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Espace intégrant

5.2 Une logique de conformité : le motif sémantique

5.2.3 La question des espaces d’entrée

5.2.3.2 Les formes sémantiques du blindage

Une première série d’emplois semble pourtant graviter autour de l’usage dénominatif du verbe blinder. Il s’agit d’une série dans laquelle le domaine conceptuel de la guerre ne semble pas très éloigné, et où les propriétés intrinsèques du blindage, à savoir la nature du métal employé, sa dureté, son épaisseur, etc. semblent affleurer et prendre une certaine consistance. Ces emplois mettent alors en saillance des notions spécifiques au domaine de la guerre et de l’armement : protection, défense, impénétrabilité, etc.

Analogue à l’énoncé (72), l’exemple suivant illustre cette affinité entre les emplois figurés et le domaine conceptuel de l’armement :

(73) Quant aux engueulades… Mais vous, sans rire, vous devez être blindé de ce côté 146.

Ce premier cas est relativement courant en français. Il détermine l’existence d’une commutation paraphrastique d’une grande systématicité, commutation qui permet de substituer blindé et vacciné / endurci dans le contexte147. Une fois la relation causale caractéristique du vivant mise au premier plan (immunité proportionnellement croissante avec la quantité d’agressions), nous constatons que ce genre d’emploi reste très proche du domaine conceptuel de la guerre et qu’il entretient avec ce dernier une cohérence très forte.

D’autres emplois de l’adjectif blindé font directement référence à des questions de solidité. On le constate dans ce passage tiré de Céline :

(74) Sa soutane était toute plaquée blindée de crottes et de bouse148

Nous retrouvons encore cette notion d’impénétrabilité dans le cas du verbe, et non plus de l’adjectif, comme nous le constatons dans l’exemple suivant, qui nous permet par la même occasion de rendre un nouvel hommage à la profession des bouchers :

146

(Gibeau, Allons Z’enfants) 147

La commutation est suffisamment systématique pour être recensée par les dictionnaires. Ainsi, pour le verbe

blinder, nous avons : « 1. Protéger par un blindage. Blinder un navire. 2. Endurcir, rendre moins vulnérable. Ces déceptions l’ont blindé. » (Petit Larousse).

148

(75) Il s’était, en vingt ans d’exercice, suffisamment blindé les narines pour tripatouiller à peu près n’importe quoi149.

Mais ce type d’emploi, qui se caractérise par une commutation systématique entre

blindé(er) et vacciné(er) est loin d’être unique. Si l’on revient au participe passé employé

comme adjectif, on retrouve cette notion d’impénétrabilité, mais avec un résultat du processus (en tant que participe passé) qui se trouve profilé d’une manière un peu plus singulière. Considérons l’exemple suivant :

(76) C’était plus la peine d’insister… Parler à des engelures pareilles ?… Ils étaient encore plus blindés que tous les gogs de tout Asnières ! Voilà mon avis150.

Ce qu’il faut retenir, pour comprendre un tel exemple, c’est que les parents du narrateur restent imperméables aux justifications de leur fils. Dès lors, ledit blindage ne gravite plus autour de la question d’une protection efficace, comme l’indique pourtant de façon centrale le domaine conceptuel de la guerre et de l’armement, mais bien en rapport avec une certaine stupidité, de celle qui empêche toute discussion, et dont Céline, du reste, explore longuement les aspects et les conséquences dans son roman.

Cette impénétrabilité peut aussi se profiler d’une autre manière et nous amener de la sorte à la notion de dissimulation :

(77) Ces lunettes opaques blindées, ça me donnait de l’intérêt151.

Du reste, une rapide étude étymologique tend à montrer que c’est justement la notion de dissimulation qui se trouve être historiquement première, puisque les blindes d’où dérive le verbe étaient au 17ième siècle des « pièces de bois, placées horizontalement sur des pieux à l’entrée des tranchées » ; leur rôle était de dissimuler (de l’all. blenden « rendre aveugle ») un ouvrage fortifié en le recouvrant152.

