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2. Chapitre 2 : La production de données, un travail ?

2.3. Bénéfices sociaux et économiques du data as labor

2.3.1. Droit marchand sur ses données

À la base de l’idée de DaL se trouve celle d’identifier la source des richesses générées par les plateformes numériques, soit les données des utilisateurs et utilisatrices. Comme nous l’indiquaient les auteurs de l’article « Should We Treat Data as Labor? », le DaL reconnait que les individus, et non les entreprises, sont propriétaires de leurs données21. Ce statut de

propriétaire leur confère alors des droits sur celles-ci, comme celui d’en contrôler l’accès, l’utilisation et surtout, la vente. Cela leur offre donc la possibilité de bénéficier davantage des fruits que leurs données peuvent contribuer à produire. Nous aborderons ici spécifiquement les avantages d’un droit marchand sur ses données, qui n’est pas présent dans les législations actuelles, puis nous aborderons des idées de modèles d’affaire de gestion des données qui pourraient se développer. Somme toute, l’autonomie des internautes se verrait renforcée, ceux-ci bénéficiant de plus de choix sur le sort de leurs données. Les utilisateurs et utilisatrices passeraient d’un statut plutôt passif face aux « termes et conditions d’utilisation » à celui d’actif.

Parmi les législations les mieux développées sur l’encadrement des données des internautes, nous avons mentionné plus haut le Règlement général sur la protection des données (RGPD) européen, entré en vigueur en 2018. Nous développerons ici certaines de ses caractéristiques pour en faire ressortir ses limites, face à l’approche de DaL. Comme nous l’avions mentionné dans le premier chapitre, le RGPD ne concerne que la protection des données à caractère

personnel des individus. Le règlement exige notamment des entreprises de demander aux

utilisateurs et utilisatrices un consentement clair avant de collecter, stocker ou de transférer leurs données, ainsi que de conserver des informations précises sur ces données conservées. Les utilisateurs et utilisatrices ont notamment un droit d’accès à l’information, qui leur permet de demander aux entreprises une copie des données les concernant; un droit à l’oubli, qui leur permet de faire retirer les données personnelles à leur sujet; un droit de rectification, qui leur permet de faire corriger des renseignements incorrects à leur sujet; et un droit d’objection, qui leur permet de s’opposer à la manière dont leurs données sont utilisées

21 Nous ne développerons pas sur la notion même de « propriété », qui soulève de nombreux enjeux

philosophiques, politiques et économiques, tout comme des débats au sein du milieu académique (voir par exemple Roessler, 2015 : 146 et Anciaux et al, 2017). Par « propriété », nous nous en tiendrons au fait que l’individu, à la source de ses données, peut exercer une certaine forme de contrôle sur celles-ci et recevoir une partie des bénéfices qu’elles ont contribué à générer, en octroyant à d’autres la possibilité de les faire fructifier.

(Varonis, 2019). Lors de la navigation sur des sites européens, plusieurs d’entre eux affichent les options suivantes :

Figure 2.2 : Options de préférences sur la vie privée sur le quotidien The Guardian (consulté le 17 février 2020).

Toutefois, ces options restent assez limitées22. De plus, de nombreuses plateformes

numériques nécessitent tout de même de consentir à de longues politiques de termes et conditions d’utilisation, incluant souvent le prélèvement, l’utilisation et la vente de nos données. Dans le cas d’un refus sur ces options ou à l’ensemble des conditions d’utilisation, il est souvent impossible d’accéder à la plateforme, ou autrement certaines fonctions peuvent être très limitées. De plus, si les utilisateurs et utilisatrices consentent au prélèvement de leurs données, il reste difficile, voire impossible de savoir quels seront leurs usages futurs.

En mettant l’accent uniquement sur la protection des données personnelles, il demeure plus aisé pour les entreprises de continuer à cacher aux internautes la valeur de l’ensemble de leurs données et de continuer à les exploiter à moindre coût. Par exemple, en mettant de

22 De plus, il n’est pas certain que tous les internautes comprennent réellement la portée de leur consentement

dans le cas de chaque option qui se présente lors de leur navigation en ligne. Plusieurs études démontrent le manque de littéracie numérique des utilisateurs et utilisatrices quant à l’usage de leurs données et leurs capacités à réellement protéger leur vie privée (CEFRIO, 2016 : 12 ; Bureau de la concurrence, 2019).

l’avant des politiques plus « transparentes » sur l’utilisation de leurs données et en donnant plus d’options de protection de la vie privée sur leurs plateformes. Facebook a notamment lancé récemment une option sur sa plateforme pour que ses utilisateurs et utilisatrices puissent mieux gérer leurs données personnelles (Facebook, 2020 ; Radio-Canada, 2020). Les appareils mobiles iPhone de Apple possèdent également une option qui permet de limiter le suivi publicitaire ciblé. Les possibilités d’être rémunéré sont toutefois complètement évacuées. Les individus sont invités à partager du contenu et des informations par leurs données, en échange d’un accès souvent gratuit à des services. Tant que leurs données sont bien « protégées », peu de ces internautes réalisent qu’ils et elles pourraient exercer davantage de contrôle sur l’utilisation de leurs données et récolter une plus grande part des richesses qu’elles génèrent.

L’avantage principal que nous voyons au DaL est qu’il vise non seulement les données personnelles, mais également tout type de données venant des contributions, actions et interactions des utilisateurs et utilisatrices par le biais de plateformes numériques. Le DaL met en évidence la relation marchande derrière les services souvent « gratuits » que nous payons avec nos données, ce qui ouvre la porte au développement de différents modèles d’affaires de gestions des données. Par exemple, plus d’entreprises pourraient donner l’option aux utilisateurs et utilisatrices de « payer » leur accès à une plateforme avec leurs données, du moins en partie. Leurs données seraient prélevées et utilisées pour leur envoyer de la publicité ciblée et pour améliorer les plateformes. Autrement, les internautes pourraient avoir la possibilité de payer un abonnement, sans que leurs données ne soient prélevées et sans recevoir de publicité ciblée23 (nous reviendrons davantage sur les différents types de

rémunérations des données dans le prochain chapitre). L’objectif est de conscientiser les internautes à l’échange qui se déroule lors de leur usage des plateformes, et de leur donner une option alternative à la cession de leurs données pour avoir accès à des plateformes.

Le DaL pourrait surtout donner un statut plus actif aux internautes, avec ces choix supplémentaires concernant l’usage de leurs données. Selon certains chercheurs, comme

23 Certaines applications fonctionnent de cette manière, offrant aux individus une version payante sans publicité

Lucas Léger et Pierre Benata, le simple fait de donner cette option d’échange aux utilisateurs et utilisatrices dévoilerait l’ampleur de la valeur de leurs renseignements personnels (Léger et Benata, 2019 : 55-56). Les individus, habitués à recevoir des services « gratuits », réaliseraient qu’il y a en fait un coût à leur consentement aux termes et conditions d’utilisation, et que celui-ci est peut-être plus élevé que ce qu’ils reçoivent. Un utilisateur pourrait décider de partager davantage de renseignements en échange d’une rémunération monétaire plus substantielle, alors qu’une autre utilisatrice pourrait décider d’avoir une rémunération moins élevée, mais transmettre un minimum de données à son sujet aux entreprises24. Dans tous les cas, les internautes resteraient les principaux maîtres et

bénéficiaires de leurs données25.