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3.3 Modéliser la concurrence imparfaite en équilibre général : Principaux ap-

3.3.2 Améliorer la compréhension des effets de la politique de la concurrence

3.3.2.1.2 Comprendre les raisons des oppositions des tra-

Blanchard et Giavazzi (2003) contribuent quant à eux à l’évaluation de la politique de la concurrence en proposant un modèle d’équilibre général de concurrence imparfaite qui permet d’identifier des effets négatifs de la déréglementation des marchés des biens et ainsi d’expliquer pourquoi les travailleurs y sont en général opposés.

Ils s’appuient sur un modèle d’équilibre général de concurrence imparfaite pour étudier les effets macroéconomiques d’une déréglementation des marchés des biens et du travail lorsque la déréglementation du marché des biens - réflétée par une baisse du taux de marge des firmes - peut être atteinte, à court terme, par l’augmentation du degré de concurrence entre les firmes et doit être atteinte, à long terme, par la diminution des coûts d’entrée auxquels elles font face. Dans leur modèle, la politique de la concurrence est supposée agir sur la substituabilité des biens : elle est considérée comme un outil permettant d’accroître le nombre de produits.45 Les auteurs cherchent à expliquer pourquoi, en dépit d’effets

positifs de la déréglementation du marché des biens - au sens d’une baisse du taux de marge des firmes - sur l’utilité des travailleurs, employés ou non, à la fois dans le court terme et dans le long terme, ces derniers n’y sont pas plus favorables.

Ils suggèrent que cela peut venir du fait que, si le secteur concerné par la déréglemen- tation est assez petit, alors la baisse du taux de marge des firmes qui en découle exerce un impact négatif sur les travailleurs de ce secteur - en réduisant les rentes qu’ils perçoivent - qui ne sera pas compensé par la baisse des prix dans l’économie.

Une autre raison peut être liée au fait qu’à long terme, l’entrée de nouvelles firmes impliquant une concurrence accrue et des taux de marge plus faibles, l’emploi dans les firmes en place peut diminuer, augmentant le risque que les travailleurs qui y sont em- ployés se retrouvent au chômage. CEla expliquerait pourquoi ils peuvent s’opposer à la 45. Le marché des biens est caractérisé par une situation de concurrence monopolistique. Chaque bien est produit par une firme à partir du facteur travail avec une technologie à rendements d’échelle constants. Le temps est divisé en deux périodes - le court terme (le nombre de firmes est alors donné) et le long terme (le nombre de firmes est endogène et déterminé par une condition d’entrée) et la déréglementation du marché des biens conduit à un nombre plus important de firmes et donc de produits (à la différence de Crettez et Fagart (2009), le nombre de produits dans l’économie est donc variable). Sur le marché du travail, la négociation détermine la distribution des rentes entre travailleurs et firmes, qui choisissent ensemble un salaire et un niveau d’emploi de façon à maximiser la moyenne Log-géométrique du surplus de l’emploi. La déréglementation de ce marché impacte le pouvoir de négociation des travailleurs. A chaque période, un travailleur peut fournir soit une unité de travail, soit aucune et il dépense tout son revenu en biens de consommation. Les quantités de biens qu’il demande maximisent son utilité sous sa contrainte de budget, son revenu étant composé de son salaire s’il travaille ou d’un revenu non salarial sinon.

déréglementation du marché des biens, malgré des salaires plus élevés et un chômage plus faible.46

Blanchard et Giavazzi examinent une troisième piste pour tenter d’expliquer pourquoi les travailleurs se montrent en général si peu favorables à la déréglementation du marché des biens. Elle est basée sur l’idée que si la déréglementation du marché du produit réduit les rentes provenant de la concurrence imparfaite, alors les travailleurs devraient avoir moins d’incitations à s’en approprier une partie et donc à rejoindre les syndicats. S’il en est ainsi, ces derniers deviennent moins puissants ; donc le pouvoir de négociation des travailleurs diminue (cette baisse traduit la déréglementation du marché du travail). Ainsi, si le pouvoir de négociation des travailleurs réagit fortement à la baisse du taux de marge des firmes, alors la déréglementation du marché du produit - lorsqu’elle est reflétée par une stimulation de la concurrence qui rend la demande qui s’adresse aux firmes plus élastique et réduit leurs taux de marge - pourrait, in fine, conduire à un salaire réel plus faible, et non plus élevé ; c’est-à-dire que l’effet indirect, à travers la baisse du pouvoir de négociation des travailleurs (qui les amène à abandonner des rentes, au profit des firmes, diminuant ainsi leurs salaires réels), pourrait dominer l’effet direct à travers la baisse du taux de marge des firmes (qui aboutit à une hausse du salaire réel) résultant d’une intensification de la concurrence sur les marchés des biens.