149

(Vergne, L’innocence du boucher) 150

(Céline, Mort à crédit). Le co-texte que nous donnons ne permet pas de juger correctement de l’interprétation. Il pourrait en effet s’agir de la commutation blindé - ivre. Aussi est-il nécessaire de revenir sur l’histoire : dans ce passage, le narrateur est injustement accusé d’avoir volé un bijou à son patron (ciseleur de son état) ; le narrateur tente de se justifier aux yeux de ses parents puis abandonne la partie, considérant qu’ils sont trop bornés. L’adjectif commute alors avec borné et pointe leur incapacité à entendre les arguments de leur fils. 151

(Bayon, Le lycéen) 152

Le rôle de telles blindes n’est donc pas de protéger un ouvrage fortifié d’impacts éventuels. Il s’agit plutôt de cacher à l’ennemi l’état réel des fortifications. L’intérêt stratégique des blindes est alors de préparer les conditions d’une « mauvaise surprise » faite à l’ennemi, dans le cas où celui-ci se déciderait à attaquer, puisqu’il ne peut se faire une idée correcte de ce qui l’attend vraiment derrière lesdites blindes. Les blindes sont alors le moyen de provoquer chez l’assaillant une grande incertitude.

Une logique de conformité : le motif sémantique

Nous constatons donc que la notion d’impénétrabilité peut se profiler selon plusieurs orientations et celle d’endurcissement et / ou de vaccination n’a pas à être privilégiée, sous prétexte qu’elle entretient des rapports de cohérence plus forts avec le domaine conceptuel de la guerre. Ainsi, au-delà de la notion d’endurcissement (exemples (72), (75) et (73)), nous trouvons parallèlement une certaine idée de la stupidité (exemple (76)) et de dissimulation (exemple (77)).

Mais cela ne s’arrête pas là. Il est encore possible d’utiliser l’adjectif pour approcher la notion de « préparation optimale », comme on le constate dans l’exemple suivant :

(78) Tu vois ce que je veux dire, hautement préméditée, bien pensée dans les recoins, scrupules soigneusement époussetés, garanties juridiques à tous les étages, l’arnaque blindée, le coup du siècle153

Une intégration conceptuelle serait donc à même de traiter le premier type d’emploi (blindé - endurci / vacciné), une fois que le lien causal existant entre l’agression et le blindage, qui caractérise le domaine de la guerre proprement dit se trouve neutralisé au profit d’une autre causalité, propre au vivant cette fois, où le blindage devient la conséquence d’agressions périodiques, et ceci, exactement sur le même modèle que creuser sa propre

tombe. Mais il s’avère que les trois derniers exemples (stupidité, dissimulation et préparation

optimale) n’entrent déjà plus aussi facilement dans cette approche. Dans de tels énoncés, le schéma agonistique repéré dans le premier type d’emploi tend à disparaître ou à perdre de sa pertinence.

Cette manière d’échapper au contrôle d’un cadre conceptuel guerrier se confirme en fait dans une seconde série d’emplois. Ces emplois, nous les avons abordés dans la première partie de ce travail. Ils se caractérisent par une commutation de plus en plus systématique entre blindé et bondé / rempli. Nous avions alors repéré cette commutation sur les exemples suivants :

(79) Un bar blindé, un amphithéâtre blindé [ ex. (16)]

Loin d’être récent, ce type d’emploi se retrouve déjà dans les textes de Céline (1936) :

153

(80) Entièrement les joues blindées… et puis encore des bourlaguets tout autour du cou… qui leur remontaient aux esgourdes… ils étaient fadés en substances, ils étaient plutôt pansus154 !

Ou encore :

(81) Par le retour du courrier, j’ai reçu alors moi-même trois lettres bien compactes, que je peux qualifier d’ignobles… blindées, gavées, débordantes de mille menaces155

Nous trouvons un emploi identique bien avant Céline, dans un texte de Zola :

(82) Gavard lui dit encore une fois, en grande confidence, que Mme Quenu était certainement une belle femme, mais qu’il les aimait « moins blindées que cela »156.

