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Apports des modèles d’équilibre général : Illustrations

2.2 Objectifs de la politique de la concurrence, instrument de politique économique

3.1.2 Apports des modèles d’équilibre général : Illustrations

3.1.2.1 Pour estimer le coût social du monopole

Lee et Brown (2008) soulignent les insuffisances des modèles d’équilibre partiel à partir desquels est évalué le coût social du monopole. Pour calculer le surplus social d’un sec- teur, cette analyse néglige les implications possibles pour les autres secteurs. De ce fait, les hypothèses qu’elle requiert apparaissent inappropriées pour mesurer le coût social de

firmes susceptibles d’affecter les prix bien au-delà de leur propre marché. Ils suggèrent en particulier trois raisons de reconsidérer les hypothèses sur lesquelles repose l’analyse traditionnelle de la perte sèche du monopole. Il paraît difficile de concevoir :

• que l’utilité marginale du revenu soit identique pour chaque consommateur, qu’il soit riche ou pauvre ;

• que les comportements réels des monopoleurs puissent être décrits à travers le concept de maximisation du profit du monopole, donc sans tenir compte des divergences d’intérêts entre actionnaires et manageurs ;

• et que les coûts économiques du monopole calculés dans l’analyse antitrust, qui prend comme référence les marchés concurrentiels, ne tiennent pas compte des transferts de ressources qui peuvent accompagner l’entrée de nouvelles firmes sur un marché initialement en monopole - c’est-à-dire ignorent le fait qu’introduire la concurrence parfaite dans une industrie donnée a des effets sur au moins un autre marché, à partir duquel sont captées différentes ressources.1

3.1.2.2 Pour examiner des questions d’ordre général

Selon François et Horn (1998, 2007), le recours à un cadre d’équilibre partiel peut être approprié lorsqu’un secteur donné est concerné par un problème particulier de concurrence, et que ce marché est suffisamment petit par rapport au reste de l’économie pour justifier que les prix des facteurs ne soient pas affectés par une politique antitrust. Mais ce type d’approche ne peut pas convenir pour examiner des questions moins spécifiques comme la position générale de la politique de la concurrence vis-à-vis des fusions ou des collusions (telle que formulée dans le guide des fusions), ou l’exercice d’une politique de la concurrence internationale : en effet, elle ignore des conséquences non négligeables que des politiques qui peuvent affecter des secteurs importants des économies des pays impliqués peuvent avoir entre les secteurs. Pour Blanchard (2006), c’est dans la recherche d’un modèle Européen - à savoir un modèle qui conjugue l’efficacité économique et un bon système d’assurance sociale - qu’il convient de ne pas considérer les marchés de façon isolée. En effet, d’après cet auteur, un tel modèle doit s’appuyer de façon égale sur trois piliers : la concurrence sur le marché des biens, l’assurance sur les marchés du travail et le recours actif à la politique 1. Pour pallier à ces insuffisances, les auteurs développent, comme Brown et Wood (2004), une ana- lyse d’équilibre général dans laquelle les firmes choisissent leurs demandes de facteurs en minimisant leurs coûts de production pour des niveaux de production donnés observables, qui ne sont pas nécessairement déterminés par des objectifs de maximisation de leurs profits ; et ils proposent de prendre comme réfé- rence pour mesurer le coût social du monopole non pas simplement les marchés concurrentiels, mais l’état de l’économie optimal au sens de Pareto, qui utilise le moins de ressources possibles pour procurer aux consommateurs au moins le même niveau de satisfaction que celui atteint dans l’état monopolisé. Autre- ment dit, les auteurs proposent la Pareto optimalité comme l’ultime objectif des autorités antitrust et suggèrent de mesurer le coût social du pouvoir de monopole par la quantité de ressources réelles qui peut être gaspillée sans que cela ne nuise à un seul agent.

macroéconomique.2

François et Horn notent de plus que l’analyse d’équilibre partiel ne permet pas de tenir compte du fait que ce qui importe au consommateur est son revenu réel et qu’il convient d’arbitrer non pas entre surplus des consommateurs et des producteurs mais entre propriétaires des facteurs : alors qu’un faible niveau de concurrence est défavorable à ceux qui, en plus de faire face à des prix plus élevés, voient leurs revenus diminuer, d’autres gagnent malgré la hausse des prix parce que leurs revenus augmentent. Cette distinction entre les gagnants et les perdants traduit certains aspects distributifs de la politique de la concurrence et permet d’identifier les groupes susceptibles de s’opposer à un accord de politique de la concurrence international.

3.1.2.3 Pour étudier les effets de la déréglementation sur les revenus

De leurs côtés, les modèles développés par Blanchard et Giavazzi (2003) et Spector (2004) illustrent le fait que les approches d’équilibre partiel ne sont pas adaptées quand la politique de la concurrence est considérée comme un instrument permettant de stimuler les revenus réels des agents. En effet, alors que, dans un cadre d’équilibre partiel, un taux de marge plus élevé réalisé par les firmes accroît non seulement les rentes qu’elles perçoivent mais aussi le salaire réel des travailleurs qui s’en approprient une proportion d’autant plus grande que leur pouvoir de négociation est important, ce type d’approche ne tient pas compte du fait que les travailleurs sont également des consommateurs : ainsi, bien qu’un taux de marge plus élevé accroisse les rentes des firmes, la prise en compte des effets d’équilibre général se traduit par le fait que ces rentes proviennent des consommateurs qui doivent faire face à des prix plus élevés pour les biens qu’ils achètent. En résumé, alors que les travailleurs gagnent en tant que tels, ils perdent en tant que consommateurs, avec, au final, un impact négatif sur leurs salaires réels.

