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Absence totale de mise en concurrence ou publicité préalable insuffisante

Section 8.- Directive 89/440/CEE du Conseil du 18 juillet 1989 modifiant la directive 71/305/CEE portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux94

1. Absence totale de mise en concurrence ou publicité préalable insuffisante

40.- Dans plusieurs arrêts170, la Cour a jugé que si un pouvoir adjudicateur passait un marché public

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Cf., par exemple, l’arrêt de la Cour du 13 mars 2007, Unibet, C-432/05, point 65. Cf. également ci-dessous, no 43.

168 Cf. ci-dessus, no 32 en note.

169

Voir ci-dessous le point E (no 47).

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Arrêt de la Cour du 15 octobre 2009, Commission/Allemagne, C-275/08, points 27, 28 et 29 ; arrêt de la Cour du 10 avril 2003, Commission/Allemagne, C-20/01 et C-28/01, points 35 à 37. Cet arrêt a été rendu sur un

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sans mise en concurrence en violation de la directive « marchés publics de services » 92/50/CEE, la violation de l’ordre juridique européen persistait tant que le marché était exécuté. Dans ce cas, l’Etat membre en question est obligé de veiller à ce qu’il soit mis fin au contrat en question sans pouvoir « exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier l’inobservation des obligations résultant du droit communautaire »171

. Si l’Etat membre concerné s’abstenait d’agir en ce sens, la Cour, saisie d’une requête de la Commission en vertu de l’article 260 TFUE, pourrait lui infliger le paiement d’une somme forfaitaire ou une astreinte172.

Dans deux affaires, l’Allemagne avait soutenu que l’article 2, paragraphe 6, second alinéa, de la directive 89/665/CEE, « qui permet aux Etats membres de prévoir dans leur législation que, après la conclusion du contrat qui suit l’attribution d’un marché public, l’introduction d’un recours ne peut donner lieu qu’à l’octroi de dommages-intérêts et, ainsi, d’exclure toute possibilité de résiliation de ce contrat, s’oppose à ce que la constatation d’un manquement au sens de l’article 226 CE [actuel article 258 TFUE] au sujet d’un tel contrat entraîne l’obligation de résilier celui-ci »173

.

Tout en envisageant une contrariété entre l’article 2, paragraphe 6, de la directive 89/665/CEE et le droit primaire pour le cas où cette disposition de droit dérivé s’opposerait à la constatation d’un manquement174, la Cour de justice distingue entre la protection des droits que les particuliers tiennent du droit européen et les obligations des Etats membres à l’égard de l’Union175. Les droits d’un particulier pourraient être suffisamment protégés par l’allocation de dommages-intérêts. Celle-ci ne va cependant pas supprimer le manquement à l’égard de l’Union.

Ainsi, dans son arrêt du 18 juillet 2007, la Cour retient ce qui suit :

« S’agissant, en premier lieu, de l’article 2, paragraphe 6, second alinéa, de la directive 89/665, la Cour a déjà jugé que, s’il est vrai que ladite disposition autorise les Etats membres à maintenir les effets de contrats conclus en violation des directives en matière de passation des marchés publics et protège ainsi la confiance légitime des cocontractants, elle ne saurait, sans réduire la portée des dispositions du traité CE établissant le marché intérieur, avoir pour conséquence que le comportement du pouvoir adjudicateur à l’égard des tiers doive être considéré comme conforme au droit communautaire postérieurement à la conclusion de tels contrats (arrêt du 10 avril 2003, Commission/Allemagne, précité, point 39).

Or, si l’article 2, paragraphe 6, second alinéa, de la directive 89/665 n’affecte pas l’application de l’article 226 CE, il ne saurait pas non plus affecter l’application de l’article 228 CE, sous peine, dans une situation telle que celle de l’espèce, de réduire la portée des dispositions du traité établissant le marché intérieur.

Par ailleurs, l’article 2, paragraphe 6, second alinéa, de la directive 89/665, laquelle a pour objet de garantir l’existence, dans tous les Etats membres, de recours efficaces en cas de violation du droit communautaire en matière de marchés publics ou des règles nationales transposant ce droit, afin de

recours en manquement en vertu de l’actuel article 258 TFUE. Il était reproché à l’Allemagne d’avoir manqué aux dispositions de la directive 92/50/CEE. Cf. également l’arrêt du 18 juillet 2007, Commission/Allemagne, C-503/04, point 29, statuant sur un recours en manquement conformément à l’actuel article 260, paragraphe 2, TFUE. La Commission reprochait à l’Allemagne d’avoir omis de prendre les mesures que comportait l’exécution de l’arrêt du 10 avril 2003 (voir ci-dessus).