Le participe passé employé comme adjectif présente ici une valeur bien particulière, non plus orientée sur la notion d’impénétrabilité, mais plutôt sur celle de compacité. Certes, la compacité n’est pas sans rapport avec les propriétés intrinsèques du blindage, mais ces relations n’ont plus la pertinence que l’on repérait dans le premier type d’emploi (exemples (72), (75) et (73)). En effet, dans les exemples (79), (80), (81) et (82), c’est moins la question de la solidité ou de la protection (pourtant fondamentale dans le domaine de la guerre) qui compte que celle de la densité. Et nous voyons mal comment une intégration de deux espaces (un espace source axé sur la guerre et l’armement d’un côté, un espace cible hétérogène, qui peut correspondre à différentes choses) peut inférer à partir d’un espace intégrant la notion de compacité. Le problème est alors analogue à ce qui se passe pour le boucher - ciseleur (exemple (71)) : si l’intégration conceptuelle, en enracinant son analyse dans une représentation de nature figurative, ne pouvait parvenir à produire la notion de compétence, elle est ici incapable de retrouver celle de compacité.

154

(Céline, Mort à crédit). En parlant de gendarmes. 155

(Céline, Mort à crédit) 156

(Zola, Le ventre de Paris). Dans ce roman, Zola dresse entre autres le portrait d’une bourgeoisie du second empire en l’inscrivant dans la thématique de la digestion, du ventre. Madame Quenu, la « belle Lisa », charcutière, est décrite tout au long du roman comme particulièrement grasse ; citons entre autres : « Ce dos énorme, très gras aux épaules, était blême, d’une colère contenue ; il se renflait, gardait l’immobilité et le poids d’une accusation sans réplique ». Le roman joue sur l’opposition entre les gras et les maigres, comme le montre la même citation élargie : « Pas un frisson ne faisait faire un pli à son corsage tendu. Le contact trop ferme de la belle Lisa inquiétait plus encore ses os de maigre que l’approche tendre de la belle Normande. Gavard […] ».

Une logique de conformité : le motif sémantique

On pourrait toutefois nous rétorquer que cet emploi est trop exceptionnel pour constituer un argument décisif. Or, en plus d’être relativement ancien, il s’avère qu’un tel emploi connaît une large diffusion et que la commutation blindé - bondé devient particulièrement productive aujourd’hui. En effet, on trouve aisément les emplois suivants :

(83) J’ai une semaine blindée ; Mon agenda est blindé.

Ces exemples nous montrent que l’emploi du participe dans sa valeur compacité peut aujourd’hui s’appliquer à toutes les situations dans lesquelles il y a franchissement d’un certain seuil de densité.

Cet emploi orienté sur la valeur de compacité, que nous trouvons dès Zola, est en fait suffisamment systématique pour donner lieu aux ambiguïtés caractéristiques des phénomènes polysémiques. Le critère de commutation paraphrastique le démontre assez clairement dans l’exemple suivant :

(84) Je suis blindé.

Un tel énoncé, de façon parfaitement analogue au verbe toucher (exemple (11)), présente deux ensembles paraphrastiques distincts. Le premier s’oriente sur la notion d’impénétrabilité et rejoint les exemples (72), (75), (77) et (73). Dans ce cas, la commutation se fait entre blindé et vacciné / endurci. Le second sera employé au sortir d’un repas particulièrement copieux, par exemple, et commutera avec rempli. Il devient alors comparable aux exemples (79), (80), (81) et (82).

Cette notion de compacité est désormais si régulière qu’elle peut se profiler à son tour selon les contextes. Considérons l’emploi suivant, entendu au cours d’un déménagement, tandis que le locuteur porte un carton :

(85) Hou ! Il est blindé ce carton.

Il s’agit alors de souligner le poids considérable dudit carton, poids qui se trouve être une conséquence naturelle de sa compacité. On pourrait toutefois nous contredire en affirmant que cet emploi est quasiment idiolectal. Or nous constatons au contraire qu’un tel emploi existe déjà dans le texte de Céline :

(86) J’ai repiqué dans tous les étages avec mon col, ma cravate, mon « ressort papillon », mon canotier si blindé157

Certes, l’interprétation de l’énoncé peut sembler énigmatique. On pourrait y lire la notion d’impénétrabilité ou bien celle de dissimulation que l’on a repérée dans les lunettes blindées de l’exemple (77). Mais Céline lève lui-même toute ambiguïté dans ce passage du même roman, qui porte sur le canotier en question :

(87) Je vois encore mon chapeau de paille, le canotier renforci, je l’avais toujours à la main, il pesait bien ses deux livres158

En d’autres termes, l’auteur utilise l’adjectif blindé d’une façon identique à celle de notre locuteur contemporain de l’exemple (85)159. Dire qu’il s’agit d’un emploi idiolectal est donc faux. De même, il ne s’agit pas d’un emploi récent. Nous sommes donc amenés à constater que la commutation blindé - lourd est dotée d’une grande systématicité et que dans tous les cas, elle ne peut être repoussée au marge de la description160.

