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De la grande à la petite Histoire

3. Des microhistoires silencieuses

La problématique de cette thèse interroge les liens entre les microhistoires et la macrohistoire : comment s’inscrire individuellement dans l’Histoire ? Comment mettre des mots sur les silences d’une histoire contrôlée et imposée ? Comment ceux qui ont vécu le socialisme ou le communisme arrivent-ils à se raconter à travers leurs histoires individuelles, alors que celles-ci se devaient d’être collectives ? D’autant que ces trajectoires subjectives sont ancrées dans des contextes historiques, socio-économiques et politiques. Comment donc cette grande histoire a-t-elle produit des effets dans les microhistoires personnelles ? Comment ces histoires singulières s’articulent-elles avec l’histoire géo-sociopolitique traversée ?

La parole, encore aujourd’hui, 25 ans après la chute du système, reste timide, presque muette, entre l’impossibilité de dire et la peur de taire.

L’idéologie communiste a créé des effets sur le dire des personnes qui l’ont vécu mais aussi sur les personnes qui l’ont approchée d’une manière détournée. En Bulgarie, aujourd’hui, les microhistoires ont encore du mal à se frayer un passage dans la bouche des gens. Une réelle difficulté à raconter dans cette période communiste continue de hanter les mémoires.

Et cette histoire immense et figée du socialisme a encore des effets sur le présent et sur les acteurs qui ont grandi à l’intérieur de celle-ci. Pas uniquement sur les enfants nés de double culture bulgare et française et vivant en France comme ceux qui font partie de mon étude, mais aussi ceux habitant en Bulgarie aujourd’hui. Les histoires personnelles de chacun, l’individualité a encore du mal à s’exprimer et à contrebalancer la grande histoire, apprise comme unique et immuable, du communisme.

En 2004, l’écrivain bulgare Georgui Gospodinov a voulu mener une table ronde avec des personnes de la même génération que lui, celle des années 60, deux journalistes et un psychothérapeute, pour tenter de briser le silence de l’histoire communiste par leurs propres petites histoires. Et c’est à ce moment-là, qu’il réalisa qu’il y avait un réel problème, car aucun des membres de cette rencontre n’arrivait à mettre des mots sur cette période de leur enfance.

« Nous avons décidé que chacun d’entre nous raconterait devant les autres son histoire personnelle de ce temps-là. Et nous nous sommes rendu compte que nous avions tous un problème pour faire sortir ces souvenirs et les intégrer dans un récit personnel. Nous avions tu trop longtemps ce sujet et cette époque. Nous avons trop longtemps pensé le socialisme comme quelque chose d’immense, de monumental, comme pure idéologie avec ses symboles : drapeaux, étoiles rouges, prolétariats, spectre qui hante le monde, articles parus dans La cause du

travailleur etc. Ou bien en tant que “belle idée qui a connu une mauvaise réalisation” »26.

26 Gospodinov, Guéorgui, 2006, Аз живях социализма. 171 Лични истории

(J’ai vécu le socialisme. 171histoires personnelles), Жанет 45 (Janet 45), Sofia.

Un silence s’était installé en eux et Gospodinov en conclut que ce passé, que tout le monde taisait, n’avait pas encore été apprivoisé. Il décida donc de créer un espace pour permettre aux personnes qui le désireraient d’ajouter leurs petites histoires à l’édifice du souvenir.

« Le point de départ était l’idée, ou plutôt la crainte, que, tant d’années après 1989, le dialogue sur le socialisme n’avait pas eu lieu. Peu à peu, notre passé inconfortable avait été balayé, méthodiquement et systématiquement d’ailleurs, sous le tapis de l’oubli. » (Gospodinov, 2006 : Introduction)

Il créa ainsi un site internet, lieu d’expression, d’anonymat et de facilité moderne :

spomeniteni.org (nos souvenirs). Ce pari de créer un espace libre pour récolter des souvenirs fut

un énorme succès. Entre avril 2004 et 2005, environ 450 récits furent envoyés par des Bulgares du monde entier. Du petit village de la Stara Planina, de Chicago ou Madrid, chacun, d’une manière anonyme ou non, put raconter son souvenir propre dans le décor de la grande histoire du communisme bulgare. De la simple anecdote de prénom, aux récits nostalgiques ou critiques de cette période, Gospodinov a décidé de publier 171 histoires, qu’il sélectionna en choisissant trois souvenirs par semaine parmi ceux qui arrivaient sur le site, en un livre : J’ai vécu le socialisme.

