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1. L’Espace Catalan Transfrontalier, un terrain de recherche à expérimenter

1.2. Accords, instruments et perceptions entre « ombre et lumière »

L’ECT se caractérise par la présence de différents systèmes d’organisations administratifs.

Parfois, la dissymétrie des compétences et des fonctions engendrent des complexités supplémentaires pour nouer des relations ou pour développer des projets. Notons que les dernières réformes concernant la restructuration des services de l’Etat et des collectivités locales en France et la spécificité du régime autonome de la Catalogne avec la mise en place d’un nouveau statut d’autonomie/d’indépendance sont difficiles à conjuguer. En particulier pour le Programme Opérationnel Espagne France Andorre (POCTEFA). De plus, comme le rappelle J-F Castex-Ey : « la Catalogne Nord, est à la fois le fruit d’une confrontation historique entre les sentiments d’appartenance catalan et français depuis le Traité des Pyrénées […], et stimulée ou suscitée par des facteurs beaucoup plus récents que sont, pêle-mêle, la décentralisation administrative, la construction européenne, la globalisation et les mutations démographiques en cours »38. Cependant, plusieurs raisons caractérisent le choix de ce terrain d’étude que nous détaillons à partir de thématiques illustrant les rapports semblables et dissemblables de cette région transfrontalière. Plus généralement, ceux entre la France et l’Espagne39 :

La première concerne les accords et instruments mis en place dans le cadre d’une amélioration de territoires de proximité : le traité de Bayonne signé le 10 mars 1995 entre la

38 CASTEX-EY J-F. « L’Espace Catalan Transfrontalier : une identité géopolitique en construction ? », RECERC n°2, Spécial Coopération Transfrontalière, pp.1-4p.

39 Données extraites du Livre blanc et du site web de la MOT (Mission Opérationnelle Transfrontalière). URL : http://www.espaces-transfrontaliers.org.

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France et l'Espagne présente deux avantages majeurs. Il détermine un premier cadre juridique commun franco-espagnol pour tenter de pallier aux inégalités des différents statuts régionaux et donne un élan politique à la coopération transfrontalière des collectivités territoriales : « les collectivités territoriales peuvent créer des organes communs, sans personnalité juridique, pour étudier des questions d'intérêt mutuel, formuler des propositions de coopération […] et encourager l'adoption par les collectivités territoriales des mesures nécessaires pour mettre en œuvre les solutions envisagées ».40 En 2007, le territoire de l’ECT par l’Accord-Cadre de Coopération Transfrontalière 2006-2009 (ratifié à Perpignan le 29 juin 2006) marque la consolidation d’actions concrètes pour l’année 2007-2008. Parmi ces actions, on peut mentionner le développement d’un service commun d’aide à des projets transfrontaliers de tout type (santé, transports, communications, éducation, sport….), et la création d’un comité de suivi chargé de mener à bien le projet d’Eurodistrict, qui a pour objectif de fédérer et renforcer cette zone.

Si par ces accords et instruments on dépasse le cadre strict des frontières dans une sorte

« d’agglomération transfrontalière », comment au niveau sportif peut-on qualifier les relations

? Des instruments tels que les fonds communs de soutien aux micro-projets41 existent depuis 2008 et permettent de favoriser les échanges de coopération sportive transfrontalière, les interactions entre associations et/ou qui ont pour but de promouvoir l’égalité. Ils favorisent alors des projets dont les coûts estimés sont moindres que pour ceux des projets Interreg (POCTEFA/FEDER pour l’égalité hommes-femmes) et correspondent à une volonté politique locale spécifique, car ils ne sont pas obligatoires. En effet, les administrations communales ne sont pas contraintes de proposer des solutions de financement aux micro-projets. De ce fait, les agglomérations de Gérone et de Perpignan en débloquant des fonds spécifiques pour les

« petits projets » démontrent une ambition d’union des collectivités de Catalogne sud et nord.

