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3.3 Modéliser la concurrence imparfaite en équilibre général : Principaux ap-

3.3.1 Tester la robustesse des résultats obtenus dans un cadre d’équilibre

3.3.1.1 Il peut être efficace de limiter l’entrée

La politique de la concurrence a été analysée dans des modèles d’équilibre général pour des économies caractérisées par des rendements d’échelle croissants. Par exemple, Negishi (1962), Konishi, Okuno-Fujiwara et Suzumura (1990) et Ohyama (1999) aboutissent au

résultat selon lequel il peut parfois être efficace de limiter l’entrée. Cependant, dans la mesure où il est discutable que les secteurs dans lesquels les rendements d’échelle sont croissants soient majoritaires (Posner (2001), pour les économies traditionnelles), d’autres modèles ont été développés afin d’étudier les effets de l’entrée sur le bien-être dans des économies "convexes". Dans ce cadre, il est notamment montré (Neary (2003 (b)), Kelton et Rebelein (2003), Crettez et Fagart (2009)) qu’accroître la concurrence dans un secteur donné n’améliore pas toujours le bien-être. Une caractérisation en terme de taux de marge des secteurs dans lesquels l’entrée est favorable est également proposée (Crettez et Fagart (2009)).

Negishi (1962) prend part à l’analyse d’équilibre général d’une économie fermée, déter- minant, sous l’hypothèse de rendements d’échelle croissants, des conditions suffisantes, en terme de profits, sous lesquelles l’entrée sur le marché d’une nouvelle firme qui supporte des coûts fixes importants doit ou non être encouragée. Il établit que, lorsque la concur- rence parfaite prévaut partout dans l’économie, c’est-à-dire lorsque l’économie est organisée efficacement, alors il peut être profitable de décourager l’entrée d’un entrant potentiel.18 19

Bien que les conditions mises en évidence par Negishi puissent être obtenues simple- ment, à partir des données sur le prix et les vecteurs de production avant et après l’entrée, ce théorème repose sur l’hypothèse que les prix ne sont pas modifiés par l’entrée d’une nouvelle firme sur le marché. Or, puisqu’un entrant doit supporter entièrement le coût fixe, quelle que soit la quantité produite, les prix diffèrent avant et après l’entrée. De plus, la concurrence parfaite n’existant pas dans la réalité - il s’agit d’un modèle théorique de référence - et la plupart des marchés étant caractérisés par un petit nombre de firmes do- tées d’un certain pouvoir de marché, il apparaît pertinent d’étudier les effets de l’entrée dans des économies de concurrence imparfaite.

Ainsi, alors que Negishi détermine des conditions suffisantes à l’entrée d’une nouvelle firme dans une économie de concurrence parfaite caractérisée par des rendements d’échelle croissants, Konishi, Okuno-Fujiwara et Suzumura (1990) apportent des contributions à l’analyse d’équilibre général dans une économie oligopolistique avec libre entrée. Ils gé- néralisent le théorème d’excès d’entrée - établi dans un cadre d’équilibre partiel - à une approche d’équilibre général en établissant les conditions sous lesquelles la régulation de l’entrée assure une amélioration du bien-être lorsqu’il est tenu compte des interactions d’équilibre général.20

18. Un équilibre concurrentiel est défini comme un ensemble de vecteurs de prix, de quantités consom- mées et de vecteurs d’input-output tels que chaque consommateur maximise son utilité sous sa contrainte de budget, en considérant comme donnés les prix et son revenu ; chaque entreprise maximise son profit en prenant les prix comme donnés et l’offre et la demande sont égales.

19. En particulier, une condition suffisante pour qu’il soit efficace de limiter l’entrée est que le profit de l’entrant potentiel, évalué aux prix en vigueur avant son entrée sur le marché, soit négatif. Si la nouvelle firme entre sur le marché et réalise un profit, Negishi montre qu’elle devrait rester sur le marché.

20. Leur cadre d’analyse est le suivant : ils considèrent une économie fermée constituée de deux secteurs qui produisent deux biens X et Y à partir de deux facteurs de production - le travail et le capital - disponibles en quantités fixes. Ces inputs sont mobiles entre les deux secteurs et sont alloués entre les

Ils montrent, dans un cadre d’équilibre général, qu’une diminution marginale du nombre de firmes oligopolistiques par rapport au niveau d’équilibre de libre entrée peut améliorer le bien-être économique. Intuitivement, dans une économie oligopolistique de libre entrée, le coût moyen est égal au prix du produit (condition de rentabilité) et il excède le coût marginal, qui est égal à la recette marginale. Autrement dit, le coût supplémentaire qu’en- gendre la production d’une unité supplémentaire est, à la marge, inférieur à la valeur de cette unité ; il existe donc des rendements d’échelle croissants inexploités. Il est par consé- quent socialement efficace de réduire marginalement le nombre de firmes oligopolistiques par rapport au niveau d’équilibre de libre entrée et d’accroître ainsi l’échelle de production de chaque firme dans l’industrie oligopolistique.21