171 histoires personelles (Аз живях социализма. 171 Лични истории).

« Ce sont des histoires et des souvenirs individuels de cette époque. Nous avons été éduqués dans l’idée que l’histoire nationale était quelque chose d’extrêmement sérieux, aussi sacré que la matière avec laquelle on fabrique les drapeaux, et qu’on ne pouvait pas y intégrer comme on voulait notre petite parcelle d’histoire, surtout si elle était différente de l’histoire officielle. Or notre idée, c’était de faire justement ça. Car le grand récit de ce qui se passe hic et nunc ne saurait être assemblé uniquement à partir d’explications historico-politiques globales. » (ibid.)

Pour pallier le silence de l’homme de la rue et son histoire, pris « dans ce sandwich entre répresseurs et réprimés » (ibid.), Gospodinov a ouvert un nouveau chemin combinant le « micro- temps du quotidien et le macro-temps de l’idéologie » (ibid.). Il a structuré par la suite les histoires envoyées en décennies selon les événements rapportés.

J’ai choisi quelques histoires pour montrer justement l’impact qu’a eu le passé communiste sur les souvenirs des personnes s’étant prêtées au jeu de l’écriture sur le site :

Noms (1950)

Nous sommes trois sœurs. L’ainée s’appelle Lutte. La cadette Victoire.

La benjamine est Espérance.

Nous sommes nées sous le socialisme. Cela se voit terriblement.

Borba Guéorguieva Brambachka, 50 ans, médecin, village de Tarnava, commune de Biala Slatina

1983 – 1984. Je discute avec une amie au téléphone (on est des gamines).

« Qu’est-ce que tu fais ? » « Je regarde la télé. » « Qu’est-ce qu’il y a ? »

« Todor Jivkov raconte des conneries… »

Ma mère a pâli et a failli me battre : elle savait que le téléphone était sur écoute.

Mariana Akhrianova, 30 ans, broker, Sofia

Pourquoi les vaches n’ont pas de lait (1970)

Je travaillais comme vétérinaire en chef des APK (complexes agro-industriels). En cette qualité, j’ai été convoqué à une réunion restreinte du parti. J’étais le seul sans-parti. Tous les principaux spécialistes des APK y assistaient. Le secrétaire régional du Parti m’a posé la question suivante : « Je voudrais que vous nous expliquiez pourquoi les vaches donnent peu de lait. Mais… vous ne vous en tirerez pas en invoquant les problèmes suivants : que le fourrage manque et que les vaches ont faim, je le sais ; qu’elles n’ont pas d’eau, ça aussi, je le sais ; que les éleveurs sont des Tziganes qui soignent les bêtes à la va-comme-je-te-pousse, je le sais aussi ; et je sais que nous n’avons pas assez d’étables. Donnez-moi d’autres raisons pour lesquelles les vaches ne donnent pas de LAIT » Tout le monde se taisait. J’étais inexpérimenté, et j’ai dit que les autres raisons n’étaient pas pertinentes. Quelques jours plus tard, le secrétaire du Parti m’a informé que puisque je n’étais pas membre du Parti, et bien que je fusse un bon spécialiste, je ne pouvais pas occuper le poste que j’avais.

Velisar Boumbarov, 48 ans, vétérinaire, Bat Yam, Israël

« Le bon vieux temps » (1970)

Tous les samedis matins, nous allions, mon père, ma sœur et moi, au « gastronom », où la queue était déjà énorme. Je me mettais à la queue devant la caisse, et les autres aux queues devant le fromage et la viande. Nous attendions toujours au moins une heure et demie et je mourais de peur d’arriver à la caisse avant que mon père soit revenu avec les achats et l’argent, auquel cas je risquais de me faire insulter par les autres personnes qui attendaient et de perdre mon tour.

