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Présentation des familles

4. Caroline et sa famille

4.2. Histoire de Caroline et sa famille

Caroline a 29 ans (1986). Elle est la fille d’un père bulgare, Mladen, et d’une mère française, Gisèle. Elle est née et a grandi en Bretagne, à Concarneau. Elle a une grande sœur, Julie, avec qui elle a 6 ans d’écart et qui habite à Montpellier.

Après son baccalauréat, Caroline part faire ses études tout d’abord en Angleterre pendant deux ans, puis à Aix-en-Provence (deux ans aussi). Elle habite aujourd’hui à Paris depuis environ

85 Le tarator est un plat salé bulgare. C’est une soupe au yaourt, concombre et noix. Plat typique estival, il est facile à

7 ans. Avec un master 2 en web marketing obtenu à Sup de pub, elle crée par la suite une startup e-commerce proposant des chaussettes haut de gamme en bambou.

Il y a 5 ans, Caroline entreprend de reprendre des études parallèles pour apprendre à parler le bulgare, langue que son père ne lui a pas parlée lorsqu’elle était petite. Elle s’inscrit ainsi à l’Inalco, tout en continuant son travail de créatrice de marque de vêtements.

En plus d’une démarche personnelle, Caroline avait en vue de pouvoir communiquer facilement pour raison professionnelle. En effet, ses usines de fabrication de chaussettes en bambou se trouvent en Bulgarie, et pour pouvoir avoir une relation d’échange avec ses fournisseurs, il lui fallait maitriser un minimum le bulgare.

Les parents de Caroline, Mladen et Gisèle, se sont connus en Bulgarie dans le début des années 1970. Comme le dit Caroline, pour comprendre l’histoire, il faut remonter à ses grands- parents maternels. Ceux-ci étaient de « fervents communistes », et lors de leurs vacances ils aimaient visiter les pays de l’Est. Ils découvrent ainsi la Bulgarie, ils ont un « véritable coup de cœur ». Lorsque leur fille, Gisèle, obtient son baccalauréat, ils lui offrent un voyage en Bulgarie. C’est ainsi que Gisèle rencontra Mladen sur la plage en été. Pendant leurs études respectives, 4 ans, ils sont restés ensemble malgré la distance et les frontières les séparant, se retrouvant sporadiquement à Berlin-Est : « ah ouais ils s’accrochaient hein / il y avait pas internet / y avait pas facebook à l’époque »86

. Le diplôme acquis, Gisèle obtient un poste de professeur de lettres classiques en Bulgarie pour retrouver Mladen qui est devenu ingénieur. Le couple marié va vivre en Bulgarie pendant 3 ans, avant d’émigrer en France pour reprendre l’affaire familiale de Gisèle, une biscuiterie. Ils ont ouvert un commerce, puis deux, puis trois, et se sont spécialisés surtout dans la fabrication artisanale de glaces. Ils continueront à pérenniser l’affaire jusqu’à leur retraite. Maintenant ils partagent leur année entre la Bretagne pendant 6 mois en hiver et la Bulgarie où ils ont acheté une maison à Varna pour les saisons printanières et estivales.

Caroline a décidé d’apprendre le bulgare par elle-même en 2010, à 24 ans, « dans l’espoir de rattraper ce manque / cette erreur de mes parents »87. « C’est le grand regret de mes parents / mais

86 Interactions avec Caroline, tour de parole 32 dans les annexes. 87

maintenant c’est trop tard »88 et ce regret reste présent encore aujourd’hui de ne pas lui avoir transmis cette langue. Comme elle me l’a expliqué, sa mère parle couramment le bulgare, et ce fut la première vraie langue de communication dans le couple de ses parents (après l’anglais du départ). Sa grande sœur, Julie, est née en 1981, soit deux ans après l’arrivée de Mladen et Gisèle en France, et le bulgare était encore une langue vivante, mélangé avec le français, ce qui fait que Julie comprend parfaitement le bulgare encore aujourd’hui sans pour autant le parler. Mais Caroline est née 7 ans après 1979, date de l’arrivée de ses parents en France, « en 1986 et là c’était foutu mon père il parlait parfaitement français il avait plus besoin du bulgare »89

.

Se trouvant seule à Paris pour ses études, elle décida de suivre en plus de son « vrai cursus » des cours de bulgare à l’Inalco. Au départ, elle ne pensait qu’assister à quelques classes « en fait moi j’ai commencé / je suis allée comme ça à des cours en me disant / bon c’est intéressant mais jamais je passerai les partiels »90

, et finalement elle s’est prise au jeu et a validé sa première année. Mais lors de sa seconde année, elle n’a suivi que le premier semestre, puis pour des raisons de divergences professionnelles, elle a dû arrêter. C’est un échec pour elle, et elle éprouve de la culpabilité vis-à-vis de l’Inalco et des professeurs de bulgare qui la composent : « j’ai très très honte d’avoir arrêté du coup surtout qu’en fait je pensais y retourner je pensais y retourner et du coup je leur ai jamais dit que j’arrêtais et après plus tu attends plus tu te sens mal et du coup je leur ai jamais rien dit et je suis mais mortifiée mortifiée / ouais / j’ai un peu honte enfin j’ai très honte »91. De même, à l’intérieur de sa famille, cet arrêt soudain a eu des répercussions : « maintenant parce que j’ai arrêté et mon père il était hyper déçu / c’est limite le sujet tabou maintenant »92

. Elle est également triste de se rendre compte que ses notions de bulgare s’évanouissent avec le temps.

Pourtant, Caroline a un très bon rapport avec la Bulgarie, tous les étés elle part retrouver ses parents dans leur maison de vacances près de Varna. Et même si cette année et demie

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Interactions avec Caroline, tour de parole 14 dans les annexes.