Les auteurs nuancent cependant leurs résultats, basés sur plusieurs hypothèses sim- plificatrices (concurrence en quantité à la Cournot, consommateur représentatif, fonction d’utilité quasi-linéaire, rendements d’échelle croissants dus à l’existence de coûts fixes) et soulignent les difficultés à appliquer le théorème de libre entrée dans la réalité.22

Le travail d’Ohyama (1999) contribue à enrichir les conclusions obtenues dans les ap- proches d’équilibre général de concurrence imparfaite en présence de rendements d’échelle croissants. Il fournit une preuve du théorème de libre entrée établi par Konishi, Okuno- Fujiwara et Suzumura (1990) dans un modèle d’équilibre général, mais pour une économie composée d’un nombre arbitraire d’industries et dans laquelle les fonctions de demande totales des biens sont homogènes de degré zéro par rapport aux prix. De plus, dans son analyse, un accroissement du ratio du taux de marge dans une industrie est supposé résul- ter d’une restriction conjointe du nombre de firmes dans chaque cartel et du nombre total industries à travers l’ajustement du taux de rendement du capital et du taux de salaire. Les marchés des facteurs sont supposés être parfaitement concurrentiels. Le bien X est produit à l’aide d’une technologie caractérisée par des rendements d’échelle croissants dus à l’existence de coûts fixes qui rendent l’industrie oligopolistique. Dans cette industrie, toutes les firmes sont identiques et sont en concurrence en quantités à la Cournot. L’industrie Y est constituée de firmes parfaitement concurrentielles qui produisent le bien

Y avec une technologie caractérisée par des rendements d’échelle constants. Il existe un consommateur

représentatif qui fournit le capital et le travail en quantités fixes et perçoit les dividendes versés par les firmes du secteur X. Les préférences de ce consommateur sont représentées par une fonction d’utilité quasi-linéaire.

21. Une condition nécessaire et suffisante pour qu’"un changement du nombre de firmes oligopolistiques et/ou l’introduction d’un mécanisme de taxe-subvention infinitésimal améliore le bien-être" est qu’il induise un accroissement de la production de chaque firme oligopolistique (Konishi, Okuno-Fujiwara et Suzumura (1990), critère de bien-être, Page 74).

22. En particulier, le théorème est établi en l’absence de distorsions dans l’utilisation des facteurs, dont la détermination peut être complexe, nécessitant de distinguer entre les parts des dépenses de capital et de salaire dans les coûts fixes et marginaux. L’application du théorème de libre entrée peut également se révéler difficile dans la mesure où il n’est pas certain qu’un gouvernement démocratique soit doté d’un pouvoir suffisant lui permettant, à défaut de pouvoir contrôler les prix, d’imposer un contrôle direct de l’entrée dans le secteur oligopolistique. D’où l’intérêt de pouvoir disposer de d’autres instruments politiques - tels que des mécanismes de taxes-subventions - qui permettent de contrôler le nombre de firmes pour améliorer le bien-être économique, en accroissant le niveau de production d’équilibre des oligopoleurs individuels.

de firmes dans l’industrie.23 Il se distingue ainsi de Konishi et al. (1990) à deux égards,

ces derniers ayant établi une preuve de ce théorème en tenant compte des interactions d’équilibre général, mais dans un modèle avec deux secteurs et un consommateur représen- tatif possédant une fonction d’utilité quasi-linéaire et en considérant un contrôle direct de l’entrée (une réduction marginale du nombre de firmes par rapport au niveau d’équilibre de libre entrée) ou la mise en place de mécanismes de taxes-subventions.

Ohyama montre que, pour des politiques antitrust données, une politique de restriction de l’entrée - à travers un accroissement du ratio du taux de marge dans une industrie - peut améliorer le bien-être économique potentiel.24 25 Il obtient ainsi une version du théorème

d’excès d’entrée selon lequel il est socialement bénéfique de réduire le nombre de firmes par rapport à l’équilibre de Cournot de libre entrée.