D’autres souvenirs : nous portions à ma grand-mère des saucisses et de la charcuterie, car au village, il y en avait rarement, et Guéna, la vendeuse, les distribuait à la tête du client. Les femmes séchaient des heures de travail pour aller à la chasse dans les « magasins exemplaires » et voir ce qu’on avait « lâché ». Après de longues années d’errance en location, notre tour est enfin venu et nous avons reçu un appartement de fonction tout neuf dans lequel il n’y avait pas un seul angle droit, et que mon père et ma mère ont eu toutes les peines du monde à payer, tout ingénieur et juriste qu’ils soient. Ce qui fait que ce que je retiens par-dessus tout du socialisme, ce sont les tracas incessants et humiliants du quotidien et le manque permanent de produits de base. Comme disait mon professeur à l’Institut des bibliothécaires, madame Lenkova, constatant qu’on avait « lâché » des filets d’oignon au magasin de fruits et légumes, « quand y a pas d’oignons, y en a pas ; quand y en a, y a rien d’autre ». C’était comme ça. Et je m’étonne que certains oublient si vite, et que des gens par ailleurs intelligents commencent à appeler ce temps-là « le bon vieux temps ».

Despina Popova, 38 ans, bibliothécaire à la Bibliothèque nationale, Sofia

Satisfaction (1950)

Après le 9 septembre 1944, de manière générale, ma vie m’a procuré un sentiment de satisfaction. Mon salaire de professeur nommé avec un contrat à durée déterminée au village Fourène, m’a permis de surmonter la disette jusqu’en juin 1946 où j’ai repris mes études à l’Institut de formation des maîtres de Choumène. Pendant les deux années de crise – 1946-48, j’étais nourri et logé gratuitement dans le bâtiment de l’Institut, en ma qualité de personne disposant de faibles revenus. Je garde toujours le souvenir de cette satisfaction. Après avoir obtenu le diplôme d’aptitude de professeur titulaire à l’école élémentaire, j’ai été nommé directeur de l’école dans mon village natal de Fourène.

Le socialisme apportait ses fruits à tout le peuple : amélioration du niveau de la culture, soins médicaux gratuits non seulement pour moi, on arrivait à joindre les deux bouts dans sa vie personnelle, construction accélérée de

logements accessibles. En 1959, mes réussites musicales m’ont assuré un poste de professeur de musique et de chant à l’école « Dimitar Blagoev », à Vratza. Au bout de trois ans de logement gratuit, j’ai économisé 2000 leva sur mon salaire et je me suis acheté un appartement pour 4600 leva avec un crédit bancaire de 2600 leva que j’ai remboursé sans difficultés. Après l’installation du chauffage central en 1964, même si j’étais solitaire et célibataire, j’ai pu me permettre d’allumer mes trois radiateurs, car le prix était très bas. Ma vie sous le socialisme était à un niveau satisfaisant, sans pénurie.

Cependant je ne voudrais pas donner la primauté à ma satisfaction sous le socialisme, car la démocratie a aussi ses bons côtés.

Tzviatko Mladenov, 82 ans, retraité, Vratza

Ces 5 extraits que j’ai sélectionnés tentent de montrer des aspects divers du travail de Gospodinov. J’ai tout d’abord choisi ces exemples pour leur brièveté, les histoires racontées pouvant faire plusieurs pages, mais aussi car ils montrent bien la multiplicité des thèmes qui sont abordés dans ce travail.

Dans « nom », ces quelques phrases sont une sorte de poème, de haïku. Les trois sœurs portent le socialisme et ne peuvent s’en défaire comme si celui-ci était immuable à travers leurs prénoms. Le fait de se nommer par des symboles du communisme marque l’omniprésence de l’idéologie dans toutes les strates de la société, jusqu’à la dénomination de la personne.

Dans « 1983-1984 », on comprend le décalage entre d’une part la modernité de la jeune génération, le désir de liberté et de communication, et d’autre part l’apprentissage de l’autocensure parentale qui reflète la peur intergénérationnelle des écoutes et de la délation.

« Pourquoi les vaches n’ont pas de lait » est un exemple de l’importance du monde paysan en Bulgarie et de la dénonciation de cet employé du système économique par l’absurde. Cette histoire a tous les caractères d’une histoire drôle qui aurait pu se raconter sous le manteau à l’époque communiste comme critique de la situation économique du pays.

