• Aucun résultat trouvé

2.2 Objectifs de la politique de la concurrence, instrument de politique économique

2.3.3 Un consensus difficile face à une concurrence dont les effets ne sont

2.3.3.2 Exemple du marché des télécommunications

Cette ambivalence dans les effets d’un accroissement de la concurrence peut aussi être illustrée par les conséquences de l’entrée sur le marché de la téléphonie mobile du quatrième opérateur, Free Mobile, en Janvier 2012 : malgré les emplois potentiellement induits à long terme dans les autres secteurs de l’économie grâce à la libération du pouvoir d’achat en- gendré par les baisses de prix, ces dernières ont conduit à une réduction des marges, avec, à court terme, un impact important sur l’emploi dans le secteur. C’est pour animer le marché et favoriser les baisses de prix que le Conseil, puis l’Autorité de la concurrence, avaient à plusieurs reprises souligné la nécessité de faciliter l’essor de nouveaux opérateurs par l’at- tribution d’une quatrième licence mobile. Mais aujourd’hui les conséquences de l’entrée de Free sur le marché du mobile ne sont pas claires et des voix s’élèvent pour dénoncer notam- ment le manque d’étude d’impacts réalisée avant son attribution autour des conséquences sociales de l’arrivée d’offres low cost, la faiblesse des contraintes imposées à Free (condi- tions d’attribution, prix de la licence, contraintes d’investissement jugés trop favorables) et l’excès d’intérêt porté au bien-être des consommateurs, au détriment des entreprises du secteur, pour l’attribution de la quatrième licence mobile à Free Mobile.33 Avec, comme

principales victimes de la baisse des prix, l’emploi et les capacités d’investissement des opérateurs.

Arrivé en Janvier 2012 sur le marché français du mobile avec des offres plus attractives, l’opérateur Free Mobile avait néanmoins obligé le monde des télécommunications mobiles à s’adapter et à rebondir en proposant de nouvelles offres. Son lancement a contraint ses concurrents à baisser leurs tarifs pour ne pas perdre trop de clients, amenant les trois prin- cipaux opérateurs en place - qui avaient anticipé les débuts commerciaux du quatrième opérateur dès 2011 - à revoir le positionnement de leurs offres et à mettre en place des marques à bas coût rapportant moins. Les petits opérateurs virtuels - qui exploitent le réseau des trois opérateurs classiques et dont les offres "prépayées" représentent une large 33. L’entrée de Free Mobile fait suite à un appel à candidatures qui a mené le gendarme français des télé- communications - l’Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes (A.R.C.E.P.) - à lui attribuer une licence 3G à la fin 2009 (l’autorisation d’utiliser des fréquences, qui ouvrent aux opérateurs le droit d’exploiter un réseau, relève de l’A.R.C.E.P., tandis que le gouvernement ratifie leur attribution et fixe leur prix). Cette entrée a été favorisée par la négociation d’un accord d’itinérance tem- poraire entre Orange et le quatrième opérateur et par une politique de prix très agressive. Le contrat d’itinérance conclu entre Free et France Télécom-Orange autorise Free à utiliser le réseau d’Orange 2G et 3G pour ses abonnés, pour compléter son réseau mobile en construction. L’Autorité de la concurrence a rendu en Mars 2013 un avis (Avis n˚ 13 - A - 08 du 11 mars 2013 relatif aux conditions de mutualisation et d’itinérance sur les réseaux mobiles) stipulant que ce contrat ne devait pas perdurer au-delà de 2018 et que Free Mobile devrait avoir déployé ses propres infrastructures dans les zones denses dès 2016, date à partir de laquelle le contrat permet une résiliation.

part de leurs bases d’abonnés - avaient quant à eux réagi notamment en multipliant l’éven- tail des formules proposées. Au final, la baisse des prix a entraîné une libération des usages, et permis de populariser l’illimité auprès des consommateurs.

Avec l’essor des forfaits à prix cassés, tous largement disponibles sur Internet, et face à des clients privilégiant désormais des offres achetées sur Internet, les opérateurs avaient également été amenés à repenser leurs stratégies en matière de distribution des offres mobiles. Pour fidéliser leurs clients, ils s’orientent désormais vers une meilleure utilisation des canaux de distribution et vers des services clients plus élaborés avec des offres de services plus vastes et un meilleur accompagnement des clients.