171 Arrêt du 18 juillet 2007, Commission/Allemagne, C-503/04, point 38.

172

Ancien article 228 CE. Cf. par exemple l’arrêt de la Cour du 18 juillet 2007, Commission/Allemagne, C-503/04, points 1er et 41, ainsi que les conclusions de l’avocat général Verica Trstenjak, dans la même affaire, points 84 à 92.

173 Voir le point 31 de l’arrêt de la Cour du 18 juillet 2007, Commission/Allemagne, C-503/04. Cf. également l’arrêt de la Cour du 10 avril 2003, Commission/Allemagne, C-20/01 et C-28/01, point 24. L’article 2, alinéa 6, paragraphe 2, alinéa 2, de la directive 89/665/CEE disposait comme suit : « En outre, sauf si une décision doit être annulée préalablement à l’octroi de dommages-intérêts, un Etat membre peut prévoir que, après la conclusion du contrat qui suit l’attribution d’un marché, les pouvoirs de l’instance responsable des procédures de recours se limitent à l’octroi des dommages-intérêts à toute personne lésée par une violation ». Cette règle se retrouve aujourd’hui, quelque peu modifiée, au paragraphe 7 du même article. En sont aujourd’hui exceptés les cas dans lesquels il y a lieu à déclaration d’absence d’effets d’un marché.

174

Cf. également les conclusions de l’avocat général Verica Trstenjak dans la même affaire, point 79.

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garantir l’application effective des directives portant coordination des procédures de passation des marchés publics (arrêts du 12 décembre 2002, Universale-Bau e.a., C-470/99, Rec. p. I-11617, point 71), concerne, ainsi qu’il résulte de son libellé, la réparation qu’une personne lésée par une violation commise par un pouvoir adjudicateur peut obtenir de ce dernier. Or, en raison de sa spécificité, cette disposition ne saurait être considérée comme réglant également la relation entre un Etat membre et la Communauté, relation dont il s’agit dans le contexte des articles 226 CE et 228 CE » (points 33 à 35).

Dans une troisième affaire, l’Allemagne avait développé une argumentation plus générale en faisant valoir que « le règlement définitif d’une procédure de recours nationale sur le fondement de la directive 89/665 produirait nécessairement des effets sur la procédure de recours en manquement au titre de l’article 226 CE [actuel article 258 TFUE], et cela sans que soit affectée la hiérarchie des normes, dès lors que ces effets seraient conformes aux principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique »176. La Cour a également rejeté cette argumentation en précisant que ce qu’elle avait retenu à propos de l’article 2, paragraphe 6, de la directive 89/665 dans son arrêt du 18 juillet 2007 valait également pour « la directive 89/665 envisagée dans son ensemble »177.

C’est à juste titre que la Cour retient que la directive 89/665/CEE ne saurait en aucune manière empêcher la constatation d’un manquement par rapport aux dispositions de l’une des directives concernant la passation des marchés publics.

41.- Est-ce que cependant la persistance de la violation de l’ordre juridique tout au long de l’exécution d’un marché public passé sans mise en concurrence et l’obligation de l’Etat membre en question de mettre fin au contrat ne devraient pas conduire à reconnaître également à des particuliers intéressés le droit d’obtenir l’annulation du contrat - que le marché soit soumis à une obligation de mise en concurrence du droit dérivé ou uniquement du droit primaire - contrairement à la solution que la directive 89/665/CE permettait à l’époque dans le champ d’application des directives « marchés publics »178 ?

Tel nous semble en effet le plus souvent être le cas lorsqu’un marché est passé sans aucune publicité, alors qu’il aurait dû être mis en concurrence soit en vertu d’une directive « marchés publics », soit en vertu du droit primaire seul. Dans ce cas, « la protection juridique individuelle » et la « protection de l’intérêt communautaire » devraient, en règle générale, conduire à la même solution179. Ainsi que la Cour l’a retenu, « la coordination au niveau communautaire des procédures de passation des marchés publics vise à supprimer les entraves à la libre prestation des services et des marchandises et donc à protéger les intérêts des opérateurs économiques établis dans un Etat membre désireux d’offrir des biens ou des services aux pouvoirs adjudicateurs établis dans un autre Etat membre »180

. L’intérêt de l’Union en cette matière consiste donc à protéger les intérêts de ces opérateurs économiques. Ainsi, l’exigence retenue par la Cour qu’il soit mis fin aux marchés passés sans mise en concurrence vise à protéger l’intérêt des opérateurs économiques privés de la possibilité de concourir. Ce sont donc en effet la mise à néant d’un marché et le lancement d’une procédure de mise en concurrence qui devraient être accordées à un opérateur économique individuel qui les réclamerait, agissant en vue de la sauvegarde de ses intérêts, a moins que le droit d’un Etat membre permette d’accorder des mesures de protection aussi efficaces à cet opérateur (principe d’effectivité).