« Le bon vieux temps » décrit l’organisation des gens dans l’économie quotidienne du ravitaillement. Le souvenir de queue est récurent dans les récits récoltés, le plus souvent pour des denrées déficitaires. On voit ici la débrouille et l’adaptation des gens à n’importe quelle situation pour subsister.

« Satisfaction » donne quant à lui une vision positive du système économique qui comblait toutes les nécessités premières. On retrouve ici un thème de la nostalgie dans le monde post- communiste, surtout des personnes plus âgées et démunies : « lors du communisme on vivait mieux ».

Il réside dans tous les récits récoltés une grande diversité de forme, de fond et de souvenir. L’analyse des textes reçus montre que environ 65% ont été écrits par des personnes ayant entre 25 et 40 ans. Cela est dû, comme le souligne l’auteur lors de son introduction, à l’utilisation récurrente d’internet par ces générations, principal média utilisé pour récolter ces récits. Mais toutes les générations ont participé malgré tout à ces témoignages de récits intimes. De Tsviatko Mladenov âgé de 82 ans au jeune Apostol Dianko, 21 ans. Ce qui est frappant dans ces bribes de récits, c’est qu’ils ne sont pas du tout anonymes. Ils sont signés, identifiés, revendiqués par les auteurs. Cette première constatation va à l’encontre de la peur de dire et le devoir de taire. Comme si ce sentiment était révolu pour ces 450 témoins par l’écrit, bien que la peur soit aussi le thème principal de ces récits.

« Le plus important, pour nous, c’était l’acte consistant à amener à la parole la personne privée ayant vécu le socialisme. L’amener à oser extérioriser des silences et traumatismes personnels ou familiaux accumulés au fil des ans. […] Dans un grand nombre de ces récits, la peur est en filigrane le thème principal. Peur de l’Assemblée des enfants (Elèna Stoïlova), peur de la milice-police (Nikolaï Ignatov), peur des camps de pionniers (Ivélina Dimitrova) et autres camps de vacances, peur de trahir ses parents en dévoilant qu’ils écoutent en secret la radio « Europe libre », le soir dans la cuisine, peur de la bombe atomique (Yordanka Koléva), peur de se faire enrôler par la Sécurité d’État (Boyane Damianov). Pour le jeune lecteur d’aujourd’hui, la liste de ces peurs peut paraître absurde. Mais, dans une société absurde, l’absurde est la chose la plus normale, bien plus : il devient la norme. »

« La première [crainte], comme je l’ai dit, tenait à l’incertitude dans laquelle nous étions : est-ce que les gens allaient se mettre à raconter, écrire et envoyer leurs histoires ? Ce sont là trois actions qui supposent que l’on surmonte pas mal de tendances. Beaucoup de ceux qui ont vécu le socialisme souffrent de ce que l’on appelle « le syndrome du témoin » qui préfère refouler de sa mémoire ce qu’il a vécu et vu du fait d’un sentiment confus de culpabilité d’avoir fait partie de ce

contexte, d’avoir participé, même passivement, à tout cela. En outre, une chose est de raconter ses souvenirs autour d’une table, dans un cercle restreint, autre chose est de les écrire, de les transformer en texte et de décider de les partager publiquement »27.

Gospodinov met en mots ce déplacement de la peur qui s’est inscrite dans toutes les strates de la vie de ces citoyens. Et dans une société post communiste, le fait d’avoir grandi avant ou même après 1989 en Bulgarie, implique qu’il réside encore des effets de censure et d’autocensure instaurées par la peur omniprésente et transmise d’une génération à l’autre.

Cette expérience mise en place par Gospodinov pour donner un espace de parole pour raconter ces silences, est un des exemples montrant que la jeune génération, impulsée par le milieu intellectuel et littéraire, se dynamise dorénavant pour résoudre ce mutisme individuel historique.

Le travail de Marie Vrinat-Nikolov questionne souvent la place de la mémoire individuelle dans la littérature post-communiste. Dans plusieurs articles28, elle fait l’état des lieux de ce vide littéraire en Europe de l’Est, et en Bulgarie plus particulièrement. Elle reprend l’expression employée par l’écrivain Alain Fleisher dans L’amant en culotte courte29, « l’indécent fracas d’un silence de l’histoire » pour évoquer les silences de l’histoire qui pèsent sur cette Europe médiane et que la littérature tente avec peine de briser par ces histoires.