C’est en prenant en compte ces effets d’équilibre général que les auteurs tentent d’expli- quer pourquoi les travailleurs ne soutiennent pas davantage les mesures de déréglementation des marchés des biens - au sens d’une baisse du taux de marge des firmes, dans leur article - qui, pourtant, exercent des effets positifs sur leurs utilités, dans le court terme comme dans le long terme, qu’ils soient employés ou non. Une des raisons qu’ils avancent découle d’une perception d’équilibre partiel dans laquelle la déréglementation d’un marché implique une diminution des rentes des firmes qui produisent ce bien et ainsi de celles que s’approprient leurs travailleurs, mais qui néglige le fait que la baisse de ces rentes peut être plus que 2. Selon Blanchard, la concurrence sur le marché des biens joue un rôle primordial pour atteindre l’efficacité, une concurrence plus intense incitant les firmes à utiliser les technologies existantes plus ef- ficacement et les firmes inefficaces sortant du marché ; la croissance et la réallocation qui en résultent doivent alors s’accompagner d’une assurance sociale qui en limite les effets néfastes. Le recours actif à la politique macroéconomique est quant à lui destiné à maintenir la production réelle à un niveau proche de la production potentielle, grâce à un ajustement des salaires nominaux aux conditions du marché du travail.

compensée par celle des prix dans tous les secteurs.3

Dans le même esprit mais en introduisant dans le modèle - à côté de l’input travail - le facteur capital, Spector (2004) met en évidence l’incapacité des études d’équilibre partiel à prendre en compte des effets d’équilibre général importants : il montre qu’une intensification uniforme de la concurrence sur le marché des biens accroît, certes, l’emploi total mais peut également générer une baisse des salaires réels, tant dans le court terme que dans le long terme.

L’intuition est la suivante : accroître la concurrence dans une industrie particulière implique une réduction des rentes produites par la concurrence imparfaite, qui reviennent aux travailleurs en fonction du pouvoir de négociation dont ils disposent dans les firmes ; cette intensification de la concurrence nuit donc aux travailleurs de ce secteur. Cependant, des marchés des biens plus concurrentiels conduisent non seulement à des prix plus faibles pour tous les consommateurs, mais ils sont également susceptibles de provoquer une hausse de la production et de l’emploi, ce qui peut générer une hausse du niveau général des salaires. En conséquence, puisque les rentes captées par les travailleurs diminuent et puisque les travailleurs sont également consommateurs, l’effet global d’un accroissement général de la concurrence sur les salaires réels peut en fait être ambigu. Ceci explique que, bien qu’il soit aisé de comprendre pourquoi les travailleurs dans un secteur particulier (ainsi que les actionnaires des firmes de leur secteur) pourraient être opposés à un accroissement de la concurrence sur le marché des biens dans leur secteur, leurs préférences quant à la déréglementation des marchés des biens peuvent ne pas être aussi marquées : en particulier, même si elle implique une hausse de l’emploi et de la richesse agrégée, elle peut nuire à certains groupes. Une meilleure compréhension de ses effets distributifs peut contribuer à mettre en place des politiques de promotion de l’emploi qui reçoivent un support politique suffisant.

3.2

Modéliser la concurrence imparfaite dans un cadre

d’équilibre général : Présentation informelle des

principaux problèmes posés

Les économies du monde réel sont constituées de marchés de biens qui sont loin d’être concurrentiels : ils sont en effet caractérisés par la présence de firmes importantes dont le comportement peut difficilement être appréhendé par l’hypothèse d’agents preneurs de prix. L’analyse de la concurrence imparfaite a ainsi connu, ces dernières années, un re- gain d’intérêt ; les économistes ont en particulier adopté deux approches différentes pour la 3. Notons qu’il est possible d’étendre cet argument d’équilibre partiel à l’équilibre général si l’accroisse- ment de la concurrence ne concerne qu’un secteur suffisamment petit de l’économie : dans ce cas, l’impact est négatif pour les travailleurs de ce secteur, la baisse de ses rentes n’étant pas compensée par une diminution des prix dans tous les secteurs.

modéliser. Celles-ci, bien qu’ayant fortement contribué à notre compréhension des écono- mies du monde réel, n’en demeurent pas moins cloisonnées, chacune d’entre elles ignorant les idées de l’autre. D’un côté, au niveau microéconomique, un ensemble de modèles so- phistiqués a été développé dans le domaine de l’organisation industrielle, pour traiter des interactions stratégiques entre firmes sur un seul marché. Mais ces modèles considèrent typiquement comme donnés les prix des facteurs et le revenu agrégé, et prêtent peu d’at- tention aux interactions entre les marchés. D’un autre côté au niveau agrégé, des modèles de concurrence monopolistique ont été utilisés en macroéconomie, en théorie de l’échange international, en théorie de la croissance... pour introduire les hypothèses de rendements d’échelle croissants et de différentiation des produits dans un cadre d’équilibre général. Ces modèles font, quant à eux, abstraction du comportement stratégique des firmes en place et supposent que de nouvelles firmes, dont l’offre est parfaitement élastique, sont capables d’entrer sur un marché en réponse à la moindre opportunité de profit.

Ces remarques, associées aux limites dont souffrent les approches d’équilibre partiel, contribuent à renforcer l’intérêt de modéliser l’oligopole dans un cadre d’équilibre général, pour compléter la théorie et vérifier sa cohérence. Cependant, les développements réali- sés dans ce sens se heurtent à un certain nombre de problèmes rappelés sous une forme informelle dans la section suivante (Bonnano, 1990 ; Ginsburgh, Keyzer, 1997).