Cette systématicité prend d’ailleurs une telle ampleur de nos jours, que la valeur de compacité que l’on perçoit dans l’adjectif se retrouve désormais dans le verbe proprement dit. On le constate dans l’exemple suivant, qui se trouve être le slogan d’une campagne de publicité menée récemment161 :

(88) L’Express blinde l’information.

En soi, il s’agit d’un exemple ambigu puisque rien dans le co-texte ne nous permet de déterminer si c’est la notion d’impénétrabilité ou celle de compacité qui prime. Néanmoins, il y a des arguments pragmatiques forts pour nous orienter vers la seconde solution. Il eut été étrange, en effet, qu’une campagne de publicité pour l’Express affirme que le journal en question rend l’information impénétrable. Il ne peut donc s’agir que de l’interprétation selon laquelle l’information en question se trouve compactée, et où ce compactage fait de l’Express un journal exhaustif, complet, en bref, un journal particulièrement bien informé.

157

(Céline, Mort à crédit) 158

(Céline, Mort à crédit) 159

En fait, Céline joue sur deux valeurs : certes le canotier pèse ses deux livres, mais on doit aussi tenir compte du lexème renforci qui apparaît au même endroit et qui pointe directement les propriétés intrinsèques du blindage, de façon analogue à l’exemple (74).

160

L’exemple de Céline, qui permettait de commuter blindé - borné (exemple (76)), jouait sur une comparaison (« encore plus blindés que tous les gogs de tout Asnières ») qui peut aussi faire entrevoir la notion de compacité. Contrairement au canotier, nous n’avons toutefois pas retrouvé, dans le reste du texte, d’éléments nous permettant d’affirmer que les toilettes d’Asnières sont connues pour être particulièrement « remplies ».

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Une logique de conformité : le motif sémantique

Si l’adjectif avait donc tendance à orienter le sens de l’énoncé vers le résultat d’un procès de compactage, résultat qui peut dès lors prendre des formes différentes (remplissage maximal, pesanteur) il s’avère donc qu’aujourd’hui, le procès porté par le verbe lui-même peut être amené à s’aligner sur cette valeur.

Pour cette raison, plutôt que de considérer que nous avons affaire à des emplois extrêmes, à la limite de l’idiolectal, nous préférons penser que l’adjectif et le verbe sont en fait porteurs d’une forme sémantique cohérente, d’un archétype sensoriel très générique et très facilement transposable. Cette conception a alors un autre avantage, qui réside dans son pouvoir explicatif.

Pour le démontrer, venons en à ce dernier emploi qui joue sur la commutation blindé - ivre et que les exemples suivants illustrent bien :

(89) Un gars qui rentre chez lui n’a pas besoin d’essayer plusieurs clés à moins qu’il soit blindé à mort (San Antonio, Du mouron à se faire) ; Le Catalan sortit de la cuisine. A moitié blindé, il était. Il avait éclusé de tout (Le Breton, Razzia sur la schnouf)

Le dictionnaire de l’argot (Larousse) explique cet emploi de la façon suivante : « emplois imagés, avec l’idée d’une “charge” ou d’une “carapace protectrice” ». Le dictionnaire de la

langue française reste plus évasif : « Le pronominal argotique puis familier se blinder

“s’enivrer” (1888) et le participe passé adjectivé blindé, ée “ivre” (1881) sont d’origine obscure ; il faut peut être y voir une altération de dans les brindes “ivre”, bien attesté dès le XVIIIe s., de brinde “toast, verre bu à la santé d’un ami” ».

Notre conception, qui consiste à poser l’existence d’un motif sémantique orienté sur la notion de compacité, a l’avantage, en plus d’expliquer un grand nombre d’autres emplois, de rendre les énoncés (89) parfaitement naturels en leur conférant une motivation de nature sémantique et non plus phonétique.

