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Il doit s’agir d’un contrat à titre onéreux

Chapitre III.- La délimitation du champ d’application des directives « marchés publics »

Section 5.- Le cocontractant du pouvoir adjudicateur

D. Il doit s’agir d’un contrat à titre onéreux

De façon assez contradictoire, la Cour a retenu dans le même arrêt que « le fait que les ouvrages d’équipement sont réalisés par le titulaire du permis en son nom propre, avant qu’il ne les cède à la commune, n’est pas de nature à enlever à cette dernière la qualité de pouvoir adjudicateur par rapport à la réalisation d’un tel ouvrage »741. Dans un cas pareil, il n’y a, au point de vue du droit civil, aucun contrat entre le pouvoir public et l’entrepreneur qui exécute les travaux. La Cour a fourni ultérieurement, dans un arrêt du 20 octobre 2005742, quelques éclaircissements au sujet de l’arrêt Ordine degli Architelli : lorsque le pouvoir adjudicateur n’a pas le choix de con cocontractant, l’effet utile de la directive « marchés publics de travaux » 93/37/CE est préservé, dès lors que la personne désignée par la loi applique les procédures de passation prévues par la directive au lieu du pouvoir adjudicateur.

En fin de compte, l’arrêt Ordine degli Architetti reste obscur743. L’affaire au fond qui a conduit à cet arrêt nous paraît en réalité soulever un problème plus fondamental, à savoir dans quelle mesure la loi nationale est autorisée à désigner un cocontractant obligatoire à l’administration. Compte tenu de la jurisprudence de la Cour relative à la collaboration entre les pouvoirs publics, la désignation d’un cocontractant obligatoire ne devrait pas poser de problème, dès lors que la personne ainsi désignée remplit une fonction étatique, cette répartition des tâches relevant alors de l’organisation interne de l’Etat membre en question744

. En revanche, si la personne désignée remplit une fonction privée, tant le droit primaire que les directives « marchés publics » sont contournés. Dans ce cas, la loi nationale est contraire au droit primaire ainsi qu’aux directives « marchés publics », si le marché entre dans leur champ d’application matériel. Tel nous semble avoir été le cas dans l’affaire Ordine degli Architetti745.

- Pour l’application de la directive 2004/18/CE, il n’y a pas lieu de distinguer suivant le but poursuivi par le marché, à savoir satisfaire des besoins d’intérêt général ou non746

.

- La Cour a retenu qu’il était « judicieux de ne pas exclure d’emblée l’application de la directive 2004/18 à une procédure en deux phases, caractérisée par la vente d’un terrain qui fera ultérieurement l’objet d’un marché de travaux, en considérant ces opérations comme un tout »747.

C. Les directives ne visent expressément que les contrats conclus par écrit 239.- Cette condition est régulièrement rappelée par la Cour748.

D. Il doit s’agir d’un contrat à titre onéreux

740 Arrêt de la Cour du 12 juillet 2001, Ordine degli Architetti, C-399/98, point 100.

741

Arrêt de la Cour du 12 juillet 2001, Ordine degli Architetti, C-399/98, point 95.

742

Arrêt de la Cour du 20 octobre 2005, Commission/France, C-264/03, points 56 et 57 ; cf. également le point 100 de l’arrêt de la Cour du 12 juillet 2001, Ordine degli Architelli, C-399/98.

743

Voir en ce sens également, A.L. DURVIAUX, Logique de marché et marché public, Bruxelles, Larcier, 2006, no 39.

744 Cf. à ce sujet ci-dessus no 232.

745 Sous réserve d’un examen détaillé des circonstances de fait et de la législation nationale applicable. La lecture de l’arrêt de la Cour n’en donne qu’une idée approximative.

746 Voir l’arrêt de la Cour du 18 novembre 2004, Commission/Allemagne, C-126/03, point 21.

747

Arrêt de la Cour du 25 mars 2010, Helmut Müller, C-451/08, point 82.

