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2.2 Objectifs de la politique de la concurrence, instrument de politique économique

2.3.2 La concurrence, vice ou vertu ?

2.3.2.1 Une culture de la concurrence qui se développe en France...

En France, le passage d’une économie administrée à une véritable économie de marché a été permis par l’Ordonnance du 1er Décembre 1986, notamment en confiant la régula- tion de la concurrence à une autorité administrative indépendante, dotée d’un pouvoir de décision. Cette Ordonnance marque la fin de la réglementation des prix et établit la liberté de la concurrence. Jusqu’alors, c’est la législation de 1810 qui prévalait, interdisant notam- ment les coalitions qui manipulent les prix "au-dessus ou au dessous [de ceux] qu’aurait déterminés la concurrence naturelle et libre du commerce" (article 419 du Code Pénal). Apparaissant mal adaptée à la réalité industrielle, elle avait toutefois subi des modifica- tions entre les deux guerres et faisait usage de souplesse dans son application. Au début des "Trente Glorieuses", la nécessité de répondre à une situation de retard économique et de pénurie justifiait le contrôle des prix et une planification "indicative et incitative", qui avait pris forme avec le premier plan de reconstruction. Par la suite, dans les années 60, la volonté de créer des champions nationaux avait conduit à la mise en place d’un dispositif d’aides fiscales qui incitait les entreprises aux regroupements et aux fusions et acquisitions.

C’est avec la crise pétrolière de 1973 et ses suites que des critiques de l’approche planifi- catrice avaient commencé à apparaître, pour aboutir à une évolution radicale de l’approche politique de la régulation économique de la France, à la fin des années 1970 : la place de la concurrence dans l’économie était renforcée, la fixation des prix devenait plus libre et le contrôle des fusions était accru, sur le modèle des actions menées par la Commission Européenne. Et, au milieu des années 1980, un consensus s’était formé en faveur de la li- béralisation et du contrôle des ententes et abus de positions dominantes, pour donner lieu à l’Ordonnance de 1986, relative à la liberté des prix et de la concurrence, et instituant le Conseil de la concurrence, devenu aujourd’hui l’Autorité de la concurrence.

A cette époque, la culture de la concurrence était très peu présente en France. C’est au cours des années 1990 qu’elle a commencé à s’installer, notamment avec la réalisation du marché unique européen - qui a remis en cause la légitimité des monopoles publics nationaux et a rendu nécessaire d’ouvrir ces secteurs à la concurrence - et l’application du contrôle communautaire des concentrations dans cette période marquée par des restructu- rations considérables.

Pourtant, l’autorité concurrentielle avait été chargée de mener des opérations de pé- dagogie, conjointement à ses activités de veille et de contrôle, bien avant cette période, notamment à partir de 1977 quand la Commission de la concurrence avait été chargée de conseiller le Gouvernement sur toute question de concurrence et d’émettre des avis sur les opérations ou projets de concentration.

Le développement de la culture de la concurrence s’est accéléré avec la Loi de Moderni- sation de l’Economie qui a renforcé les pouvoirs du Conseil de la concurrence et crée l’Au- torité de la concurrence. En particulier, la faculté octroyée à l’Autorité d’intervenir dans les débats publics et économiques - notamment en lui donnant la possibilité de donner son avis aux pouvoirs publics, de sa propre initiative, et de formuler des recommandations aux entreprises - a contribué à améliorer la compréhension des problématiques concurrentielles et à renforcer ainsi la culture de la concurrence.

Aujourd’hui, la politique de la concurrence fait l’objet d’une actualité récurrente et les effets bénéfiques de la concurrence semblent mieux perçus en France et mieux intégrés dans les comportements des consommateurs, des entreprises et des décideurs politiques. En témoigne une étude réalisée en 2011 par TNS-SOFRES sur un échantillon représentatif de 1000 Français sur la demande de l’Autorité de la concurrence.27 Elle montre que les

consommateurs Français apprécient mieux à présent les bienfaits que la concurrence peut leur apporter au quotidien : prix plus attractifs, diversité et qualité des produits et services accrues, innovation stimulée... Ils font davantage jouer la concurrence dans leurs actes d’achat, n’hésitant pas à comparer à différents niveaux les offres qui leurs sont proposées (prix, qualité, prestations,...), la démocratisation d’Internet facilitant en outre la recherche 27. Les résultats de cette étude sont disponibles sur le site : http ://www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/synthese_francais_et_concurrence.pdf. Un rapport analy- tique relatif à la perception qu’avaient de la politique de la concurrence les citoyens de l’Union Européenne en 2009 figure sur le site : http ://ec.europa.eu/competition/publications/reports/citizens_fr.pdf

d’informations. De plus, conscients des conséquences que peuvent avoir les comportements anti-concurrentiels, ils estiment majoritairement qu’il faut sanctionner les firmes qui ne respectent pas le droit de la concurrence.

