• Aucun résultat trouvé

2. Politiques publiques et articulation de trois temps : famille-travail-bénévolat

2.3. Les hypothèses

Nous rappelons que notre question de départ est la suivante : Selon quelles modalités les femmes accèdent-elles à des fonctions de direction dans les clubs de judo de l’Espace Catalan Transfrontalier et quelles sont leurs conceptions de l’exercice de leurs fonctions ?

Notre constat principal est le résultat des éclairages théoriques qui jalonnent notre démarche de recherche dans le cadre de ce travail de thèse. Il est aussi le reflet des données recueillies lors de notre enquête exploratoire dans les clubs de judo sur l’ECT : la sous-représentation des femmes dirigeantes bénévoles dans les bureaux associatifs des clubs de judo de l’ECT et plus particulièrement pour le poste de président (te).

Nous avons constaté lors de notre investigation, lors de notre pré-enquête, que les bureaux associatifs de judo étaient quasi exclusivement pourvus par des hommes surtout pour le statut de président. C’est le cas dans d’autres organisations sportives ou institutions sportives nationales et internationales. Nous entreprenons de mettre en exergue et de comprendre les divers facteurs explicatifs de la minorité de femmes bénévoles dans les clubs de judo à travers leurs trajectoires dans l’espace considéré. D’ailleurs, compte tenu des informations issues de l’enquête exploratoire et des éclairages scientifiques, nous sommes amenés à préciser que cette surreprésentation des hommes aux postes clé des clubs de judo est la résultante d’une domination masculine. Inscrite dans la pratique elle-même, dans les mentalités et dans l’histoire des institutions sportives plus globalement, voire dans l’Histoire.

En effet, concourir à la compréhension de la répartition sexuée des postes de direction dans les associations sportives nécessite incontestablement de se rapporter à l’histoire du sport et des femmes dans le sport : « Depuis l’essor du sport moderne, au XIXème siècle, les femmes sont toujours largement sous-représentées aux postes à responsabilité au sein des

156

organisations et institutions sportives ; ceci vaut en outre pour tous les sports et domaines sportifs, et pour tous les niveaux. En Europe comme dans le reste du monde, les hommes ont la mainmise sur les organes directeurs des organisations sportives, (…) ».167 Le sport moderne se construit initialement dans l’indifférence des femmes et son émergence, souvent au travers des hommes, résulte d’une double forme d’excellence même si l’on ne doit pas se résoudre à ces explications : « à haut niveau mais pas seulement, l’excellence sportive féminine résulte d’une conquête symbolique : celles des limites du corps qui doit composer à la fois avec les conventions sociales et avec les valeurs de la performance sportive. La figure de la championne se construit en référence à l’étalon des stades (…) quand elles sont dirigeantes elles s’approprient des espaces de pouvoir des hommes (…) nouvelle forme d’excellence ».168

La réalité sur les pratiques physiques bien qu’évolutive s’étend plus largement à celui des postes de direction des organisations sportives. La féminisation n’est pas égale dans tous les sports ni à tous les niveaux du monde sportif, des institutions sportives. En effet, l’ancrage et l’institutionnalisation des sports modernes se produit fin XIXème siècle sans les femmes.

L’élan entrepris par l’Europe du Nord, le Canada ou encore les Etats-Unis à propos de l’égalité entre les hommes et les femmes dans les années 80 se déploie jusqu’en France mais plus tardivement. Le sport est alors en proie à de nouveaux questionnements dans le

167 Rapport Égalité entre les femmes et les hommes dans le sport de haut niveau, Accord Partiel Elargi sur le Sport (APES), Gertrud Pfister, Department of Exercise and Sport Sciences, Université de Copenhague, Strasbourg, 21 décembre 2011, p.27.

168 LIOTARD P. et TERRET T., (2005). Sport et genre, volume 2. « Excellence féminine et masculinité́

hégémonique », Paris, L’Harmattan, coll. « Espaces et temps du sport », p.7-12.

157

prolongement de ceux des pratiques sportives en elles-mêmes169, ceux de la division sexuelle des fonctions dirigeantes.

Malgré des politiques volontaristes récentes en matière de lutte contre les discriminations sexuelles, les responsabilités sportives semblent toujours correspondre à une vision andocentrée du monde. Cependant, comme nous avons pu le spécifier, les évolutions bien que lentes sont réelles et éparses selon l’organisation considérée, l’institution ou le niveau hiérarchique abordé. La permanence historique d’une vision andocentrée est donc partiellement en rupture. Dans le cas de la France, les politiques publiques envers la place des femmes dans les fonctions dirigeantes prennent jour tardivement, à partir des années 80, et ne sont réellement effectives qu’à partir des années 2000. Comme nous l’indique C.