748

Arrêt de la Cour du 8 mai 2013, Libert, C-197/11 et C-203/11, points 111 et 112 ; arrêt de la Cour du 12 juillet 2001, Ordine degli Architetti, C-399/98, point 87 ; arrêt de la Cour du 20 octobre 2005, Commission/France, C-264/013, point 38 ; arrêt de la Cour du 25 mars 2010, Helmut Müller, C-451/08, point 88 ; arrêt de la Cour du 15 juillet 2010, Commission/Allemagne, C-271/08, point 69. Cf. en sens contraire, mais à tort, G. ERVYN, « La notion de marché public de travaux suivant la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne » in Chronique des marchés publics, Constant De Koninck en EBP, 2011, pp. 75 et s., no 45.

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240.- D’après certains arrêts de la Cour, « le caractère onéreux d’un contrat se réfère à la contre-prestation offerte au prestataire en raison de la contre-prestation de services visée par le pouvoir adjudicateur »749. L’accent est donc mis sur la prestation que reçoit le cocontractant du pouvoir adjudicateur. Cette affirmation se trouve de manière légèrement différente dans deux arrêts antérieurs750. Il n’est pas requis que la contre-prestation offerte à l’adjudicataire soit exclusivement financière751.

Dans l’arrêt Helmut Müller du 25 mars 2010, le caractère onéreux du contrat résulte tant de la prestation de l’adjudicataire que de la contrepartie qu’il reçoit752

.

La Cour a précisé qu’ « il ressort du sens normal et habituel des termes « à titre onéreux », [qu’] un contrat ne saurait échapper à la notion de marché public du seul fait que sa rémunération reste limitée au remboursement des frais encourus pour fournir le service convenu »753.

La question de savoir ce que recouvre la notion « à titre onéreux » donne lieu à de longs débats en rapport avec l’action des pouvoirs publics dans le domaine de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire. La jurisprudence allemande était divisée sur le point de savoir si certaines conventions dans ce domaine, passées par des municipalités, devaient être qualifiées de marchés publics, bien que le pouvoir public ne retire aucun avantage direct de l’opération en question. C’est dans ce contexte que la Cour a rendu un important arrêt le 25 mars 2010 dans l’affaire C-451/08 (Helmut Müller). Cet arrêt permet de considérer que de pareilles opérations ne sont en principe pas à qualifier de marchés publics de travaux à défaut de caractère onéreux, vu l’absence d’un « intérêt économique direct » pour le pouvoir adjudicateur concerné.

La Cour s’y est exprimée comme suit : « Le caractère onéreux du contrat implique que le pouvoir adjudicateur ayant conclu un marché public de travaux reçoive en vertu de celui-ci une prestation moyennant une contrepartie »754.

Il ne suffit cependant pas de n’importe quelle prestation à charge de l’adjudicataire. La Cour a jugé dans ce même arrêt qu’« en raison de sa nature ainsi que du système et des objectifs de la directive 2004/18, [une telle prestation] doit comporter un intérêt économique direct pour le pouvoir adjudicateur »755.

Un peu plus loin, la Cour précise quels sont les cas dans lesquels il existe un intérêt économique direct :

« Cet intérêt économique est clairement établi lorsqu’il est prévu que le pouvoir adjudicateur deviendra propriétaire des travaux ou de l’ouvrage faisant l’objet du marché [point 50].

749

Arrêt de la Cour du 18 juillet 2007, Commission/Italie, C-382/05, point 39 ; cf. également l’arrêt de la Cour du 18 janvier 2007, Jean Auroux, C-220/05, point 45, ainsi que l’arrêt de la Cour du 12 juillet 2001, Ordine degli Architetti, C-399/98, point 77.

750

Cf. l’arrêt de la Cour du 18 janvier 2007, Jean Auroux, C-220/05, point 45, ainsi que l’arrêt de la Cour du 12 juillet 2001, Ordine degli Architetti, C-399/98, point 77.

751

Voir notamment en ce sens, A.L. DURVIAUX, Logique de marché et marché public, Bruxelles, Larcier, 2006, no 24.

752 Arrêt de la Cour du 25 mars 2010, Helmut Müller, C-451/08, point 48.

753

Arrêt de la Cour du 19 décembre 2012, Azienda Sanitaria Locale di Lecce, C-159/11, point 29 ; voir également l’arrêt de la Cour du 13 juin 2013, Piepenbrock, C-386/11, point 31 ; l’arrêt de la Cour du 20 juin 2013, Consiglio Nazionale degli Ingegneri, C-352/12, point 38.