Au niveau politique, la prise en compte des effets sur la concurrence des projets de textes ou de réformes publics est favorisée par les avis rendus par l’Autorité, qui permettent de mettre en évidence leurs effets pro- ou anti-concurrentiels. Sensibilisés, conseillés et éclai- rés, les décideurs politiques peuvent ainsi procéder à l’évaluation des solutions proposées, dans un meilleur respect des règles concurrentielles. Par exemple, le 1er février 2013, l’Au- torité de la concurrence avait été saisie par l’Association pour la Promotion de l’Assurance Collective (A.P.A.C.) à la suite de l’Accord National Interprofessionnel (A.N.I.). Cet ac- cord, signé le 11 Janvier 2013 par des organisations syndicales et patronales, prévoyait que toutes les entreprises proposent à leurs salariés, dans le cadre d’un contrat obligatoire, une couverture complémentaire des frais de santé. Elle avait rendu le 29 Mars 2013, à quelques jours de l’examen du texte à l’Assemblée Nationale, un avis dans lequel elle émettait plusieurs recommandations pour qu’une véritable dynamique concurrentielle puisse être établie entre les différents acteurs du secteur de la protection complémentaire santé.28

L’instauration récente des actions de groupes dans le droit Français - qui permettent à plusieurs consommateurs victimes d’un même préjudice de porter collectivement l’affaire devant les tribunaux - traduit également l’importance donnée par les pouvoirs publics au respect des règles concurrentielles.

Alors que, dans les années 80 et 90, pratiquer des ententes faisait parfois partie de la vie des entreprises, la concurrence semble également à présent mieux intégrée dans leurs stratégies. L’application des règles de concurrence leur permet d’éviter d’être lésées par des ententes ou des abus de position dominante. Elle permet à de nouvelles entreprises d’entrer librement sur un marché et de redessiner le paysage concurrentiel. L’ouverture des frontières, la faculté offerte aux entreprises par l’Ordonnance de 1986 de pouvoir saisir directement le Conseil de la concurrence et la médiatisation de la sanction de grands cartels ont contribué à modifier les mentalités des entreprises. Le travail de pédagogie et de prévention dans lequel est engagée l’Autorité à leur égard vise aussi à les amener à mieux intégrer la culture et les règles de concurrence dans leur activité pour devenir des acteurs à part entière de la concurrence. Elle les guide par exemple dans le développement de dispositifs internes dans le cadre de programmes de conformité aux règles de concurrence et met à leur disposition des "lignes directrices", pour les éclairer sur ses procédures et leur offrir ainsi un support à l’identification de "bonnes pratiques". Par ailleurs, elle leur donne la possibilité, avec la procédure d’engagement - procédure participative née avec la loi N.R.E. - de proposer des solutions structurelles et/ou comportementales élaborées pour remédier aux atteintes à la concurrence qui pourraient résulter de leur comportement sur le marché et qui auraient été identifiées par l’Autorité lors d’une évaluation préliminaire.29

28. Avis 13-A-11 du 29 mars 2013 relatif aux effets sur la concurrence de la généralisation de la couverture complémentaire collective des salariés en matière de prévoyance.

2.3.2.2 ... mais qui reste limitée

Au vu de ces éléments, entreprises, consommateurs et pouvoirs publics semblent être devenus aujourd’hui des acteurs à part entière de la concurrence. Cependant, alors que les Français, dans leur rôle de consommateurs, ont plutôt une perception positive de la concurrence, comme stimulant du marché et garant des rapports de force entre les différents acteurs économiques, les Français dans un cadre plus général semblent plus sceptiques quant à ses effets. En particulier, il ressort de l’étude de TNS-SOFRES qu’ils "sont plus modérés à lui créditer un impact positif sur le pouvoir d’achat (65%), sur la croissance économique (53%), et encore plus sur l’emploi, 38% lui accordant un impact positif pour 42% un impact négatif".

Par ailleurs, le non respect par Réunica de l’obligation de notification d’une opération de concentration (Communiqué du 1er février 2013), les pratiques d’ententes dans le secteur de l’abattage-découpe et de la commercialisation du porc charcutier (Décision n˚13-D- 03 du 13 février 2013 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur du porc charcutier), la mise en oeuvre de pratiques anti-concurrentielles par Orange et SFR sur le marché de la téléphonie mobile (Communiqué du 13 Décembre 2012), l’entente entre la Fnac, France Billet et Ticketnet dans la vente de billets de spectacle (Communiqué du 20 décembre 2012)..., l’actualité montre que les entreprises ne se prêtent pas toujours au jeu de la concurrence. Les chiffres relatifs à l’activité de l’Autorité de la concurrence confirment ce fait : alors que, sous l’effet de la crise, le rythme des concentrations a ralenti en 2012 et que le nombre de décisions s’y rapportant (autorisations, autorisations sous réserve d’engagements, décisions d’inapplicabilité du contrôle) a connu une baisse, passant de 215 en 2011 à 185 en 2012, le nombre et le montant des sanctions prononcées par l’Autorité de la concurrence pour des cas d’abus de position dominante, d’ententes ou de non-respect d’engagements (dans le cadre de pratiques anti-concurrentielles ou du contrôle des concentrations) ont augmenté en 2012 : 13 décisions de sanctions ont été prises en 2012 pour un montant total de 540,5 millions d’euros, contre 8 décisions de sanctions en 2011, pour un total de 419,8 millions d’euros.30En outre, il apparaît que peu d’entreprises