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Interactions avec Caroline, tour de parole 18 dans les annexes.

90 Interactions avec Caroline, tour de parole 10 dans les annexes. 91 Interactions avec Caroline, tour de parole 397 dans les annexes. 92

d’apprentissage du bulgare lui a donné des bases, elle ne le parle que très rarement, car, comme elle me l’a dit, entre le nom de famille bulgare, son père bulgare et sa mère qui parle couramment, Caroline est gênée de ne pas s’exprimer parfaitement, de faire des fautes et d’avoir un accent qui la fait passer pour une étrangère, et pour cela, quand elle est là bas, elle parle en anglais ou allemand, mais très rarement bulgare : « je me dis il faut mieux ne pas parler que d’être exposer au fait t’as un sale accent / parce que moi comme j’y vais en Bulgarie / je suis constamment confrontée au fait que j’ai beau m’appeler XXX (nom de famille) / je suis une étrangère // ça c’est pour moi enfin / c’est difficile »93

.

Caroline est frustrée que sa bulgarité ne se porte pas sur la langue, qu’elle considère comme une « clef » qu’elle ne détient pas. Son physique aussi, selon elle, lui porte défaut : « en plus j’ai vraiment une tête de bretonne / y a rien à faire quoi / là bas, je fais pas couleur locale »94.

Caroline est de double culture, mais se sent plus française d’origine bulgare, ou plutôt d’originalité bulgare. Pour elle, elle est avant tout française, sa nationalité est française, son passeport est français, « je suis française / je parle français / j’ai été à l’école en France / mes références / je sais pas mes références culturelles sont françaises littéraires »95

. Ensuite elle ne nie pas non plus son appartenance à la Bulgarie. Son lien à la culture de son père se trouve principalement dans la nourriture. La cuisine bulgare représente sa cuisine de cœur et de gout, mais aussi sa cuisine familiale. A la maison tout le monde cuisine bulgare : « je sais pas on devait manger 70% bulgare »96. Et elle ramène ou fait ramener par ses parents des épices ou ingrédients culinaires bulgares pour perdurer cette tradition à Paris avec son fiancé ou ses amis.

Son prénom ainsi que celui de sa sœur, ont été choisis par Gisèle et Mladen volontairement pour contrebalancer le nom de famille qui « sonnait déjà très étranger ».

Sa sœur, Julie, a eu une période où le bulgare était central dans ses études. Elle est aujourd’hui architecte d’intérieur à Montpellier, mais elle a fait auparavant une maîtrise

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Interactions avec Caroline, tour de parole 217 dans les annexes.

94 Interactions avec Caroline, tour de parole 221 dans les annexes. 95 Interactions avec Caroline, tour de parole 459 dans les annexes. 96

d’anthropologie, « elle a fait son mémoire sur /// alors / la mort et le deuil chez les gitans en Bulgarie ». Comme le dit Caroline, « elle comprend oui elle refuse de parler je pense qu’elle a honte aussi mais elle comprend oui au moins 90% je pense »97

.

Les deux sœurs sont très différentes l’une de l’autre. Pour Caroline, sa sœur a le caractère et même le physique de son père : « elle est très nerveuse et très un caractère soucieux / qu’elle a hérité de mon père d’ailleurs c’est une vraie XXX (nom de famille) elle », quant à Caroline, elle est conforme à la personnalité et au physique de sa mère.

Caroline a un fiancé, Sébastien qui est français avec des origines juives. Mais il n’est pas très curieux de ce passé et c’est Caroline qui a fait les recherches pour retrouver des traces de la déportation de son grand-père : « il ne connaît pas l’histoire de sa famille // il sait que ses grands parents / enfin son grand-père a été déporté / mais il ne sait pas pourquoi / donc moi je suis allée sur un truc de la mémorial de la Shoah / j’ai trouvé qu’il était à Buchenwald de telle date à telle date / tu vois / j’ai fait la démarche de savoir / mais lui il ne savait rien du tout quoi / enfin je trouve ça incroyable »98

.

Ils habitent ensemble dans le 20e arrondissement de Paris, et sont partis ensemble trois fois en Bulgarie pendant la période de l’été. Sébastien « a trop envie d’apprendre le bulgare / il connaît des mots et tout bah des mots quelques-uns quoi il sait dire avion glace petite bêtes les insectes et du coup parce que on a toujours utilisé certains mots bulgares alors que je ne parle pas bulgare encore une fois mais il y a certains mots qui sont des mots de tous les jours quoi // par exemple on se dit bonne nuit en bulgare »99.

Pour lui, la Bulgarie représente le pays de Caroline : « justement l’autre jour je lui ai dit (à

Sébastien) mais pour toi la Bulgarie c’est quoi // »100

; « pour moi (Sébastien) c’est ton pays // ça m’a interpellée // je me suis dit pour toi c’est mon pays // oui / je sais que tu es née en France / que tu as grandi en France et tout ça mais pour moi oui c’est ton pays »101

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Interactions avec Caroline, tour de parole 229 dans les annexes.

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Interactions avec Caroline, tour de parole 269 dans les annexes.

99 Interactions avec Caroline, tour de parole 559 dans les annexes. 100 Interactions avec Caroline, tour de parole 459 dans les annexes. 101

Ils partagent en plus un lien très fort à la mythologie grecque et à la Turquie et surtout la ville d’Istanbul.

Caroline est passionnée par les années 50, la mode de l’après-guerre et les pin-up, la musique pop américaine. Elle s’habille, se coiffe et se maquille en reprenant les codes des années 50.

4.3. Morceaux choisis de nos différentes conversations