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La perspective comparative de l'étude consiste à analyser les finances solidaires en tant que phénomène international, en analysant les contextes français et brésilien afin d’en identifier des éléments communs. Nous justifierons le choix de ces deux contextes comme étant le prolongement d'un dialogue établi entre ces deux pays depuis le début des années 2000. Les échanges entre la France et le Brésil autour de l'économie solidaire ont lieu dans au moins trois sphères (champ pratique, institutionnel et académique) comme nous le soulignerons ensuite.

4.1. Échanges entre des réseaux d'économie solidaire

Dans le champ des pratiques, nous observons des échanges entre des acteurs de l'économie solidaire de ces deux pays. L'une des actions pionnières est le programme d’échanges entre Coordination SUD (France) et ABONG - Association Brésilienne des ONG (Brésil), signé en janvier 2003, pendant la troisième édition du Forum Social Mondial, à Porto Alegre.

Le programme a promu des missions et des visites d’expériences dans les deux pays. En 2003, une rencontre sur les finances solidaires réunissant des acteurs français et brésiliens a été organisée8. Cela démontre une curiosité réciproque des acteurs au sujet des initiatives

d'économie solidaire dans ces pays.

En effet, dans les rencontres avec les acteurs en France, nous nous sommes aperçus de l’intérêt de nos interlocuteurs à l’égard des expériences mises en place au Brésil et vice-versa. Nos entretiens semi-directifs ont servi de moments d'échanges, où nous rapportions de manière informelle des informations sur nos terrains d'études à partir des questions posées par nos interviewés. Nous observons que l'attention portée par des acteurs brésiliens sur le contexte français est centrée sur les dispositifs légaux, d'une manière particulière, et sur l'institutionnalisation de l'économie solidaire dont la reconnaissance est très en avance par rapport à la réalité brésilienne. Quant aux expériences brésiliennes des acteurs que nous avons

rencontrés en France, nous avons souvent été interrogés à propos du rapport entre la société civile et le gouvernement dans une démarche de co-construction des politiques publiques.

4.2. Échanges entre des acteurs institutionnels

La France et le Brésil sont parmi les premiers pays à avoir un secrétariat d'État dédié à l'économie solidaire. Dans les deux cas, les secrétariats ont été créés à l'intérieur du ministère du travail et marquent, au début des années 2000, la reconnaissance institutionnelle de l'économie solidaire dans ces pays. En France comme au Brésil, l'économie solidaire a été associée au débat sur le développement territorial.

Un accord de coopération a été signé en décembre 2013 entre le gouvernement brésilien et le gouvernement français en vue d'encourager les échanges entre les pays. Un dialogue permanent entre les acteurs institutionnels a été établi, notamment entre le réseau brésilien des gestionnaires de politiques publiques d’économie solidaire et le réseau de collectivités territoriales pour une économie solidaire (RTES).

Ces deux réseaux se sont rassemblés lors de la première rencontre franco-brésilienne sur l’ESS qui a eu lieu en novembre 2014 à Brasília, à laquelle nous avons participé en tant qu'observatrice. Une deuxième rencontre a été organisée en 2015. Co-organisée par le Fonds Mondial de développement des Villes, l’ambassade de France, l’association des maires brésiliens et le réseau brésilien des gestionnaires de politiques publiques d’économie solidaire, cette rencontre s'est déroulée durant le 3ème Congrès National d’Économie Solidaire du Brésil, ouvert par la présidente du pays, Dilma Rousseff. Des collectivités françaises ayant des actions de coopération décentralisée avec des collectivités brésiliennes ont participé à ces rencontres : Ile de France, Provence Alpes Côte d’Azur, Corse et Rhône Alpes, Midi-Pyrénées, Nord-Pas-de-Calais. Plusieurs thématiques d’intérêt commun ont été identifiées, parmi lesquelles les cadres juridiques des activités d’économie solidaire et les outils financiers de développement de l'économie solidaire.9

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4.3. Échanges entre des réseaux de recherche

Le terme « économie solidaire » a commencé à être emprunté pour désigner un ensemble d'initiatives socioéconomiques entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, de façon simultanée, en France et en Amérique Latine. Les premiers chercheurs qui l'ont utilisé étaient Luis Razeto (Chili), Jean-Louis Laville (France) et Paul Singer (Brésil).

Plusieurs projets de recherche collectifs ont été menés avec la collaboration de chercheurs français et brésiliens dans le but de connaître les initiatives et de partager des grilles de lecture. À cet égard, nous soulignons l'effort entrepris par Jean-Louis Laville et Antonio Cattani, dans la coordination de la version franco-brésilienne du « Dictionnaire de l'autre économie ». L'objet de ce livre est de redonner à voir des logiques économiques qui ont été marginalisées par la théorie économique orthodoxe. Il résulte d’un travail de coopération entre de nombreux chercheurs de l'Europe et de l'Amérique Latine (Laville et Cattani, 2006).

Sont à souligner également les échanges autour des politiques publiques d'économie solidaire mises en place en France et au Brésil qui ont comme résultat un ouvrage publié dans les deux pays. Le caractère expérimental de l'économie solidaire au Brésil, ainsi que le rapport entre la société civile et les pouvoirs publics dans la co-construction des politiques publiques ont été analysés.

De cette façon, notre travail s'inscrit dans le prolongement des travaux de recherche menés par G. França Filho et J.-L. Laville parmi d'autres chercheurs dans une perspective de regards croisés entre France et Brésil (França Filho, 2003). La thèse peut contribuer à rendre accessible aux lecteurs francophones des éléments du débat brésilien sur les finances solidaires et vice-versa.

4.4. Enjeux d'une perspective comparative Nord-Sud

L'approche internationale de l'économie solidaire développée par J.-L. Laville permet de mettre en avant ce qui rassemble les expériences au-delà de leur hétérogénéité et de leurs contextes (Laville, 2013). Une perspective comparative des deux cas de sociétés si distinctes a comme enjeu majeur une analyse qui rend compte des particularités de chaque contexte avant de proposer un dialogue Nord-Sud.

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Un autre enjeu important dans ce type d'analyse est la construction du cadrage théorique. Pour França Filho (2003), malgré les différences fondamentales et les contours propres de la manifestation du phénomène de l’économie solidaire en France et au Brésil, il est possible de poser un cadre analytique général. L'auteur soutient la pertinence d'un cadre théorique commun à partir de la notion d'économie plurielle.

Les initiatives d’économie solidaire constituent des formes hybrides des économies marchande, non marchande et non monétaire et ne peuvent pas être appréhendées sous la seule figure du marché des économistes orthodoxes. Cette perspective plurielle de l'économie présuppose l’élaboration d’une conception élargie de l’économie réelle, d’où l'intérêt de l’analyse de Karl Polanyi (França Filho, 2003). C'est précisément sur cette notion, appuyée sur l'analyse de K. Polanyi, que nous construirons un cadre théorique commun pour une analyse des finances solidaires en France et au Brésil.