754

Arrêt de la Cour du 25 mars 2010, Helmut Müller, C-451/08, point 48.

755

Arrêt de la Cour du 25 mars 2010, Helmut Müller, C-451/08, point 49. L’arrêt Helmut Müller confirme la solution adoptée par une loi fédérale allemande après la décision de renvoi (cf. les conclusions de l’avocat général Paolo Mengozzi dans la même affaire, note 7). Bien que fondée d’après la Cour sur la « nature ainsi que …[le] système et … [les] objectifs de la directive 2004/18 » l’interprétation retenue n’en aboutit pas moins à restreindre le champ d’application des directives. Aux conditions d’existence d’un marché public expressément indiquées par les directives, elle ajoute celle d’un intérêt économique direct pour le pouvoir adjudicateur. La Cour n’explique cependant ni pourquoi une interprétation de la notion de « contrat à titre onéreux », conforme au sens commun de ces mots en droit civil, manquerait d’atteindre les objectifs de la directive, ni en quoi les objectifs de la directive imposeraient l’interprétation restrictive qu’elle en donne. Aussi, la démarche de la Cour manque de netteté. De fait, par rapport à l’objectif des directives « marchés publics » qui consiste à garantir l’exercice des libertés fondamentales, l’existence d’un intérêt économique direct dans le chef du pouvoir adjudicateur est dépourvu de pertinence (cf. à ce sujet également ci-dessous, nos 244 et 245).

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Un tel intérêt économique peut être également constaté s’il est prévu que le pouvoir adjudicateur disposera d’un titre juridique qui lui assurera la disponibilité des ouvrages faisant l’objet du marché, en vue de leur affectation publique (voir, en ce sens, arrêt Ordine degli Architetti e.a., précité, points 67, 71 et 77) [point 51].

L’intérêt économique peut encore résider dans les avantages économiques que le pouvoir adjudicateur pourra tirer de l’utilisation ou de la cession futures de l’ouvrage, dans le fait qu’il a participé financièrement à la réalisation de l’ouvrage ou dans les risques qu’il assume en cas d’échec économique de l’ouvrage (voir, en ce sens, arrêt Auroux e.a., précité, points 13, 17, 18 et 45) [point 52] ».

Encore plus loin, la Cour retient que « le simple exercice de compétences de régulation en matière d’urbanisme, visant à la réalisation de l’intérêt général, n’a pas pour objet la réception d’une prestation contractuelle ni la satisfaction de l’intérêt économique direct du pouvoir adjudicateur, ainsi que l’exige l’article 1er

, paragraphe 2, sous a)756, de la directive 2004/18 »757.

Il y a lieu de penser que l’énumération des cas d’intérêt économique direct donnée par la Cour n’est pas exhaustive758. En effet, dans un arrêt du 13 juillet 2010759, la Cour a reconnu qu’un marché de services conclu par un pouvoir adjudicateur afin de remplir une obligation légale qui lui incombait présentait pour lui un intérêt économique direct, bien qu’il ne fût pas le bénéficiaire final des prestations. Il faut supposer que cette solution vaut également pour des marchés publics de travaux. La notion « d’intérêt économique direct » que l’arrêt Helmut Müller introduit dans le droit européen des marchés publics constitue à notre sens une complication inutile. On remarquera d’abord que la Cour ne définit pas ce qu’elle entend par « intérêt économique direct », se limitant à fournir des exemples. Parmi les cas cités se trouve également celui où le pouvoir adjudicateur « a participé financièrement à la réalisation de l’ouvrage ». L’intérêt économique direct existe donc tantôt par ce que donne le pouvoir adjudicateur, tantôt par ce qu’il reçoit. Le contenu de la notion restant indéfini, il est impossible de prédire comment elle sera utilisée à l’avenir760

. Il est peu besoin de souligner que cette façon de procéder est source d’insécurité juridique.

En définitive, il nous semble que l’usage de la notion d’« intérêt économique direct », de contenu indéfini, ait été dicté par l’embarras de justifier pourquoi certains contrats conclus par des pouvoirs publics dans le domaine de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire échappent à la directive 2004/18/CE.

Or, beaucoup de ces contrats échappent à l’emprise de la directive 2004/18/CE, parce qu’ils ne comportent pas d’engagement de construire contraignant à charge de l’opérateur économique concerné, soit parce que, indiquant plutôt à quelles condition une autorisation ou une approbation sont données, ils n’ont pas pour objet des travaux, ou encore pour d’autres motifs.