40 Article.7 du Traité de Bayonne, 1995.

41 Cf. Annexe 3, Transmis par le pôle Europe du Conseil Départemental 66.

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Pour l’instant ce sont les seules subventions qui favorisent les échanges sportifs transfrontaliers entre associations. Ainsi, depuis 2008 plusieurs d’entre elles en bénéficient et participent aux projets de coopération transfrontaliers dont le plafond est limité à 15 000 euros. Transmis par le pôle Europe du Conseil Départemental 66, nous pouvons constater une certaine effervescence des projets mis en place. En 7 ans, soit de 2008 à 2015, plus d’une vingtaine de micro-projets (cf. annexes) subventionnés par le Fonds Commun sont mis en place sur le territoire de l’ECT. La majorité d’entre eux concernent un partenariat associatif autour de thématiques liées à l’échange sportif (entraînements/stages/compétitions), à la formation et la connaissance. Parmi les villes les plus dynamiques, on retrouve essentiellement Perpignan et Port-Vendres. On constate aussi que certains partenariats se pérennisent et ont lieu sur plusieurs années consécutives. Par exemple, le club Perpignan Aviron 66 en partenariat avec le club de natation de Banyuls ont échangé durant 3 années autour d’un projet concernant : la mutualisation des infrastructures entre les deux clubs, la coopération sportive et linguistique entre jeunes du club et la formation d’équipages communs transfrontaliers. Néanmoins, au regard de l’ensemble des projets élaborés sur la période 2008-2015, on remarque que plusieurs d’entre eux ne sont que le résultat de partenariats ponctuels, uniques mais qui ne pourraient exister sans ce financement. Enfin, on note que depuis la mise à disposition du Fonds Commun, les projets se multiplient au fur et à mesure des années et cela démontre encore le potentiel des collaborations du territoire de l’ECT. Le Conseil Départemental des Pyrénées-Orientales et la Generalitat de Catalunya démontrent donc leur volonté de participation active d’un territoire intégré à travers l’appel à des projets qui favorisent la proximité des acteurs transfrontaliers. Les questions d’égalité et de parité au sein des associations sportives ne sont pas des priorités, compte tenu des informations fournies, on constate qu’aucune association sportive n’ambitionne cette thématique.

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La deuxième raison concerne les barrières42 que peut rencontrer le territoire de l’ECT. Au regard des initiatives proposées, on peut considérer que la coopération transfrontalière n’est pas à la hauteur de ce qu’elle pourrait être comparativement à d’autres espaces frontaliers.

Malgré la proximité géographique et culturelle de ce territoire, des enjeux de son développement transfrontalier, l’une des barrières principales, si surprenante soit-elle, est une certaine méconnaissance mutuelle. Elle concerne le fonctionnement, les caractéristiques, les évolutions récentes et parfois même de ce qui relève de sa « sensibilité ». Les institutions et leurs évolutions sont méconnues, ce qui est dommageable car elles constituent une phase préalable basique de la coopération transfrontalière en Europe et fait défaut aux acteurs locaux. Enfin, le bilinguisme est en recul malgré les efforts côté français pour développer l’apprentissage du catalan. Comme pour toutes les langues régionales, les financements deviennent de plus en plus fébriles dans le système scolaire qui déjà au niveau national requiert de nombreux fonds budgétaires. Même si la langue n’est pas véritablement perçue comme une barrière fondamentale, la disparition à terme peut conduire à des difficultés d’échanges. Ce territoire présente également de nombreuses différences : au niveau économique, le côté sud est plus industriel que le nord qui se caractérise par une économie plutôt agricole et tertiaire. La différence culturelle est par ailleurs très forte dans le rapport au logement : côté nord, le logement locatif et individuel prédomine, alors que côté sud, la propriété en habitat collectif est majoritaire.

