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1. Objet d'étude et problématique de recherche

1.1. Finances solidaires comme réalité empirique très diversifiée

En France, les pratiques des finances solidaires se sont développées au début des années 1980, permettant la participation des citoyens aux pratiques économiques à travers l'épargne solidaire. Parmi les initiatives plus anciennes, on trouve des structures comme le Crédit Coopératif et la Nef, ainsi que le mouvement des Clubs d'Investisseurs pour une Gestion Alternative et Locale de l'Épargne Solidaire (CIGALES), issu du mouvement de l'économie alternative et solidaire. En plus de ces initiatives, il y a des sociétés de capital-risque solidaire, comme la Garrigue (fondée en 1985), l'Autonomie et Solidarité (crée en 1990) et l'IES (crée en 1997).

Le secteur de la finance solidaire en France aujourd'hui est reconnu et institutionnalisé, rassemblant différentes structures issues de l'économie solidaire, de l'économie sociale et du système financier traditionnel. L'Association Finansol, créée en 1995, rassemble plus de 60 membres, parmi lesquels des banques, des sociétés de capital-risque solidaire, des coopératives de finances solidaires et des associations. Entre ses actions, elle promeut, tous les ans, la semaine de la finance solidaire, les grands prix de la finance solidaire et le label « Finansol », qui identifie les différents produits d'épargne solidaire.

La finance solidaire en France regroupe diverses initiatives qui remplissent au moins l'un des trois critères suivants : a) L'origine des fonds (collecte de l'épargne citoyenne) ; b) Les conditions de financement et la méthodologie de crédit, comme l'utilisation de critères non- exclusivement financiers dans les choix d'investissement et l'accompagnement des porteurs de projet ; c) La finalité des projets financés, qui peut être: l’insertion sociale et la lutte contre le chômage, par le biais de financements aux entreprises d’insertion et d’utilité sociale; l'accès à l'emploi et au logement pour des personnes en difficulté; la question environnementale, par l’intermédiaire de financements accordés aux projets et entreprises d’utilité environnementale : production bio, énergie renouvelable et recyclage.

Il s'agit, donc, d'un champ très divers et hétérogène dans lequel il est possible d'identifier des expériences situées dans le champ de l'économie solidaire. Cependant, le rapport entre ces champs n'est pas évident, surtout par rapport au récent processus d'institutionnalisation des pratiques de finances solidaires.

Les pratiques de finances solidaires au Brésil se sont largement diffusées dans les années 1990. Les expériences de finances solidaires se sont concentrées principalement dans le Nord- est du pays. Cette région se caractérise par un taux élevé de pauvreté et un niveau élevé d'inégalités. Les finances solidaires au Brésil, en particulier dans cette région, cherchent à répondre au problème de l'accès au crédit et de l'inclusion financière.

Depuis la première conférence nationale de l'économie solidaire en 2006, la question de l'institutionnalisation des pratiques des finances solidaires est d'actualité. On peut distinguer trois types d'expériences : 1) Fonds rotatifs solidaires1, qui sont les pratiques les plus

1L e « fond rotatif solidaire » est une forme d'épargne solidaire, comme les « tontines » observées en Afrique.

Dans un groupe de 10 à 20 personnes, par exemple, chacun des participants fait un « prêt » sous forme de versement mensuel au collectif et acquiert ainsi le droit d'utiliser le « fond » commun à tour de rôle pour ses propres besoins, sans démarche administrative ni taux d'intérêt. Ces expériences sont le plus souvent informelles

anciennes ; 2) Coopératives de crédit, le seul type d'initiative de finances solidaires à être institutionnalisé ; 3) Banques communautaires de développement (BCD), le modèle le plus récent. Ces dernières jouent un rôle important d'articulation entre les pratiques de finances solidaires ainsi que de promotion de la finance solidaire.

Un système national de finances solidaires sera prochainement installé au Brésil. Il y constituera un relais indispensable pour le maintien et le développement des expériences de l'économie solidaire dont la dynamique est très forte. Cette singularité notamment brésilienne fait l'objet d'une attention croissante du reste du monde. L’analyse de cette expérience peut être particulièrement enrichissante pour d'autres pays qui connaissent une crise de leurs finances publiques restreignant le financement de leurs projets de développement territorial, local et solidaire.

Le terme « finance solidaire » est plus répandu en France qu'au Brésil. Créée en 1995, Finansol a joué un rôle important dans la promotion de l'épargne et de la finance solidaire. Par le biais de l’observatoire de la finance solidaire, l'Association publie régulièrement des véhicules de communication et des études sur le secteur en mettant l’accent sur des chiffres, des acteurs et des résultats de l’activité en terme de collecte et de financement d’entreprises. Nous avons consulté le Baromètre de la finance solidaire (six éditions entre 2011 et 2017), le Zoom sur la finance solidaire (éditions 2014, 2015 et 2016), ainsi que plusieurs études : Les épargnants solidaires (Finansol, 2014), Le financement solidaire en Pays de la Loire : données 2014 et analyses (Finansol, 2015), L'étude sur les fonds « 90-10 » (Finansol, 2016), Les acteurs du financement solidaire et leur réponse aux besoins de financement des associations et entreprises à forte utilité sociale (Finansol, 2017a). Ces publications s'adressent à la fois au grand public et à des professionnels du secteur.