En 2005, soit 15 ans après la chute du régime communiste, Marie Vrinat-Nikolov constatait qu’il existait encore « un silence fracassant : le manque d’œuvre marquante sur cette période, et le manque d’un “Grand Roman” bulgare sur le socialisme ». Comme elle le souligne, Paul

27 Gospodinov, Guéorgui, 2006, Аз живях социализма. 171 Лични истории

(J’ai vécu le socialisme. 171histoires personnelles), Жанет 45 (Janet 45), Sofia.

Traduction de l’introduction du livre faite par Marie Vrinat Nikolov sur le site litbg.eu.

28

- Vrinat-Nikolov, Marie, « Mémoire de 1989 et littérature postcommuniste. Couvrir le silence fracassant de l’histoire », Revue des études slaves, Tome 81 (2010), fascicule 2-3, p.193-202.

- Vrinat-Nikolov, Marie, « La littérature post-communiste : quand les histoires viennent briser les silences de l'Histoire », in Histoire vraie, histoire fausse, écrire l'histoire des dictatures, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014.

29

Ricœur dans La mémoire, l’histoire, l’oubli30 « relie le trop peu de mémoire au trop de mémoire, qui ont, dit-il, la même origine : le déficit de critique. Or, l’appel à une analyse critique du passé totalitaire est récurrent, depuis quelques années, sous la plume de critiques littéraires bulgares, comme Angel Igov, qui s’inquiète de la mythologisation du passé qui le rend facilement instrumentalisable »31 :

« Or, nous avons justement besoin d'une analyse de notre passé totalitaire. Pas de la peur, pas de la politique de l’autruche. Une analyse sérieuse et réfléchie. Afin de régler enfin nos comptes avec ce passé. Pour moi, il est étonnant de constater, par exemple, qu’il n'existe pas une seule œuvre importante qui problématise l’époque du totalitarisme. […] La place du passé totalitaire n'est pas dans l'inconnu mais au musée. L’inconnu mythologise, poétise, glorifie. Tandis que le passé remisé au musée est un passé apprivoisé. Il ne mord pas. Ne griffe pas. Il reste bien tranquille à sa place derrière la vitre. C'est justement pour cette raison qu'a mon avis, notre transition n'est pas achevée. Car l'héritage du totalitarisme n'est pas derrière la vitrine, il est dans nos têtes. Nous n'avons pas encore apprivoisé notre passé. Et si nous ne le faisons pas, ce sont encore des sacrées migraines qui nous attendent. »32

Pour Angel Igov, ce passé totalitaire, par ce silence, par le fait de ne pas le nommer, continuerait à agir dans le présent comme une action encore vivante. Comme l’a expliqué Paul Siblot, le fait de nommer correspondrait à classer l’événement dans la mémoire collective, et l’absence de nomination serait quant à elle un déni de réalité. Le silence répondrait au présent, au manque de dynamique de la désignation verbale dans son contexte de production.33

30 Ricœur, Paul, 2003, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Seuil, Paris. 31

Vrinat-Nikolov, Marie, « Mémoire de 1989 et littérature postcommuniste. Couvrir le silence fracassant de l’histoire », Revue des études slaves, Tome 81 (2010), fascicule 2-3, p.193-202.

32

Igov, Angel, 2004, « мавзолейно и музейно » (de mausolée et de musée), култура, n°11.

Литературата и смъртта, Труд. ; cité dans Vrinat-Nikolov, Marie, « Mémoire de 1989 et littérature postcommuniste. Couvrir le silence fracassant de l’histoire », Revue des études slaves, Tome 81 (2010), fascicule 2- 3, p.193-202.

33 Siblot, Paul, 1997, « Nomination et production de sens : le praxème », Langages n° 127, Paris, p.38-55.

Gueorgui Gospodinov, dans son introduction au recueil J’ai vécu le socialisme, fait une distinction entre mémoire collective et mémoire individuelle, histoire monumentale et histoire