Dans leur lignée mais sous des hypothèses plus générales, Spector (2004) analyse les effets macroéconomiques d’une variation de l’intensité de la concurrence sur les marchés des biens et du travail et cherche également à expliquer l’opposition des travailleurs à la déréglementation du marché des biens. La principale différence avec l’article de Blanchard et Giavazzi concerne l’introduction du capital comme facteur de production.47 48

46. Il est supposé que les travailleurs qui étaient employés dans une firme avant une réforme le sont en priorité après la réforme dans le long terme.

47. Comme Blanchard et Giavazzi, il tient compte des interactions entre concurrence imparfaite sur le marché des biens et négociation entre salariés et entreprises sur le marché du travail : la variable politique reflétant les régulations des marchés des biens consiste à limiter le nombre de variétés de biens pouvant être produites par chaque firme ; la régulation du marché du travail agit quant à elle en réduisant le pouvoir de négociation des travailleurs. La négociation dans chaque firme entre travailleurs et actionnaires peut prendre place à travers deux dimensions selon que ces derniers négocient d’abord sur le niveau du salaire réel et que chaque firme choisit ensuite librement le niveau d’emploi ou que la négociation a lieu simultanément sur les salaires réels et l’emploi (négociation efficace, comme dans le modèle de Blanchard et Giavazzi (2003)). Comme Blanchard et Giavazzi, Spector considère une technologie à rendements d’échelle constants, mais, alors qu’ils supposent que le travail est le seul input et que la productivité marginale de ce facteur est constante, Spector suppose des inputs capital en plus des inputs travail, et une productivité marginale du travail décroissante. Le temps est divisé en deux périodes - le court terme (le nombre total de firmes est alors exogène) et le long terme (le nombre de firmes est endogène et s’ajuste de façon à maintenir constant le profit par firme).

48. Pour Spector, la raison de l’utilisation du capital comme input est la suivante : une littérature empirique importante a montré que les syndicats et les employeurs négocient non seulement sur les rentes provenant de la concurrence imparfaite (gagnées au dépens des travailleurs et des actionnaires dans les autres secteurs), mais également sur la division des quasi-rentes induites par l’irréversibilité partielle des investissements en capital. Ainsi, analyser l’interaction entre concurrence sur le marché des biens et conflit

Spector montre qu’alors qu’une concurrence accrue sur le marché des biens augmente l’emploi de façon certaine, à la fois dans le court terme et dans le long terme, ses effets sur les salaires peuvent être ambigus. Ils ne dépendent pas à court terme de la forme que prend la négociation sur le marché du travail mais l’indétermination résulte du fait que la concurrence sur le marché des biens exerce sur les salaires deux effets de sens opposés. L’idée est que davantage de concurrence implique une baisse des marges prix- coût réalisées par les firmes et une hausse des salaires réels (car les prix diminuent). Si leurs profits résultent principalement de l’exercice de leur pouvoir de marché, alors ils sont nécessairement captés sur les travailleurs, et le degré de concurrence détermine comment le surplus total se répartit entre travailleurs et firmes.49

Mais, si les profits des firmes ne proviennent pas uniquement de leur pouvoir de marché, les travailleurs peuvent gagner plus que leur salaire concurrentiel en s’appropriant une partie des "quasi-rentes". Cependant, accroître la concurrence sur le marché des biens implique que davantage de firmes produisent un bien particulier ; le marché de ce bien est donc plus concurrentiel et les rentes diminuent tandis que l’élasticité de la demande à laquelle font face les firmes s’accroît. Il leur est alors plus difficile de faire face à cette baisse des rentes en augmentant les prix qu’elles fixent. De ce fait, elles répondent en changeant leur niveau de production, et par conséquent leur demande de travail. Plus de concurrence rend ainsi la demande de travail des firmes plus élastique, ce qui affaiblit les travailleurs dans leur processus de négociation (plus l’élasticité de la demande de travail est élevée, plus les travailleurs craignent de se retrouver au chômage lorsqu’ils demandent des hausses de salaires). L’appropriation des quasi-rentes leur est alors plus difficile, et leurs salaires réels peuvent diminuer. A travers ce mécanisme, une concurrence plus intense sur le marché des biens peut donc nuire aux travailleurs, au moins dans le court terme.50