Quelques documents de plaidoirie orientés vers les pouvoirs publics ont été publiés par Finansol, comme les 10 propositions pour développer la finance solidaire (Finansol, 2017b). Ce deuxième « livre blanc » de la finance solidaire fait suite à la publication « Pour une finance au service de l’économie sociale et solidaire » de 2013 par le Pôle de compétitivité Finance Innovation, qui rassemble des acteurs d’innovation financière dont Finansol. C’est également la forme prise par des publications du Labo de l’ESS sur le sujet, s’adressant notamment au pouvoir public. À ce titre, nous pouvons citer : « Propositions pour développer les outils financiers éthiques et solidaires » (Labo de l'ESS, 2013), « L'alchimie de

l'écosystème financier solidaire » (Labo de l'ESS, 2017a) et « Cahier de pratiques et d'initiatives inspirantes, Les publications du Labo » (Labo de l'ESS, 2017b). Ces documents s’appuient sur des informations de Finansol et sur les discussions au sein de groupes de travail animés par le Labo.

En 2009, quatre fédérations internationales du financement solidaire ont lancé un appel aux gouvernements du G20 à l’occasion du sommet de Pittsburgh. L’Association Internationale des Investisseurs dans l’Economie Sociale , la Fédération Européenne des Banques Ethiques et Alternatives, avec la National Community Reinvestment Coalition alliée à la Global Coalition for Responsible Credit ont présenté 12 mesures pour que les pays du G20 s’engagent dans la création d’un nouveau système financier2.

En France, la finance solidaire devient l’objet de l’action publique à partir de 2001, avec l’institution de l’épargne salariale solidaire dans le cadre de la Loi n. 2001-152. Soutenir le développement de l’ESS est l’une des missions de la banque publique d’investissement, BPI France, créée par la Loi nº 2012-1559 du 31 décembre 2012. En 2014, la reconnaissance institutionnelle s'est exprimée dans la Loi de l'ESS n. 2014-856 relative à l’économie sociale et solidaire.

Au-delà de la régulation de l’activité, nous avons pu identifier d’autres publications qui pourraient indiquer un intérêt, bien que faible, du gouvernement à suivre le secteur. À cet égard, nous avons consulté le rapport de la mission d’étude sur la finance socialement responsable et la finance solidaire à la demande du Ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie en 2002. En outre, des acteurs institutionnels (régions, département, communes) ont publié divers outils de communications en vue de promouvoir les acteurs du financement solidaire et de l’accompagnement sur le territoire.

Parmi les publications sur le thème de la finance solidaire, il y a des livres de vulgarisation à destination du grand public. Nous pouvons citer, par exemple, le guide « L'épargne solidaire pour les nuls » publié en 2011 par Éric Larpin, journaliste spécialisé dans le sujet, membre d’une CIGALES et du comité du label Finansol. D’autres ouvrages ont été publiés dans un style journalistique, par le recueil de témoignages d’acteurs sur l’histoire de quelques initiatives-phares des finances solidaires. Nous avons consulté le livre portant sur l’histoire de La Nef de la journaliste Nathalie Calmé (2012), l’ouvrage sur le mouvement CIGALES publié par la journaliste Pascale Dominique Russo (2007) et le texte de Dominique Carliez 2 Source : http://base.socioeco.org/docs/vers_une_finance_durable_-_appel_au_g20.pdf

(2014), ancien président de la Fédération des CIGALES et Directeur de la Garrigue. Jean- Paul Vigier (2003) raconte dans « Lettre ouverte à ceux qui veulent rendre leur argent intelligent et solidaire » son vécu en tant que président-fondateur de la SIDI et de Finansol. Bien que des initiatives pionnières comme les banques coopératives aient déjà fait l’objet de nombreuses études, l’intérêt académique pour une activité ou un champ désigné comme « finances solidaires » est récent. Nous observons que des publications scientifiques (thèses, articles et livres entre autres) ont été publiées en France notamment à partir de la fin des années 1990. En consultant la base de données de l’Agence bibliographique de l’enseignement supérieur, qui rassemble des thèses de doctorat soutenues en France depuis 1985, nous avons identifié seulement neuf documents associés au terme « finance solidaire »3.

Le site de ressources documentaires sur l’économie sociale et solidaire socioeco.org indique une dizaine de thèses dans l’axe thématique « Finance et monnaies au service de la société » qui sont associées au mots-clés « finance éthique et solidaire ». Publiées entre 2000 et 2016, il s’agit de thèses de doctorat en économie, pour la majeure partie d’entre elles, en sociologie et en sciences de gestion.