Des dommages-intérêts pourraient en principe représenter une protection efficace des droits d’un opérateur économique qui, en l’absence de publicité, n’a pas été en mesure de présenter une offre. Cependant, concrètement181, l’obtention de dommages-intérêts se heurte souvent à des difficultés

176 Voir l’arrêt de la Cour du 15 octobre 2009, Commission/Allemagne, C-275/08, point 22.

177 Arrêt de la Cour du 15 octobre 2009, Commission/Allemagne, C-275/08, point 33.

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Aujourd’hui, les directives « recours » imposent qu’un marché passé sans publicité préalable soit déclaré « dépourvu d’effets ».

179

Cf. les conclusions de l’avocat Verica Trstenjak dans l’affaire C-503/04, point 79, qui opère cette distinction.

180

Arrêt de la Cour du 18 octobre 2001, SIAC, C-19/00, point 32 ; arrêt de la Cour du 3 octobre 2000, C-380/98, point 16 ; Cf. également dans le même sens, l’arrêt de la Cour du 10 avril 2003, Commission/Allemagne, C-20/01 et C-28/01, point 35, ou encore l’arrêt de la Cour du 10 novembre 1998, C-360/96, points 41 et 42.

181

La question de savoir s’il est satisfait au principe d’effectivité doit faire l’objet d’un examen concret. Ainsi, la Cour a retenu : « … chaque cas dans lequel se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit communautaire doit être analysé en

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considérables de preuve (montrer qu’il aurait participé en cas de publicité suffisante, que son offre aurait été la meilleure tout en lui procurant un gain, la perte de ce dernier représentant le préjudice réclamé)182. Ces difficultés sont moindres, mais demeurent très réelles, si, comme c’est le cas en droit luxembourgeois, il suffit que l’opérateur économique concerné montre qu’il avait une chance réelle d’obtenir le marché, cette preuve lui permettant d’obtenir l’indemnisation de la perte de cette chance183.

C’est donc à juste titre que l’avocat général Verica Trstenjak a affirmé que « l’annulation d’un contrat, suivie du lancement d’un nouvel appel d’offres devrait généralement apparaître comme la solution la plus respectueuse de l’intérêt individuel des soumissionnaires écartés »184

. Il en est ainsi à plus forte raison qu’à l’égard de l’Union - sauf éventuellement à indemniser tous ceux qui ont été privés d’une chance d’obtenir le marché - l’Etat membre en question reste tenu de mettre fin au marché en question. Ainsi, si un opérateur économique obtenait des dommages-intérêts, mais que le marché était néanmoins résilié plus tard, le cas échéant sur l’insistance de la Commission, le même opérateur économique, bien qu’ayant déjà obtenu une indemnisation pour avoir été privé de la possibilité de participer à la procédure, pourrait participer à la mise en concurrence qui s’ensuivrait et obtenir le marché en question.

L’article 6, paragraphe 2, alinéa 2, de la directive 89/665/CEE dans sa version initiale qui permettait aux Etats membres de ne pas imposer la mise à néant du marché et de ne prévoir que l’octroi de dommages-intérêts, même en l’absence totale de publicité préalable, ne satisfaisait donc pas, nous semble-t-il, à l’exigence d’une protection juridictionnelle effective185. Aujourd’hui, à la suite des modifications introduites par la directive 2007/66/CE, la directive 89/665/CEE impose dans cette hypothèse que le marché soit déclaré dépourvu d’effets (article 2 quinquies, paragraphe 1er

, a), de la version actuelle de la directive 89/665/CE), sauf à permettre que le marché soit maintenu pour une raison impérieuse d’intérêt général (article 2, quinquies, paragraphe 3, de la version actuelle de la directive 89/665/CE). Comme des motifs impérieux d’intérêt général permettent des restrictions aux libertés fondamentales, cette solution paraît conforme au droit primaire.

2. Publicité préalable suffisante, mais, par la suite, violation des principes régissant la