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3. Chapitre 3 : Le fonctionnement du Data as labor

3.1. Le fonctionnement du DaL

Avant de nous lancer, formulons quelques questions auxquelles chaque mode de rémunération devra répondre :

• Qui contrôle ou négocie la vente des données ? (ex. : individus, groupes, entreprises, ou États)

• Comment attribue-t-on un prix aux données ? (ex. : fixer des standards ou marché dynamique)

• Comment redistribuer les montants des rétributions ? (ex. : mérite ou égalité)

• Quels critères devraient se retrouver dans chaque modèle afin d’assurer un DaL privilégiant les intérêts et les droits des utilisateurs et utilisatrices ?

3.1.1.1. Qui contrôle ou négocie la vente des données ?

Cette variable fera changer le degré d’autonomie dont disposeront les individus quant aux choix sur leurs données, qui pourraient désirer plus ou moins de contrôle sur la vente de celles-ci. Les individus eux-mêmes pourraient être responsables de la vente, tout comme ils pourraient mandater des groupes d’effectuer cette tâche à leur place. Des entreprises pourraient alors être responsables des transactions. On pourrait aussi imaginer que les États mêmes soient en charge de les administrer.

3.1.1.2. Comment attribue-t-on un prix aux données ?

Comment mesurer la valeur que les données auront permis de générer et comment la redistribuer ? Sachant que les données ont généralement une utilité et une valeur pouvant être établie a posteriori, fluctuant constamment à travers le temps, il est difficile, voire impossible, de fixer un prix sur leur valeur exacte (et surtout a priori). Comme le suggère Lanier, on pourrait laisser le marché établir de manière dynamique les prix, qui changeraient en fonction de l’offre et de la demande, parfois de manière instantanée (Lanier, 2013 : 383-

387). Des entreprises, ou même des organismes créés pour gérer les données, pourraient concevoir des algorithmes d’IA gérant les prix en temps réel, à l’instar des transactions à haute fréquence d’actions en bourse (sur ce sujet, voir Doria, 2020). Cependant, pour des raisons d’équité et d’efficacité, il serait également possible de créer des standards de prix et des catégories de données. Par exemple, un « j’aime » vaut tel montant, telle pièce d’information sur les préférences de monsieur vaut tant, l’historique de mes déplacements sur Google Maps pour l’année se vend à ce prix. Il serait possible d’ajouter une multitude de variables, afin d’établir ce que peuvent approximativement valoir certains types ou quantités de données par rapport à d’autres.

3.1.1.3. Comment redistribuer les montants des rétributions ?

Devrait-on tenter d’attribuer les montants des redistributions au « mérite » individuel ? Chaque contribution serait évaluée à la pièce par le marché. Ou devrait-on attribuer les montants de manière plus égalitaire ? Chaque internaute recevrait les mêmes rétributions, selon les standards de prix. On pourrait proposer différents standards de prix allant du plus méritocratique au plus égalitaire (ex. : tous les « j’aime » valent la même chose, ou certains types de « j’aime » valent plus que d’autres). De plus, il faut déterminer si les gains seront répartis de manière plus individuelle, ou plus collective. Si un mode de rétribution favorise les individus, chacun d’entre eux recevra un montant variant selon leurs propres contributions. Si un mode de rétribution favorise le partage collectif, tous et toutes recevront le même montant, peu importe la quantité et la qualité des données générées. Les variables qui pourraient faire varier les montants des rétributions incluent donc la quantité et la qualité des données. Les profils des utilisateurs et utilisatrices qui les génèrent pourraient aussi influencer les montants (ex. : telle personne est considérée comme une grande acheteuse, donc ses données pourraient valoir plus)31.

31 Il est également difficile de déterminer exactement la part qui devrait revenir à chaque individu pour « ses »

données, sachant que la valeur de celles-ci provient en grande partie du fait qu’elles sont mises en commun. Les montants pourraient donc fortement varier selon les performances de « groupe » (ex. : toutes les personnes qui empruntent quotidiennement l’autoroute 40 contribuent à la précision des applications GPS sur ce chemin), mais ce sont des questions que nous laisserons de côté.

Le schéma ci-dessous résume les dimensions liées aux questions précédentes :

Figure 3.1 : Modes de rémunération des données en fonction du partage des gains, selon le degré de contribution (+ égalitaire ou + méritocratique) et la configuration de base de ce partage (+ individuelle ou + collective)

On peut privilégier le mérite (la hauteur des contributions des individus ou la valeur de leurs données), ou l’égalité (pour éviter de causer des inégalités et des discriminations, nous y reviendrons). On peut privilégier une redistribution individuelle, ou alors collective.

3.1.1.4. Conditions de base pour chaque modèle

Avec ces questions et considérations en tête, nous poserons certains principes et critères que chaque modèle de redevance de DaL devra suivre afin de privilégier les droits et intérêts des utilisateurs et utilisatrices, tout en visant un idéal de justice sociale et économique pour la société (en opposition à une économie de marché capitaliste, favorisant les grandes entreprises). Cette liste n’est pas exhaustive, d’autres considérations pourraient être ajoutées. I. Les utilisateurs et utilisatrices demeurent les principaux maîtres et bénéficiaires de

leurs données primaires (ou brutes, raw)32.

32 Nous décrivons les données primaires ou brutes (raw) comme étant les données qui ne sont pas encore traitées,

comme les données directement identificatoires, en plus des métadonnées. Une fois que ces informations sont traitées et mêlées à celles d’autres internautes, elles deviendraient plutôt dérivées (par exemple, celles qui

II. Les utilisateurs et utilisatrices doivent consentir explicitement au prélèvement de leurs données et peuvent refuser de le faire sans se voir refuser l’accès à une plateforme33.

III. Les utilisateurs et utilisatrices peuvent demander à tout moment que l’accès et l’usage de leurs données primaires soient retirés d’une plateforme, même après avoir offert leur consentement34.

La « vente » des données s’apparente donc plutôt à un octroi de licence qu’une cession définitive. Les utilisateurs et utilisatrices pourront recevoir des montants réguliers lorsqu’ils et elles octroieront cette licence. Ces rétributions proviendront d’une partie des profits réalisés avec leurs données, couvrant la période de temps durant laquelle elles seront exploitées. Les détails de ces montants pourraient varier d’un modèle à l’autre.