La moitié des thèses soutenues que nous avons repérées ont analysé des pratiques de finances solidaires dans les pays du Sud, notamment en Afrique, et seule une thèse s’intéresse à des initiatives au Nord et au Sud (Kouakou, 2012). Intitulée « La finance et l’éthique dans un environnement financiarisé : le cas de la finance solidaire », le travail de Kouakou (2012) s’intéresse au rapport entre le système financier formel et les structures de la finance solidaire, comprenant institutions de microfinance et organisations de finance solidaire. Il aborde les risques d’isomorphisme institutionnel qui menacent ces structures dans un environnement financiarisé. La thèse analyse quatre institutions de microfinance : la Grameen Bank (Bangladesh), l’Adie (France), le microcrédit en ligne et le Banco Palmas (Brésil). Il est à noter que, dans le cadre de ce travail, la banque communautaire de développement est analysée comme une institution de microfinance.

3 Consulté à travers le moteur de recherche theses.fr : http://www.theses.fr/?q=%22finance%20solidaire

%22&fq=dateSoutenance:[1965-01-01T23:59:59Z%2BTO%2B2017-12-

31T23:59:59Z]&checkedfacets=&start=0&sort=none&status=status:soutenue&access=&prevision=&filtreperso nne=&zone1=titreRAs&val1=&op1=AND&zone2=auteurs&val2=&op2=AND&zone3=etabSoutenances&val3= &op3=AND&zone4=dateSoutenance&val4a=&val4b=&type=

Quelques auteurs s’intéressent aux pratiques des finances solidaires dans un débat plus large sur la microfinance. En effet, la production bibliographique en microfinance fournit les premières pistes pour penser les finances solidaires comme une activité particulière. En ce sens, l'approche socio-économique de la microfinance développée par Jean-Michel Servet doit être mentionnée. Ses nombreux travaux sur la microfinance constituent la référence la plus importante sur le sujet en Europe. Son centre d'intérêt étant la microfinance analysée à partir d'une sociologie du développement, J.-M. Servet a également dédié des années de recherche aux monnaies complémentaires alternatives.

Isabelle Guérin est l’une des premières à travailler sur les finances solidaires bien que ses travaux portent sur la microfinance. Chercheuse à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), elle mène des études sur la finance et les inégalités (notamment de genre) en Asie et en Amérique Latine. Ses recherches portent principalement sur la microfinance, l’inclusion financière et l’économie solidaire. Comme J.-M. Servet, l'auteure se positionne dans une analyse socio-économique de la microfinance, définie comme l'ensemble des services financiers destinés aux populations exclues des institutions financières classiques (Guérin, 2015) et elle s'intéresse aux finances solidaires en tant que formes alternatives et solidaires d'épargne et de crédit se situant dans une perspective de réinvention de la richesse, de la solidarité et de la lutte contre les dominations et les inégalités (Guérin, 2015).

Outre l'entrée de la microfinance, des initiatives de finances solidaires ont été étudiées par des chercheurs intéressés par le sujet de l'économie solidaire. Nous trouvons notamment des études sur quelques cas de succès tels que les banques communautaires au Brésil, notamment le cas emblématique de la banque Palmas, à propos duquel de nombreuses publications scientifiques ont été produites dont nous soulignons les contributions de Silva JR (2004), França Filho et al. (2012) et Braz (2014). De notre point de vue, ce type d'analyse ne permet pas de comprendre ces pratiques au sein du champ de l'économie solidaire car elles sont étudiées comme des cas particuliers et non comme un champ d'activité qui constitue un sous- ensemble de l'économie solidaire.

Au Brésil, nous retrouvons deux approches différentes d'analyse des expériences : des chercheurs sur le microcrédit et en microfinance, comme Francisco Barone, et des chercheurs de l'économie solidaire qui décèlent des pratiques émergentes. Dans ce dernier cas, les principaux travaux sont développés par Genauto C. de França Filho et collaborateurs (articles collectifs, mémoires, thèses), qui examinent les pratiques des banques communautaires. Le

chercheur Ricardo Abramovay analyse également les pratiques des finances de proximité dans le cadre de coopératives de crédit rural. Les deux auteurs partent d'une grille de lecture polanyienne et servent le concept d'économie plurielle pour comprendre ce phénomène. Comme ces derniers auteurs, nous situons les pratiques de finances solidaires au Brésil dans le champ de l'économie solidaire, étant donné le contexte de création des expériences, qui se reconnaissent dans le processus de construction historique de l'économie solidaire dans ce pays.

L'essentiel de la littérature disponible sur les finances solidaires, au Brésil et en France, porte sur leur activité de microcrédit et de financement, et la plupart du temps, le débat sur les finances solidaires est abordé sous cet angle-là. L'intérêt de ce travail de recherche est d'appréhender la cohérence de l'activité de finance solidaire au regard du projet de développement de l’économie solidaire. Nous nous interrogerons sur la place et le rôle qu'elles occupent dans le développement du projet d'ensemble de l'économie solidaire, en France comme au Brésil.

Notre analyse cherche à approfondir, à travers la bibliographie disponible et le travail de terrain, des questions qui ressortent de notre problématique de recherche. Qu'est-ce que la finance solidaire ? Comment identifier ces expériences ? Comment les initiatives des finances solidaires interagissent-elles avec les initiatives de l'économie solidaire au sein d’un territoire ?