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Présentation des familles

8. Arnaud et sa famille

8.1. Mon histoire avec Arnaud

Je connais Arnaud depuis toujours, nous avons 6 ans d’écart.

Son père, Joro est un vieil ami de la famille. Meilleur ami de mon père, ils se connaissent depuis leur enfance et se retrouvent quotidiennement dans un café (car ils sont voisins) pour prendre un verre. Nostalgiques, tous deux peuvent parler pendant des heures du passé, du présent et de la vie. Quand ils sont tous les deux, ils parlent en bulgare, mais en présence de leurs femmes françaises, ils varient leurs langues selon les situations.

Je vois très souvent Joro et Lili qui viennent diner à la maison ou réciproquement au moins une fois par semaine. Ils font quasiment partie de la famille, et il m’est toujours agréable de passer une soirée avec eux pour entendre les histoires du passé de mon père et de Joro.

Je croise Arnaud aussi lors des réunions de famille, mais comme un cousin, je n’ai jamais vraiment passé un moment en tête à tête avec lui.

Le 28 mai 2015, je l’ai retrouvé pour justement discuter de mon sujet de recherche. Nous nous sommes tout d’abord installés dans un bar pour prendre un verre à l’heure de l’apéro, et finalement, nous avons diné ensemble. Je voulais aborder avec lui des thèmes qui avaient déjà été discutés lors de diners avec nos deux familles. Il m’avait déjà fait part de ses impressions sur ses origines, les relations de ses parents, et comment il a réussi à se construire une histoire à travers les histoires familiales. Mais lors de cet échange enregistré, les sujets de discussions que je pouvais lancer en rapport à mon sujet de recherche n’arrivaient pas « à prendre ». Arnaud ne rebondissait pas sur les questions que je posais. Nous discutions sur de multitudes autres sujets, mais dès que j’en venais aux questions qui faisaient sens pour ma recherche, la conversation déviait sur autre chose. Il n’en reste pas moins par imprégnation, Arnaud et sa famille m’ont apporté de nombreux éléments significatifs.

Il m’est arrivé, à maintes reprises, d’enregistrer les conversations lors de dîners, où Joro, le père d’Arnaud et Teko, mon père, se mettaient à discuter de leur parcours de vie, de leur passage d’Est en Ouest, ou bien de leur impression par rapport à la Bulgarie d’hier et d’aujourd’hui. Ces récits de vie racontés à la première personne par ces parents sont une donnée importante pour

l'étude des récits mythifiés et de la mise en scène de soi à l’intérieur de ces parcours de vie particuliers.

Au début de ma thèse, j’ai longuement hésité à prendre dans mes corpus la famille d’Arnaud. C’est à travers sa famille et la mienne que j’ai commencé à mettre en place ma réflexion de départ sur mon sujet de recherche. Par les histoires des silences de Joro et de Teko, j’ai élaboré mes hypothèses sur le fait de transmettre ou pas des histoires de familles, des histoires de parcours de vie, des histoires qui ne devaient pas être dites, de la transmission de la langue, de silences ou de non-dits. D’une famille « témoins », ils sont devenus une famille importante pour ma recherche. J’ai pu, à travers eux, faire de l’observation participante, des enregistrements de la vie de tous les jours, revenir sur des questions, avoir plusieurs versions d’une même histoire.

8.2. Histoire d’Arnaud et sa famille

Arnaud a 28 ans. Il est né en Bulgarie, à Sofia en 1988, d’un père bulgare Joro et d’une mère française Lili. Ayant fait ses premières années en Bulgarie, ils reviennent habiter en France en 1993 alors qu’Arnaud a 5 ans. Fils unique, il habite aujourd’hui à Paris avec ses parents et travaille pour une grande marque d’outils professionnels comme commercial. Après son baccalauréat, il poursuit des études de commerce et obtient deux masters de business international en France et en Argentine, ainsi qu’un MBA de business sportif.

Arnaud assume tout a fait ses origines bulgares, il comprend bien cette langue et la parle parfois lorsqu’il retourne en Bulgarie pour les vacances avec des amis qu’il a gardés de ses premières années d’école. Mais le bulgare n’est pas sa langue maternelle, ni même la langue avec laquelle il communique avec son père. Dans sa famille, ils se sont toujours parlés en français.

Son père, communément appelé Joro, a 75 ans. Il est d’origine bulgare, né à Sofia. Habitant en France depuis maintenant plus de 35 ans, il s’est marié à une française, Lili, à la fin des années soixante-dix.

A l’âge de 30 ans, il quitte la Bulgarie en passant, à l’arrière d’une voiture, les frontières jusqu’en Italie par la Yougoslavie pour atteindre par la suite la Suède, qui était une terre d’accueil

reconnue à l’époque (comme l’Australie ou le Canada). Après quelques temps, il part pour l’Allemagne, toujours en tant que réfugié politique. Puis rencontre sa future femme française, Lili, à Munich qu’il suivra plus tard en France. Avec un diplôme d’étude de commerce, il se lance dans le business et développe avec son meilleur ami Teko, bulgare et ingénieur, une société d’informatique. Peu après la chute de 89, il retournera en Bulgarie avec sa femme et son fils pour y travailler pendant 5 ans. Puis il revient en France, et aujourd’hui même si son foyer principal reste la France, il lui arrive de partir au moins 7 fois par an en Bulgarie pour un court séjour (une semaine) afin de s’occuper de sa société sofiotte.

Sa mère, Lili, est d’origine bretonne. Après avoir habitée à Munich dans le début des années 70, où elle rencontra Joro, ils déménageront par la suite à Paris où elle travaillera comme gérante de magasin de vêtements. Lorsque Joro a une opportunité professionnelle s’offrant à lui en Bulgarie, elle le suivra là-bas. Ils vivront pendant 5 ans dans ce pays lors des premières années de transition. Elle garde un mauvais souvenir de cette période et de la Bulgarie, même encore aujourd’hui. Elle y retourne avec son mari régulièrement mais se plaint du système politique et surtout économique du pays qui est digne selon elle du Far West.

Lili comprend bien le bulgare, mais elle ne le parle presque jamais répondant en anglais ou en français, même à leurs nombreux amis bulgares.

Arnaud a donc grandi dans cette double culture. Très cultivé et érudit, il connaît bien l’histoire de son père et a grandi avec ces histoires sans pour autant être à la recherche d’une bulgarité particulière. Il a un nom à consonance bulgare et il revendique ses origines puisqu’il peut parler le bulgare et a un rapport décomplexé avec le pays de son père. Arnaud est très proche de ses parents. Bien qu’il soit parti faire une partie de ses études à l’étranger (Bordeaux une année, Buenos Aires une année, et il a travaillé un an à Nancy en 2013-2014), lorsqu’il habite à Paris, comme c’est le cas aujourd’hui, il habite avec et chez ses parents. Et leur relation à trois est assez fusionnelle. Même si Arnaud a 28 ans, ils dinent presque tous les soirs ensembles, ou Arnaud aime bien ramener ses amis chez lui ou même pour les vacances et Joro et Lili font toujours partie de son cercle. Un des futurs projets serait de déménager pour trouver un appartement plus grand pour vivre tous les trois, mais avec une entrée indépendante pour Arnaud.