La guerre des prix sur le marché des télécommunications a en outre contraint les concur- rents de Free Mobile, forcés de suivre sur les prix, à accélérer leurs investissements sur la nouvelle génération de réseau 4G (qui permet le très haut débit sur les mobiles) ainsi que sur la fibre, pour se distinguer par l’innovation.34 Ces incitations à innover rapidement

pour contrer l’offensive de Free ont contribué à stimuler le développement des technologies mobiles.

Mais, bien que l’arrivée de Free Mobile début 2012 paraît avoir été bénéfique pour les consommateurs, ses conséquences sur les travailleurs, et, plus largement, sur la collectivité, sont plus difficiles à évaluer et sont sujettes à controverse. Alors que Free Mobile prévoyait, dès 2012, de créer des emplois à la fois dans le secteur des télécommunications et dans les autres secteurs de l’économie et alors que les économies réalisées par les Français peuvent avoir un impact positif sur d’autres secteurs économiques nationaux, les opérateurs concur- rents ont dû s’adapter à ce nouveau contexte de marché, en ajustant en priorité leurs offres "low-cost" vendues par Internet, sans engagement, et ont vu leur rentabilité reculer. Des plans d’économies ont ainsi dû être mis en place, avec des répercussions sur l’ensemble de la filière. En particulier, les premières coupes budgétaires ont concerné la sous-traitance : face à l’augmentation des offres achetées sur Internet, les centres d’appel externes ont dû notamment accepter des baisses de charge, et se séparer de leurs intérimaires. La baisse des ventes de forfaits chers a également conduit les opérateurs à réduire leur nombre de points de vente pour privilégier leurs propres magasins, et à renégocier ou résilier leurs contrats avec les distributeurs indépendants, réduisant l’emploi dans les boutiques de téléphonie. Et, alors que l’emploi direct des opérateurs était lui, resté stable en 2012, des suppressions de postes ont commencé au printemps 2013.

Les profits des acteurs et les dividendes ont également souffert de la guerre des prix dans le mobile, avec, en moyenne, des bénéfices nets en baisse sur 2012. Autres victimes potentielles des baisses de revenus générées par les baisses des prix : la capacité d’investis- 34. Cette course dans la 4G visait à gagner des parts de marché très rapidement, en offrant au plus vite un large taux de couverture de la population et en suscitant l’intérêt pour cette norme 4G avec un service de très haut débit mobile proposé au même prix que la 3G. Ceci de façon à ce que les clients utilisent la 4G et se rendent compte des améliorations apportées, et que les concurrents de Free Mobile puissent relever leurs tarifs dans le futur (pour prendre en compte le supplément de qualité permis par la 4G) et développer de nouveaux services qui leur permettraient d’accroître leurs chiffres d’affaires.

sement des concurrents de Free et l’innovation dans le secteur. Avec le repli des marges, elles risquent d’être mises à mal dans une période où les opérateurs sont amenés à réaliser d’importants investissements dans la fibre optique pour les réseaux fixes et dans les réseaux de quatrième génération pour le mobile - dans un modèle où la concurrence par les infra- structures doit constituer le moteur du développement du marché des télécommunications en Europe et en France, impliquant que chaque opérateur doit pouvoir s’appuyer sur son propre réseau à terme.35

Ainsi, tandis qu’étaient mises en avant les créations d’emplois nouveaux et les évolutions que les offres à prix cassés de Free Mobile allaient pouvoir susciter - notamment grâce à la transformation du gain de pouvoir d’achat des consommateurs, engendré par la baisse des factures mobiles, en une création d’emplois dans l’économie nationale - certains opérateurs et analystes avaient évoqué, dès début 2012, les risques d’une grande baisse des revenus du secteur des télécoms et de suppressions d’emplois chez les opérateurs et leurs partenaires. Les principaux arguments avancés pour évaluer ces pertes d’emplois s’appuyaient sur la diminution du chiffre d’affaires du secteur mobile (opérateurs, équipementiers...), et sur l’effondrement des marges des opérateurs télécoms "historiques" - contraints de baisser leurs prix et de réduire l’offre de services associés pour répondre au lancement de Free Mobile.36 Avec le risque que les économies que les opérateurs allaient devoir consentir

pour absorber ce choc, conduisent à détruire des emplois, dans l’immédiat et sur plusieurs années, dans l’ensemble de la filière.

