme, les conditions logistiques de la forma-‐ tion, le rythme de l’alternance, etc. L’alternance est de ce fait, bien plus souvent organisationnelle, que dialectique ou circonstancielle, et la construction du sens de la formation est déléguée à l’apprenant.
Les retours d’alternance, les contrats d’objectifs, les livrets d’apprentissage, par exemple, restent, dans les usages qui en sont faits, au service des diplômes et de la validation de ces derniers. L’environnement de formation se trouve plus imposé que choisi ou construit (Bandura, 1999). L’apprenant y trouve sa place comme il le peut, ses dispositions doivent s’adapter aux dispositifs.
Des impensés pédagogiques du côté
de l’organisation des processus d’apprentissage
L’organisation des processus d’apprentissage obéit globalement à des logiques curriculaires et cloisonnées qui priorisent la gestion des savoirs à apprendre, au détriment de l’apprendre à apprendre. On le constate au travers l’usage des outils de pilotage et de régulation des formations qui servent d’abord à gérer le processus de formation plutôt que le processus d’apprentissage. Leur perception d’utilité sert, en ce sens, le dessein des enseignants et non celui des apprenants. Les visites en entreprise par exemple se transforment souvent en visite de l’entreprise, et le con-‐ tact avec l’apprenant se réduit à une simple poignée de main.
Peu d’enseignants en définitive mobilisent ces outils pour permettre aux appre-‐ nants de porter un regard sur le transfert de leurs apprentissages en milieu organisationnel ou le repérage et la formalisation des apprentissages réalisés dans ce dernier, pour se fixer des objectifs de progrès et déterminer les moyens de cette progression.
L’élaboration du lien entre théorie et pratique reste largement absente des pra-‐ tiques pédagogiques puisque le lieu de l’apprentissage reste majoritairement celui inscrit dans l’espace académique de formation. Ainsi, les pratiques de décontextua-‐ lisation des apprentissages par exemple (analyse de son expérience, confrontation à celles des autres apprenants) restent relativement rares, les enseignants faisant le choix de ce qui est à apprendre ou reste à apprendre, voire de la manière de
l’apprendre. Leurs choix s’imposent ainsi souvent aux apprenants qui ont peu
d’occasions de se déprendre de cet environnement de formation imposé, pour en faire un environnement choisi ou construit qui leur permettrait d’être véritable-‐ ment acteurs de leurs apprentissages et de prendre la responsabilité de ces derniers. Les parcours sont pensés indépendamment des trajectoires.
Des impensés pédagogiques du côté
du soutien organisationnel aux apprentissages
La perception du soutien organisationnel englobe l’évaluation par le salarié, du degré́ d’implication de l’organisation par rapport à ses contributions et son bien être. En formation, on pourra définir le soutien organisationnel comme ce qui dans l’environnement de formation contribue à orienter, maintenir et reconnaître les efforts d’apprentissages. Cela suppose qu’existent dans la formation des
espaces où il est possible de faire le point sur son parcours et sa trajectoire de formation, sur les difficultés que l’on rencontre et de se sentir soutenu dans ses démarches et efforts d’apprentissage. Ces espaces sont peu nombreux et souvent « détournés » au profit de l’organisation de la formation.
Des impensés pédagogiques du côté
des dispositifs organisationnels d’apprentissage
Tout dispositif d’apprentissage ne peut être apprenant en soi, nous avons pu notamment le constater au travers l’usage contrasté des retours d’alternance et des conditions qui leur permettent d’être signifiants. Nous avons ainsi mis en évidence que l’existence de possibilités d’échanges croisés, de collaboration, de réflexivité, de mise en confiance et de construction du sentiment de compétence, etc. sont déterminantes pour permettre aux apprentissages d’advenir et de se sédimenter. Cela est d’autant plus important, si l’on considère que c’est souvent de façon inégale que sont réparties au sein des organisations du travail, les opportunités de partici-‐ per à des activités susceptibles d’alimenter les apprentissages. En ce sens les tems de collectivisation, de mutualisation et de mise à distance des pratiques et des apprentissages sont importants pour aider les uns et les autres à se déprendre du
travail, des activités d’apprentissages et de décontextualisation de ces dernières.
Les outils de pilotage et de régulation des formations sont souvent imposés par les CFA (tel les retours d’alternance) ou rendus obligatoires par la réglementation régissant l’alternance sous contrat de travail (tel le livret d’apprentissage ou les visites en entreprise). Alors même qu’ils ont été pensés pour structurer et étayer les processus d’apprentissage, ils sont détournés pour gérer les programmes de formation et l’organisation de l’alternance. Le parcours prend le pas sur la tra-‐ jectoire des apprenants. Dispositifs et dispositions évoluent dans des mondes parfois parallèles, les secondes devant s’adapter aux premiers (cf. fig. 9).
Au final, ces impensés pédagogiques témoignent d’organisations de formation qui fonctionnent comme des lieux de transmission du savoir et non de construction de ce dernier. Il est imposé aux apprenants qui ont à s’adapter aux choix pédagogiques des enseignants et aux modalités organisationnelles de la formation. Sauf cas exceptionnel (l’alternance circonstancielle), dispositifs de formation et dispositions à apprendre coha-‐ bitent plus qu’ils n’interagissent, les trajectoires des apprenants sont plus autorégulées qu’éco ou hétéro-‐régulées (cf. tableau 3). Les logiques de formation à l’œuvre relèvent majoritairement de logiques d’accomodation (cf. fig. 9).
Figure 9 : logique d’accommodation
Les logiques d’individualisation des apprentissages restent, elles, exceptionnelles (cf. fig.10), celles d’interaction, inexistantes (cf. fig.11). Elles sont pourtant les seules qui sont à même d’étayer et soutenir les processus d’apprentissage dans toute organi-‐ sation quelle qu’elle soit, d’autant plus si elle est formatrice.
Ce sont les seules qui interrogent le lien entre dispositif et dispositions, et qui tentent, au travers des ressources de formation qu’elles proposent, d’entrer en résonnance avec les dispositions des apprenants. On peut dans ce cas, parler de dispositif de forma-‐ tion intégré au travail (même si ce travail se réalise en formation).
Figure 10: logique d’individualisation
Figure 11: logique d’interaction
Ce travail de recherche sur les pédagogies de l’alternance a été réalisé à partir du discours et des représentations des enseignants sur leurs pratiques pédago-‐ giques, et non du vécu des apprenants. Cela constitue une limite à ce travail, et un point de vue sur les apprentissages et leurs possibles.
Le travail que nous allons maintenant présenter sur un réseau d’échanges réci-‐ proques des savoirs, va nous permettre de porter le regard sur un dispositif d’apprentissage à partir du point de vue des apprenants.
Dans les deux cas, nous sommes bien dans une perspective d’entreprise forma-‐ trice, traitant de dispositifs de formation intégrés au travail et visant des appren-‐ tissages en lien avec les situations de travail. Ces deux recherches témoignant de la difficulté à les faire émerger.