Louveau,170des efforts sont encore à fournir car il faut rappeler que la prise en compte de cette thématique par les pouvoirs publics est tardive c’est pourquoi : « […] la rareté des données chiffrées/ sexuées et des travaux d’enquête, sont autant d’indices des résistances durables du monde sportif à la participation plus égalitaire des femmes aux postes de responsabilités et de pouvoir. […] S’agissant des femmes, les politiques publiques et le monde associatif se sont intéressés à la massification de la pratique sportive donnée comme « émancipateur » pour elles. En revanche, leur place au sein des institutions a été peu questionnée.» Les ruptures escomptées de la vision andocentrée qui perdure dans les fonctions de direction, à travers les politiques publiques mises en place, ne sont encore que balbutiements.

Dans le cas de l’Espagne, c’est encore plus frappant, on ne peut pas parler de prise en compte des femmes dans les fonctions dirigeantes du mouvement sportif. Aucune politique publique

169 Le Comité international olympique (CIO) à souligner que pendant les Jeux-Olympiques de Londres en 2012, pour la première fois de l’histoire, une égalité statistique a été observée entre hommes et femmes lors d’une olympiade.

170 LOUVEAU C., (2015), Quotas en tout genre, Dans le sport, des principes aux faits, Travail, genre et sociétés n°34, p.185.

158

ne vise cet objectif. L’Espagne est encore dans le processus de massification des pratiques sportives et peine à donner des recherches en matière de répartition sexuée (statistiques, études). Comparativement à la France, le système institutionnel sportif se déploie en fonction de chaque communauté autonome. Le sport est une compétence exclusive de chacune d’entre elles, il est donc très difficile de trouver des données chiffrées pour les pratiques sportives.

Nous situons cependant sur ce point, notre démarche méthodologique au carrefour de l’approche hypothético-déductive et empirico-déductive. De notre constat de départ découlent deux hypothèses, l’enquête de terrain permet alors de tenir une certaine distance par rapport aux théories préexistantes, et d’éviter les écueils liés à la volonté – non forcément consciente – du chercheur de valider ses hypothèses en calquant théorie et empirie. Comme dans la société de travail, les femmes ne parviennent pas ou ne pensent pas pouvoir atteindre des positions initialement prévues et occupées par les hommes, elles se heurtent au « plafond de verre » et à la domination masculine. Nous présentons ci-dessous deux hypothèses :

Transversalité de la division sexuelle du travail avec celle du bénévolat associatif : la domination masculine et le « plafond de verre », des frontières perméables ?

Les freins à l’investissement féminin semblent profondément ancrés dans les modes de pensée, de fonctionnement, d’élection et de management de nombreuses institutions sportives (associations sportives) comme ils le sont dans le monde du travail. Le caractère permanent de la domination masculine dans le monde du travail transparaît dans celui associatif. La société est organisée selon un principe de division sexuelle notamment de domination masculine, avec un habitus incorporé qui engendre et légitime le système de travail171et plus globalement celui sportif. Des exemples viennent contrecarrer cette domination masculine que ce soit dans le domaine du travail ou dans celui sportif. Dans ce sens nous pouvons nous questionner sur la réelle « emprise » de la domination masculine : au-delà d’une domination masculine totale,

171 BOURDIEU P (1998)., La domination masculine. Paris : Seuil, 142 p.

159

n'y a-t-il pas aussi des marges de manœuvre et des résistances qui montrent la diversité de jeux possibles avec les rôles féminins prescrits ?

Il semblerait que oui, les rôles prescrits n’ont pas valeur absolue et ne correspondent pas dans le temps et dans l’espace à une loi du « tout ou rien ». Les femmes adoptent des comportements ou se prémunissent de garanties en vue de s’imposer comme telles (formations sur le leadership, des prises de décision et parole en public). Le but n’est pas de ressembler ou d’imiter le comportement masculin (dans sa totalité) mais bien de s’imposer en tant que femme. Par ailleurs, nombreuses sont celles qui se forment au fil du temps dans l’association sous le prisme masculin certes mais qui arrivent à évoluer statutairement (dans le cas des associations sportives c’est entre autre d’accéder aux fonctions de direction des bureaux associatifs et d’y évoluer). Le jeu des rôles est complexe, si certaines femmes sont aussi compétentes que les hommes, elles se limitent elles-mêmes de façon consciente ou inconsciente. Par ailleurs, les trajectoires des femmes bénévoles responsables des bureaux associatifs de judo révèlent des raisons d’affiliation différentes (conjoint, enfants, passion, pratique et transmission dans peu de cas) et participent, plus ou moins activement, à leur soumission et à la reproduction par excellence d’un ordre social masculin. Néanmoins, comme nous le précise A. Tatu-Colasseau172: « Certains itinéraires traduisent des changements sociaux à l’œuvre en matière d’effet de genre et une redéfinition effective des frontières du masculin et du féminin dans le cadre plus large de la société ». C’est ce que nous précise W. Gasparini173, les femmes accèdent aujourd’hui à des rôles et fonctions qui auparavant semblaient impensables ou inaccessibles : « […] Des résistances et des évolutions […] montrent d’une part la diversité des jeux possibles avec les rôles féminins prescrits et,

