• Aucun résultat trouvé

4. LA CROISADE SCIENTIFIQUE QUÉBÉCOISE CONTRE LES « BUVEURS

4.2. L’ALCOOL ET L’IMAGINAIRE SUR LA BEAUCE

4.2.1. L'HISTOIRE DE L'ALCOOL : LA BEAUCE

En lisant des histoires de la Beauce et de la région de Chaudière-Appalaches (Ferron et Cliche, 1974; Bélanger et al., 1990; Courville et al., 2003; Bernard et Perron, 2009), j’ai relevé quelques passages qui rappellent quelques usages de l’alcool. Au XIXe siècle, la

Beauce est connue comme une région d’immigration des Français, des Anglais et des Irlandais, où ces immigrants apportent leurs façons de boire et de faire la fête (Courville et al., 2003; Bernard et Perron, 2009). Cette forte immigration est due 1) au fait que la région est un corridor stratégique qui relie les principales villes du Québec (Montréal et Québec) à l’État du Maine aux États-Unis et 2) à la découverte d’or en 1863 partout dans la région et de l’amiante à Thetford Mines en 1876.

Au cours de la première moitié du XIXe siècle, les Églises catholique et

protestantes, en quête de nouveaux fidèles, s’établissent dans la région afin de profiter des vagues d’immigration des Irlandais, des Français et des Canadiens-anglais qui viennent s’établir dans la Beauce (Courville et al., 2003; Bernard et Perron, 2009). Lors de ces vagues d’immigration, les nouveaux habitants de la région approfondissent leurs contacts avec les Autochtones et se livrent à des échanges de boissons alcooliques, surtout de l’eau- de-vie, avec eux (Ferron et Clicle, 1974). En suivant cette vague expansionniste, les auberges et les tavernes se multiplient, comme dans les autres régions du Québec alors colonisées. D’après Jacques Bernard et Normand Perron : « Ces lieux de commerce [auberges] générant suffisamment de profits pour offrir un inventaire varié de produits d’autres natures [inclus l’alcool], la fréquentation de ces établissements ne pouvait connaître qu’une popularité croissante » (Bernard et Perron, 2009 : 60). Dans ce contexte, on assiste à une croisade religieuse et aux jeux de pouvoir de l’Église catholique et des Églises protestantes dans la région. Les catholiques dénoncent le désordre moral de la consommation excessive d’alcool en accusant les protestants d’aimer jouer aux cartes, de chanter et de faire la fête (Courville et al., 2003; Bernard et Perron, 2009). En fait, comme partout en Occident, la question ne concerne pas tant la consommation d’alcool que le contrôle des conduites. En citant la municipalité de Sainte-Malachie, localisée dans la région de Chaudière-Appalaches, où se situe la Beauce, Courville et al. écrivent :

L’abbé Paradis a non seulement construit la nouvelle église de Saint-Malachie contre le gré des vieux habitants, mais il a de plus dirigé sa paroisse d’une main de fer et refusé de concéder un pouce aux dissidents. Il a également invoqué une observance catholique austère, prêchant avec véhémence contre les « marches nocturnes » et les rencontres entre jeunes dans les rues la nuit. Entre autres, il s’est opposé aux réceptions et à la fraternisation avec les voisins protestants, qui avaient tendance à jouer aux cartes, à chanter et à faire la fête. L’abbé Gagnon, le successeur de l’abbé Paradis, a lui-même déploré les divisions survenues dans la communauté et le profond sentiment d’amertume avec lequel il a dû composer. Mais son propre successeur, l’abbé O’Farrell, n’a pas hésité à reprendre les commandes rigoureuses de l’abbé Paradis, prêchant lui aussi contre l’usage de l’alcool, la danse et la musique. Son influence ne sera pas aussi dominante que celle de l’abbé Paradis, puisque les rapports entre les Irlandais catholiques et protestants de Frampton s’améliorent au cours des années 1880. À cette époque, la consommation d’alcool, le chant et la danse sont devenus courants dans les « corvées » et les « parties » d’hiver. C’est le cas, du moins, dans Dorchester, où les divisions entre catholiques et protestants irlandais diminuent dans le dernier quart du siècle, au moment même où les communautés irlandais entrent dans une nouvelle phase de déclin. (Courville et al., 2003 : 339)

Au sujet de la vie morale, Courville et al. soulignent :

Au plan de vie morale, quelques grands péchés semblent accabler la population : d’abord l’ivrognerie, puis les danses et les fréquentations, mais aussi l’usure et le manque de justice. L’ivrognerie semble un fléau répandu : « c’est une rage de vendre comme c’est une furie de boire ». Ainsi, les curés de toutes les paroisses trouvent à s’en plaindre : « Aussi on boit comme des sauvages, on se bat, etc. » […]. Si les habitants sont fort réservés lorsqu’il s’agit de payer pour les écoles, ils trouvent toujours de l’argent dans leur gousset lorsqu’il s’agit de se procurer de la boisson. (Courville et al., 2003 : 571)

Toujours au sujet de la dynamique de l’Église et de la consommation d’alcool dans ce coin de pays, Courville et al., ajoutent : « Les Beaucerons sont-ils meilleurs ou pires chrétiens que les autres? La plupart des curés affirment qu’ils sont pires, alors qu’il s’en trouve un autre qui “admire la foi de ces bons jarrets noirs. Elle est vive, plus vive que dans Kamouraska. Si ce n’était ce vice hideux de l’ivrognerie, ce serait très encourageant” » (Courville et al., 2003 : 574). On voit alors combien il est difficile pour les autorités religieuses et les mouvements de tempérance de contrôler la conduite des Beaucerons : « Toutes les campagnes de tempérance et toutes les associations, que ce soit celle de la Croix noire ou le mouvement Lacordaire, ne semblent pas y changer grand-chose.

D’ailleurs, les curés interviennent avec précaution sur ce sujet délicat » (Courville et al., 2003 : 571).

Si, au XIXe siècle, l’Église trouve qu’il est difficile de contrôler les conduites des

buveurs d’alcool beaucerons, les ouvrages traitant de l’histoire de la Beauce au XXe siècle à

nos jours, n’aborde pas la question. Je n’ai trouvé que des bilans statistiques, des rapports gouvernementaux de la régie régionale de la santé et des services sociaux et une grande quantité des reportages dans la presse provinciale et locale qui concerne tous la question de l’alcool au volant. J’ai aussi trouvé des publicités des industries de boissons alcoolisées et j’ai entendu à la télévision les campagnes de prévention d’Éduc’alcool, organisme québécois fondé à la fin des années 1980 qui propage l’idéologie du libre choix. L’ensemble de ce matériel sera présenté dans une sous-section spéciale nommée La presse à la fin de cette section. En somme, en lisant l’histoire de la Beauce, on retrouve quelques passages sur la consommation d’alcool plutôt associée au XIXe siècle. On voit que l’Église

catholique dans la région avait exercé une forte influence pour contrôler les conduites excessives.

4.2.2. LES COUTUMES BEAUCERONNES ASSOCIÉES À LA CONSOMMATION