Ainsi, alors que la guerre des prix qu’a déclenchée l’entrée de Free Mobile sur le marché des télécommunications a été à l’origine d’un effet de court terme positif sur les prix, elle pourrait également avoir mis en marche un processus de destructions d’emplois que des créations plus ou moins lointaines pourraient ne pas suffire à compenser à terme. Les incer- titudes et les craintes qu’elle soulève soulignent la nécessité de réaliser en amont des études d’impacts pour mettre en évidence et estimer les conséquences sociales d’un accroissement de la concurrence sur un marché donné, permis ici par l’attribution de la quatrième licence. Elles révèlent l’importance de se doter d’outils d’analyses, qui ne restreignent pas les études aux impacts sur le bien-être des consommateurs mais permettent également d’évaluer ses 35. Avis 13-A-08 du 11 mars 2013 relatif aux conditions de mutualisation et d’itinérance sur les réseaux mobiles.

36. Etait également mise en avant la possibilité que, face à la baisse des marges, les investissements ne puissent pas être financés et que, pour réduire leurs charges, les opérateurs et leurs fournisseurs délocalisent en partie des centres d’appels et des services informatiques. Cependant, notons à ce titre que le tableau des investissements des opérateurs publié par l’A.R.C.E.P. en mai 2013 indique que, en cumulé, plus de 10 milliards d’euros ont été investis par les opérateurs en 2012, soit le niveau le plus élevé atteint depuis 1998, année correspondant à la libéralisation du marché des télécommunications. L’éventualité que le gain de pouvoir d’achat réalisé par les consommateurs dans d’autres secteurs, évalué en terme d’emplois créés dans l’économie française, ne soit pas suffisant pour compenser les destructions d’emplois, était également soulevée. Par exemple dans l’hypothèse où ce sont prioritairement des services complémentaires numériques importés (terminaux, contenus et applications...) et/ou l’épargne des ménages qui profiteraient du gain de pouvoir d’achat lié à la baisse des factures mobiles initiée par Free.

autres conséquences (par exemple en terme d’emplois chez les opérateurs et leurs parte- naires), en tenant compte notamment des externalités et des transferts de pouvoir d’achat qui peuvent en découler.

Pour une autre illustration de la nécessité de mener des réflexions poussées pour évaluer les effets d’un accroissement de la concurrence dans un secteur donné, nous pouvons citer le marché de l’optique. Il semble que, malgré une concurrence intense sur ce marché - permise par un nombre croissant de magasins d’optique - les clients ne puissent pas profiter de baisses de prix. Face à la difficulté d’appréhender l’existence de prix élevés associés à une forte concurrence par l’analyse de ce seul secteur, il apparaît nécessaire de tenir compte non seulement des caractéristiques du marché en question, mais également des interactions existants avec d’autres marchés, tel que celui des systèmes d’assurances (mutuelles et complémentaires santé). Cela étant, plusieurs éléments pourraient contribuer à expliquer le phénomène, notamment le décalage entre l’offre et la demande, qui progresse moins vite que le nombre de boutiques et conduit à la vente de moins de montures mais à des prix élevés pour assurer la rentabilité ; la complexité des produits et l’opacité tarifaire ; l’existence possible d’ententes entre les grands réseaux ; ou encore le comportement des consommateurs face au système de remboursement des équipements par les mutuelles...