La troisième raison est la perception qu’ont les Catalans du Nord et du Sud entre eux : Une image très positive des Catalans du Sud pour les catalans du Nord. Ils les admirent et leur reconnaissent unanimement une qualité, à chaque fois citée : le pragmatisme et le culte de l’action. Ils louent la rapidité entre le moment de la prise de décision et le passage à l’action qui ne semblent pas les caractériser. Ils sont conscients des différences de compétences et de fonctionnement, qui selon eux, facilitent cette efficacité. Le seul bémol apporté par les acteurs

42 Nous avons pu résumer l’ensemble des barrières principales que peut rencontrer l’E.C.T à partir de diverses sources via www.cg66.fr; http://www.europe-en-midipyrenees.eu;http://membres.multimania.f;

http://www.espaces-transfrontaliers.org.

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côté nord est qu’au début de la coopération transfrontalière, certains d’entre eux ont eu le sentiment que la préoccupation de la rentabilité financière nationale avait supplanté l’intérêt transfrontalier au projet. Impression qui a changé depuis quelques années. Puis, un certain complexe d’infériorité des catalans du Nord par rapport à ceux du Sud : lourdeur administrative, engluement, division politique… . On note aussi le sentiment d’un basculement dans leur rapport avec le sud, basculement qui revient souvent. Ils reconnaissent avoir eu pendant longtemps un rapport de supériorité économique et politique, du temps de la dictature et de ces lendemains, qui a laissé place à un sentiment d’infériorité. Ils pensent que la rupture de 37 ans de franquisme les a éloignés dans leur évolution et leur disposition d’esprit par rapport au développement actuel du Sud. Ils ont pleinement conscience que le rapport s’est inversé et que la Catalogne Sud les a dépassés grâce à son dynamisme et aux aides financières européennes accordées à l’Espagne. Ils ont donc eu le sentiment d’avoir été un peu délaissés de ce point de vue, au niveau des aides de l’Etat central et de l’Europe. Aussi, ils ont parfois le sentiment d’être mal compris par les services de l’Etat français dans leur particularisme institutionnel : lorsqu’il s’agit de collaborer avec l’administration de l’Etat français, le sentiment est le suivant : pour la France, la Catalogne et ses institutions sont perçues comme de « second rang » car elles ne correspondent pas directement à celles de l’Etat espagnol, en dépit du fait que les institutions catalanes puissent avoir toutes les compétences dans les thèmes concrets concernés. D’autre part, les personnes considèrent que l’administration centrale française est plus éloignée de la réalité du territoire de la Catalogne Nord et cela peut donc générer une grande difficulté de compréhension du contexte local.

On pourrait encore ajouter d’autres formes de similitudes ou de différences au sein de ce territoire mais là n’est pas l’objectif. Simplement, à travers ces quelques lignes, on comprend que cette même aire culturelle est à la fois « ombre et lumière ». En d’autres termes, les aspects socio-historiques, institutionnels et psychologiques peuvent les rapprocher ou les diviser. Les liens restent tout de même étroits et solides. L’identité catalane n’est pas un aspect éphémère de la Catalogne nord, en témoignent nombreuses manifestations : la couleur

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des chaussettes des clubs de rugby sont pour la plupart rouges et jaunes (Sang et or) en référence aux couleurs du drapeau catalan, l’hymne chanté par les joueurs de l’USAP (rugby perpignanais) est l’Estaca de Lluís Llach43, la nourriture et le nom des commerces font en grand nombre références à la Catalogne. Il existe encore des entreprises qui fabriquent ou qui créent des produits qu’ont aussi les Catalans du sud comme les espadrilles (chaussures en toile).

Par ailleurs, nous ne pouvons passer outre la réflexion implicite que suscite le choix de ce terrain de recherche, à savoir le sens accordé à la notion de frontière, terme polysémique. En effet, la délimitation de notre terrain évoque par définition de préciser, du moins en partie, ce que nous entendons par frontière. La partie suivante présente également dans cette « région transfrontalière » les initiatives entreprises en matière sportive.