172 TATU-COLASSEAU A, VIEILLE-MARCHISET G., « Comment devient-on dirigeante d’une association sportive locale ? Des processus de transmission à l’œuvre en lien avec les rapports sociaux de sexe », STAPS, (n°90), 2010, p.20. http://www.cairn.info/revue-staps-2010-4-page75.htm

173 GASPARINI W., « Domination masculine et division sexuelle du travail dans les organisations sportives » in Causer, Pferfferkorn, Woehl (Dir.), Métiers, identités professionnelles et genre, Paris, L’Harmattan, coll.

Logiques sociales, 2007, p.146-147.

160

d’autre part, la transformation du champ sportif. La présence des femmes dans les métiers de l’encadrement de la pratique sportive et la fonction arbitrale jusqu’alors réservés aux hommes, la prise de conscience de salariées face aux discriminations sexuelles mais aussi les mouvements de femmes luttant contre le machisme (dans le sport, les quartiers et les institutions en général) indiquent bien les marges de manœuvre possibles face à un ordre masculin imposé ».

Les rapports sociaux de sexe dans les clubs de judo dépendent de variables telles que la taille, la date de création de l’association et son secteur d’activité : une ségrégation verticale et horizontale des bureaux associatifs de judo

Le judo comme d’autres pratiques physiques appartient au secteur d’activité « sport et loisir ». Comme nous l’avons souligné au préalable, ce secteur est largement investi par les hommes, les femmes quant à elles se tournent vers des secteurs d’aide à la personne, d’éducation, tournés vers autrui. Dès 2004, l’enquête MATISSE-CNRS réalisée par M.

Tabariès et V. Tchernonog174 met en avant cette différence sexuée des secteurs associatifs.

Ces mêmes auteures confirment dans leurs résultats que plus la taille de l’association (en rapport au secteur d’activité) est importante moins les femmes sont présentes, a fortiori dans les postes de direction. Par ailleurs, un autre aspect tend à infléchir la place des femmes bénévoles comme responsables dans les bureaux associatifs, la date de création de l’association. Dès lors, plus la date de création de l’association est ancienne moins les femmes ont la possibilité de s’ériger dans les fonctions de responsables bénévoles des bureaux associatifs. A l’inverse, plus elle est récente plus les possibilités sont grandes.

174 TABARIES M, TCHERNONOG V., (2004), Les femmes dans les associations. Premiers résultats de l’enquête sur les profils des dirigeants bénévoles des associations. Université Paris 1- CNRS.

161

Le secteur d’activité, la taille et la date de création sont donc des variables qui interfèrent sur les rapports sociaux de sexe dans les clubs de judo. G. Vieille-Marchiset175 nous spécifie que parmi les sports de combat, le judo semble être celui qui permettrait une meilleure représentativité des femmes dans les instances de direction des clubs par rapport à la boxe ou au karaté. Les explications qu’il nous apporte sont les suivantes :

« […] la volonté d’ouverture de la fédération française de judo en direction des femmes ; Ensuite, la taille relativement modeste d’un grand nombre de ces clubs est à relever. […]

Enfin, l’existence des stages de formation à la direction sportive est nettement présente dans cette activité. Ces trois phénomènes ont certainement favorisé la présence des femmes aux postes de direction ». Là aussi il est question de taille, plus le club est de petite taille plus les femmes peuvent accéder aux fonctions de direction des clubs sportifs de judo. En revanche, comme il le spécifie dans le même ordre d’idée que M. Tabariès et V. Tchernonog : « Il semblerait que pour les postes les plus prestigieux, […] dans les grands clubs urbains, […]

échappent aux femmes. Dès lors, s’érigent des processus de subordination ou de marginalisation des femmes, investies alors dans des postes secondaires, de soutien des hommes ou d’aides au fonctionnement ».

Ces deux hypothèses s’articulent et doivent être vérifiées afin que notre recherche puisse être justifiée. Dans la partie suivante, nous présentons la méthodologie employée comprenant les méthodes et les moyens sur lesquels nous nous appuyons.

175 VIELLE-MARCHISET G., (2004), « Des femmes à la tête du sport. Les freins à l'investissement des dirigeantes locales, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2004, 260 pages. », Staps 4/ 2004 no 66), p. 227-228 URL : www.cairn.info/revue-staps-2004-4-page-227.htm, DOI : 10.3917/sta.066.0227. p.47-55.

162