D’une façon générale, l’exemple du marché des télécommunications montre que, dès lors que des changements sont envisagés dans l’organisation économique ou sociale, il convient d’apprécier au préalable leurs effets, tant du point de vue des marchés des biens et du travail, que de l’intérêt collectif, de celui des consommateurs, des salariés... Il souligne qu’une évaluation des conséquences d’un accroissement de la concurrence dans un secteur donné de l’économie ne peut être limitée à ce seul secteur : bien qu’ayant des effets positifs dans certains secteurs, une intensification de la concurrence dans une industrie donnée peut avoir des effets négatifs sur certains marchés. Elle nécessite non seulement de considérer l’économie dans sa globalité - à travers une analyse d’équilibre général qui tient compte des interdépendances entre les secteurs et des agents comme consommateurs, salariés, actionnaires... - mais également de ne pas se cantonner à une analyse de court terme.

Les modèles que nous allons développer dans ce travail, bien que s’appuyant sur un cadre simple, se proposent d’apporter une réponse partielle aux interrogations soulevées, en effectuant une analyse générale des effets à long terme de l’entrée d’une nouvelle firme sur un marché donné. Bien que notre premier modèle suppose l’existence d’une demande de travail constante dans l’économie, il nous permettra d’établir qu’un accroissement de concurrence dans une industrie - bien que pouvant être bénéfique pour la collectivité - pourrait également avoir des conséquences de sens opposées sur le pouvoir d’achat et le bien-être d’agents de différents types - considérés à la fois dans leurs rôles de consommateurs et d’offreurs de facteurs - impliquant ainsi l’existence de gagnants mais aussi de perdants. Il nous amène ici à suggérer que, malgré un impact potentiellement positif à long terme sur la collectivité, l’entrée du quatrième opérateur sur le marché des télécommunications pourrait à terme ne pas être bénéfique à toutes les catégories de la population.

montrerons qu’encourager l’entrée dans un secteur donné pourrait permettre d’accroître globalement l’emploi ; mais, alors qu’il devrait en résulter une hausse de la demande de travail sur le marché considéré, elle pourrait varier à la hausse ou à la baisse dans les autres secteurs. De plus, nous montrerons que, en dépit de cet effet global positif sur l’emploi, une baisse du pouvoir d’achat pourrait être observée pour un type de consommateurs. Nos résultats nous amènent ainsi à évoquer la possibilité que, bien que l’entrée d’une nouvelle firme sur le marché des télécommunications pourrait au final créer plus d’emplois qu’elle n’en détruirait, la réallocation du facteur travail qui en résultera entre les secteurs pourrait se traduire par une hausse de la demande de travail dans certains secteurs aux dépens de l’emploi dans d’autres industries. De plus, cette stimulation de la concurrence pourrait ne pas profiter de la même façon à toute la population, privilégiant certaines de ses catégories au détriment d’autres.

Ce flou dans la compréhension des conséquences de la concurrence contribue à expliquer pourquoi les politiques de stimulation de la concurrence sont régulièrement condamnées. Pour réfléchir à ce que l’on peut attendre, d’un point de vue global, d’une stimulation de la concurrence, et pour rassembler les points de vue et favoriser ainsi l’émergence d’un véritable consensus quant à l’accroissement de la concurrence sur les marchés des biens, il existe déjà des connaissances et des résultats qui s’appuient sur des modèles. Cependant, malgré leurs intérêts respectifs, des éléments intrinsèques les rendent incomplets. Nous étudions ces modèles dans le section suivante. Ceux que nous développerons ensuite se proposeront de combler certaines limites des travaux existants, en adoptant une perspective de très long terme pour contribuer à l’évaluation de la politique de la concurrence.

3

Politique de la concurrence en

équilibre général : Une synthèse de la

littérature

Dans cette section, nous allons d’abord rappeler brièvement comment la prise en compte des interactions existant entre les différents marchés peut s’avérer nécessaire pour étudier la concurrence imparfaite, en nous appuyant sur des travaux dans lesquels il est montré que les conclusions obtenues dans un cadre d’équilibre partiel ont une portée limitée. Ensuite, nous reviendrons sur certaines des difficultés induites par l’introduction du concept de concurrence imparfaite dans un modèle d’équilibre général et nous exposerons la façon dont de tels problèmes ont été abordés dans la littérature. Enfin, nous nous intéresserons aux principaux résultats obtenus dans un cadre d’équilibre général sur les effets de l’entrée.

3.1

Définition et justification des modèles d’équilibre

général : Quelques exemples généraux