A long terme, c’est-à-dire pour un niveau inchangé de profit par firme, l’intuition est la suivante : une concurrence accrue implique que chaque firme produit plus, parce que les incitations à restreindre la production de façon à augmenter le prix sont moindres.51

Ceci accroît l’emploi par firme. Si les salaires restaient constants, alors, quand ils sont en dessous de la productivité marginale du travail, cet accroissement augmenterait le profit de chaque firme de sorte que seule une hausse des salaires peut restaurer les profits à leur niveau originel. A l’inverse, l’accroissement de l’emploi qui découle d’une stimulation de la distributif dans les firmes requiert de tenir compte de ces quasi-rentes, c’est-à-dire de prendre en compte l’existence des inputs capital en plus des inputs travail.

49. L’effet positif de la concurrence sur les salaires se produit en particulier lorsque le salaire de réser- vation est croissant avec le taux d’emploi et que soit les rendements du facteur travail sont constants, soit le travailleur ne dispose d’aucun pouvoir de négociation, auquel cas son salaire est égal à son utilité de réservation, qui est croissante avec le taux d’emploi.

50. Ce second effet entre notamment en jeu lorsque la productivité marginale du travail est décroissante et que le salaire de réservation est constant.

51. Pour étudier les effets de long terme de la concurrence sur les salaires, Spector considère une économie ouverte et un taux d’intérêt mondial exogène, dans laquelle le nombre de firmes s’ajuste pour maintenir constant le profit par firme.

concurrence réduit le profit de chaque firme si les salaires sont au-dessus de la productivité marginale du travail. Dans ce cas, seule une baisse des salaires peut ramener les profits à leur niveau initial.

Ces phénomènes permettent d’expliquer pourquoi les travailleurs qui ne disposent d’au- cun pouvoir de négociation ou d’un pouvoir faible sont favorables à davantage de concur- rence, alors qu’au contraire, des travailleurs dotés d’un fort pouvoir de négociation se montreront plus réservés face à une stimulation de la concurrence sur le marché des biens - en raison de l’effet adverse sur leurs salaires réels découlant d’un affaiblissement de leur position de négociation. Le modèle de Spector suggère ainsi comment une réduction du pouvoir de négociation des travailleurs dans les firmes pourrait permettre d’obtenir le soutien des travailleurs à la déréglementation du marché des biens.

Il révèle aussi que lorsque les travailleurs ont une vision de long terme des effets de la déréglementation du marché du produit, ils sont susceptibles de s’opposer à une telle politique si leurs salaires baissent dans le long terme, c’est-à-dire dans le cas d’une négo- ciation efficace ; donc dès lors que les institutions du marché du travail leur sont favorables et leur permettent de négocier non seulement sur les salaires mais également sur l’emploi. Il suggère ainsi que la déréglementation du marché du travail et celle du marché des biens sont des compléments politiques.

Ces résultats mettent en évidence que c’est en raison d’effets diffus sur les salaires réels à travers les baisses de prix que les travailleurs s’opposent en général à la déréglementation du marché des biens. L’utilisation de modèles d’équilibre général permet de les mettre en lumière : ils contribuent ainsi à expliquer certains comportements. Ils illustrent en quoi la prise en compte des interactions entre différents marchés peut contribuer à une meilleure compréhension de certains faits macroéconomiques et montrent comment la politique de la concurrence peut être utilisée pour amoindrir ou renforcer les effets d’une mesure de politique économique.

L’intérêt de recourir à des approches d’équilibre général est également clairement établi par Parente et Prescott (2002) pour évaluer les incidences quantitatives liées à l’autorisa- tion et la protection des droits de monopole sur les différences de productivité totale des facteurs. Ayant identifié les facteurs qui peuvent être à l’origine des disparités observées dans les niveaux de revenus entre les pays riches et pauvres, ils montrent quel rôle peut jouer la politique de la concurrence pour réduire ces inégalités.