tions de sensibilisation aux règles de concurrence. Elle met notamment à disposition des entreprises une brochure intitulée "Compliance Matters" pour les guider vers un plus grand respect des règles concurren- tielles de l’Union Européenne : http ://ec.europa.eu/competition/antitrust/compliance/index_en.html ; elle met aussi à disposition sur son site Internet un espace dédié aux consommateurs dans lequel il est expliqué en quoi consiste la politique de la concurrence et pourquoi elle est importante : http ://ec.europa.eu/competition/consumers/index_fr.html. De la même façon, l’O.C.D.E. met à disposi- tion des gouvernements un mode d’emploi d’évaluation de la concurrence, intitulé "Competition Assessment Toolkit", destiné à les aider à identifier des barrières à la concurrence non justifiées et à l’égard desquelles adopter des mesures conformes à leurs objectifs : http ://www.oecd.org/daf/competition/assessment- toolkit.htm

Françaises aient recours à la procédure de clémence - dont les grandes lignes ont été prévues par la loi du 15 Mai 2001 sur les Nouvelles Régulations Economiques ("loi N.R.E.") - avec, comme cause probable, la lente évolution des mentalités.

De plus, malgré les évolutions de la culture de la concurrence en France, des mesures dérogatoires et réglementaires propres au modèle économique français persistent sur cer- tains marchés. L’O.C.D.E., dans son étude économique réalisée sur la France et publiée le 19 Mars 2013, a ainsi recommandé, parmi les mesures destinées à réduire les dépenses et relancer la croissance, de renforcer la concurrence dans le secteur de la distribution et des services, pour améliorer la compétitivité et contribuer à accroître le pouvoir d’achat. De même, le Président du Conseil Européen, Herman Van Rompuy, et le Commissaire Eu- ropéen chargé des affaires économiques, Olli Rehn, ont, début Mai 2013, invité la France respectivement à réformer ses marchés du travail et des produits et à réaliser des réformes "substantielles en matière de marché du travail, de système de retraite et d’ouverture des marchés". L’une des exigences de Bruxelles réside dans l’accélération de la libéralisation des marchés des biens et services, tant dans le secteur de l’électricité que dans celui du transport ferroviaire, et dans l’ouverture à la concurrence des professions réglementées - libéralisation qui se heurte souvent à l’opposition des professions visées - qu’il s’agisse des pharmaciens, des avocats, des taxis ou encore des notaires... comme le préconisaient déjà le Comité Rueff-Armand en 1960, ou la Commission Attali en 2008. Dans la même lignée, le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, a appelé fin Mai 2013 à multiplier les réformes structurelles, qu’elles concernent le marché du travail, les retraites, les professions réglementées, le logement...

Dans la même période, la réforme ferroviaire - qui devrait rapprocher la S.N.C.F. et le gestionnaire du réseau "Réseau Ferré de France" - engagée par le gouvernement dans le but d’unifier le rail français pour créer un "champion européen" ferroviaire et favoriser la sécurité - faisait l’objet de protestations, alors même que le Ministre délégué aux Trans- ports, Frédéric Cuvillier, qui essayait de lever les inquiétudes sur le projet, insistait sur le fait que le projet n’était "pas encore écrit" et ne visait pas "la libéralisation" du rail.

En Juin 2013, c’est la réforme du contrôle aérien européen, destinée à libéraliser le secteur pour faire face à la croissance du trafic, qui était contestée, avant même son lan- cement. Les protestations des contrôleurs aériens contre les projets de libéralisation du secteur envisagés par Bruxelles pour créer un système unique de contrôle du trafic aérien en Europe (connu sous le nom de "ciel unique européen") - la Commission estimant que la fragmentation de l’espace aérien européen générait des surcoûts supportés par les passagers à travers les prix des billets - avaient même amené Paris et Berlin à formuler une demande commune auprès de la Commission Européenne de différer son plan de libéralisation de la navigation aérienne.

Ainsi, bien que la culture de la concurrence ait progressé, une certaine méfiance persiste envers la concurrence, qui rend difficile l’obtention d’un réel consensus. Elle peut être liée au fait que, même si ses impacts sur la collectivité peuvent être globalement positifs, les (14 Janvier 2013) : "Concurrence : le montant des sanctions en hausse en 2012", par Marie Bellan.

conséquences d’une politique de la concurrence ne sont pas toujours clairement établies et peuvent être perçues différemment par différentes catégories de la population au cours du temps.

2.3.3

Un consensus difficile face à une concurrence dont les effets