Dans de telles circonstances, en effet, être blindé correspond au dépassement d’un seuil critique dans la quantité d’alcool ingéré, et ceci de façon analogue à l’amphithéâtre blindé

d’étudiants (exemple (79)). Cette compacité alcoolique, nous la retrouvons dans de nombreux

synonymes récurrents dans le champ lexical de la soûlographie. Ainsi, le locuteur, pour indiquer qu’il vient de dépasser les limites de sa tolérance, peut être amené à bredouiller les choses suivantes :

Nous retrouvons en outre cette notion de remplissage maximal dans des expressions comme sac à vin, outre à vin, etc.

A ce niveau de notre analyse, il est important de souligner que les notions de protection et de solidité, notions centrales dans le domaine de la guerre, n’apparaissent plus du tout pertinents dans cette seconde série d’emploi162. Ainsi, si le verbe peut désigner un processus de compactage (exemple (88)), si l’adjectif peut renvoyer à de la compacité (comme résultat du processus de compactage, exemple (79)) ou permettre de souligner le poids conséquent d’un objet (exemple (85)), c’est en dehors de toute considération portant sur les notions plus dénominatives de protection, de solidité, etc. Il faut donc admettre que ce domaine conceptuel n’est en aucune façon déterminant dans le comportement polysémique du verbe et de l’adjectif.

Si l’adjectif et le verbe peuvent donc être transposés dans plusieurs domaines distincts et se profiler selon des orientations différentes, c’est qu’ils sont porteurs d’un motif sémantique particulier qui n’entretient finalement aucun rapport avec le domaine de la guerre et l’usage dénominatif de blindé. Il devient de la sorte beaucoup plus économique d’expliquer le comportement polysémique du verbe et de l’adjectif à partir d’un motif transposable, plutôt que de fonder la description dans un domaine initial guerrier, domaine qui n’est à voir, finalement, que comme un effet parmi d’autres, se situant très en aval de la forme sémantique du verbe et de sa forme adjectivée. Au contraire, nous considérons que ce sont les emplois dénominatifs qui sont exceptionnels.

Considérons en effet le cas du substantif blindé ou les exemples suivants :

(91) Une porte blindée ; un train blindé.

Certains les qualifieront de littéraux. Ils ne sont rien d’autre, en fait, que les spécifications extrêmes de la notion d’impénétrabilité. Mais même dans de tels usages, nous reconnaissons la trace du motif initial : une porte blindée est moins une porte solide qu’une porte dont l’objectif est de rendre difficile toute intrusion.

La liste des propriétés intrinsèques au blindage, que l’on pense être premières dans la construction du sens, n’est rien d’autre que la spécification figée d’un principe de transposition beaucoup plus fondamental. Pour cette raison, la dénomination ne peut être

162

Lorsque Le dictionnaire de l’argot explique cet emploi en faisant référence à l’idée d’une « charge » ou d’une « carapace protectrice », il fait exactement comme l’intégration conceptuelle : il tente par, un coup de force critiquable, de récupérer l’espace initial attaché à la guerre et à l’armement.

Une logique de conformité : le motif sémantique

perçue que comme un effet secondaire et non pas comme se situant à l’origine du comportement polysémique des lexèmes.

Si l’on admet de la sorte que le verbe et l’adjectif sont porteurs d’un motif sémantique composé de deux notions en coalescence, impénétrabilité et compacité, il s’avère que tous les emplois ne profilent pas nécessairement l’une au détriment de l’autre. Considérons en effet l’exemple suivant :

(92) Grifouille a pas vu du tout d’un bon œil mes coups de Kanterbräu derrière la cravetouse. Pas moraliste pour deux points, mon pote Orlando, oh non ! Affranchi c’est tout, blindé d’expériences dont quelques-unes malheureuses. Tu bois, tu plonges (Degaudenzi, Zone)

Il est ici difficile de déterminer si nous avons affaire à de l’impénétrabilité (commutation

blindé - endurci) ou bien de la compacité (commutation blindé - rempli). Nous considérons

que les deux notions sont simultanément présentes, puisque les deux commutations fonctionnent correctement sans entrer en contradiction avec le reste de l’énoncé.