E. Ne convient-il pas plutôt - à défaut d’autres éléments décisifs - d’interpréter l’exigence du caractère « onéreux » du contrat selon sa signification usuelle au moment où le législateur l’a introduite ?

241.- La doctrine refuse en général l’interprétation des directives suivant des concepts nationaux761. En principe, la Cour n’admet l’interprétation d’une notion de droit européen en fonction d’un droit

756

Ce point définit la notion de « marché public ».

757 Arrêt de la Cour du 25 mars 2010, Helmut Müller, C-451/08, point 57.

758 Voir en ce sens également les conclusions de l’avocat général Melchior Wathelet du 11 avril 2013 dans l’affaire Commission/Pays-Bas (C-576/10), point 112.

759 Arrêt de la Cour du 15 juillet 2010, Commission/Allemagne, C-271/08, points 75 à 80.

760

Voir en ce sens notamment, P. ELEFTHERIADIS, « Planning Agreements as Public Contracts under the EU Procurement Rules », Public Procurement Law Review, 2011, 2, pp. 43 et s., en particulier, points 6 et 9 ; A.L. DURVIAUX, « Droit européen des marchés et autres contrats publics (1er janvier - 31 décembre 2013) », Revue trimestrielle de droit européen, 2011, pp. 425 et s., pp. 434 et 435.

761

Cf. W. FRENZ, Handbuch Europarecht, Band 5, Wirkungen und Rechtsschutz, Berlin Heidelberg, Springerverlag, 2010, no 384. Voir également, S. ARROWSMITH, The law of public and utilities procurement, 2e éd, Sweet & Maxwell, Londres, 2005, p. 297, no 6.19 quant à l’interprétation des terres « à titre onéreux » .

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national qu’en présence d’un renvoi exprès au droit national762

. En particulier, quant à la condition de l’existence d’un contrat au sens des directives « marchés publics », la Cour a retenu au sujet d’un accord de collaboration que « la qualification … [de celui-ci] en droit espagnol n’est pas pertinente aux fins de juger si ce dernier relève du champ d’application de la directive 92/50 ». Peut-on cependant supposer qu’en 1971, au moment de l’adoption de la première directive « marchés publics de travaux », le législateur européen ait voulu donner à l’expression « contrat à titre onéreux » une signification autre que celle du code civil ? Nous ne le pensons pas763. La Communauté ne comportait à l’époque que six membres. Dans trois de ces Etats, le code civil français de 1804 était en vigueur. Un quatrième, les Pays-Bas, avait adopté en 1837 une traduction néerlandaise du code civil qui ne se distinguait que peu de l’original français. Que l’Union comporte aujourd’hui vingt-huit membres et que les premières directives marchés publics aient été remplacées successivement par d’autres directives nous paraît sans importance à cet égard. C’est en effet depuis 1971 que la définition de la notion de « marché public » requiert que l’on soit en présence d’un contrat à titre onéreux. Rien ne permet de supposer qu’en adoptant successivement des directives concernant la passation des marchés publics, le législateur européen ait voulu changer la portée de cette condition. De même, l’adhésion de nouveaux Etats n’y change rien, car sauf à avoir négocié des réserves, les nouveaux adhérents acceptent le droit de l’Union tel qu’il existe au moment de leur adhésion. Au sens du droit civil, « le contrat à titre onéreux est celui qui assujettit chacune des parties à donner ou à faire quelque chose »764. Le code civil oppose ainsi la catégorie des contrats à titre onéreux aux contrats de bienfaisance « dans lequel l’une des parties procure à l’autre un avantage purement gratuit »765. En droit civil, un contrat entre un pouvoir public et son cocontractant est à titre onéreux, dès lors que celui-ci doit fournir une contrepartie en échange de l’avantage qu’il obtient, même si cette contrepartie ne représente pas d’intérêt économique direct pour le pouvoir adjudicateur, mais seulement, le cas échéant, un avantage pour des tiers. Une stipulation au profit de tiers pourrait éventuellement s’analyser en une donation indirecte, ce qui n’empêcherait cependant pas le contrat principal d’être à titre onéreux766

.