Cependant, si, dans les économies avec des rendements d’échelle croissants, il peut parfois être efficace de limiter l’entrée - en raison de l’existence de coûts fixes importants - il n’est pas indiscutable que les secteurs caractérisés par des rendements d’échelle croissants soient majoritaires dans les économies modernes et l’hypothèse que ces rendements d’échelle croissants inexploités soient largement répandus peut être remise en question.26 Il paraît

23. Le modèle utilisé dans l’analyse d’Ohyama s’appuie sur les hypothèses suivantes. Il considère k industries indicées par j = 1, ..., k qui utilisent l facteurs de production indicés par i = 1, ..., l - dont les dotations sont fixées - pour produire des biens de consommation finaux. Il existe une industrie dans laquelle les firmes se comportent en preneuses de prix tandis que, dans chacune des autres industries, les firmes sont en concurrence oligopolistique. Ohyama suppose qu’il existe des cartels de firmes, au sens où un certain nombre d’entre elles s’entendent dans leurs décisions de production. Ces cartels sont supposés symétriques, chacun d’entre eux comprenant un nombre identique de firmes. Chaque cartel dans l’industrie est supposé déterminer sa production de façon à maximiser son profit total, en prenant les prix des facteurs et les quantités produites par les autres cartels comme donnés. Les consommateurs sont quant à eux preneurs de prix sur les marchés des biens et des facteurs et ils déterminent leur demande de biens de façon à maximiser leur utilité sous la contrainte de leur budget.

24. Soit βjun paramètre mesurant l’intensité de la contrainte comportementale des firmes et constituant,

à l’équilibre de l’industrie, une mesure inverse des économies d’échelle locales. Ohyama établit (Proposition 3) que, pour une allocation donnée des facteurs entre les industries et sous des conditions relatives à la fiscalité et au taux de marge prévalant dans chaque industrie, une hausse de βj- à travers une augmentation

du ratio du taux de marge prévalant dans l’industrie j - accroît la productivité des facteurs de l’industrie

j et augmente la production nationale si et seulement si βj< 1.

25. Pour un degré de concurrence donné dans une industrie, un accroissement du ratio du taux de marge peut refléter ici un renforcement d’une politique de restriction de l’entrée, destinée à accroître le ratio du taux de marge par rapport à son niveau initial. Dans cette définition de la restriction de l’entrée, le gouvernement doit contrôler à la fois le nombre de firmes dans l’industrie et le nombre de firmes dans chaque cartel dans l’industrie. Elle diffère ainsi de la définition usuelle de la restriction de l’entrée qui consiste en un contrôle direct du nombre total de firmes dans l’industrie, ceci pour un nombre donné de firmes dans chaque cartel.

26. Dans le cas des économies traditionnelles, qui produisent des biens physiques traditionnels, Posner (2001) souligne que : "the traditional industries are characterized by multiplant and multifirm production (indicating that economies of scale are limited at both the plant level and the firm level, or in other words that average total costs are rising at relatively modest output levels), stable markets, heavy capital investment, modest rates of innovation, and slow and infrequent entry and exit".

ainsi justifié d’analyser les conséquences d’une politique de contrôle de l’entrée dans des industries dans lesquelles ces effets ne semblent pas exister, sans pour autant abandonner une perspective d’équilibre général.27 28

Kelton et Rebelein (2003) et Crettez et Fagart (2009) entreprennent l’étude des effets de l’entrée sur le bien-être dans des économies caractérisées par des rendements d’échelle constants, et montrent que, dans ces économies, il peut également être efficace de limiter l’entrée. En particulier, Kelton et Rebelein obtiennent le résultat suivant : le bien-être peut être plus élevé en monopole qu’en concurrence parfaite si les gains en bien-être résultant du pouvoir de monopole se révèlent plus importants que la perte engendrée sur le marché monopolisé.

De leurs côtés, Crettez et Fagart (2009) remettent en question l’idée selon laquelle les fu- sions sans synergies de coûts ne sont pas désirables pour les consommateurs : ils établissent que, sous l’hypothèse de rendements d’échelle constants, réduire le nombre de firmes dans un secteur - ou même transformer un secteur concurrentiel en un secteur non-concurrentiel - peut accroître le bien-être. L’idée est qu’un secteur dans lequel la concurrence est im- parfaite peut sur-produire par rapport à son niveau efficace : en conséquence, les fusions peuvent être souhaitables dans de tels secteurs parce qu’elles réduisent l’offre des firmes.

Au-delà de l’idée qu’il peut être efficace de limiter l’entrée, il existe d’autres résul- tats relatifs à la politique de la concurrence qui peuvent être mis en évidence lorsque les rendements d’échelle sont constants. En attestent notamment Kelton et Rebelein (2003), Blanchard et Giavazzi (2003), Spector (2004) et Crettez et Fagart (2009) qui soulignent les apports des modèles d’équilibre général de concurrence imparfaite pour évaluer la poli- tique de la concurrence dans un cadre de rendements d’échelle sont constants. Ces travaux mettent principalement en évidence que la politique de la concurrence devrait être diffé- renciée et remettent en question la référence à un marché pertinent dans l’évaluation des effets anti-concurrentiels d’une fusion horizontale.