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Chapitre I : Mise en perspective historique des pratiques de financement solidaire

3. Problématiques et acteurs en convergence

3.1. Un champ hétérogène se constitue

Dans son analyse historique, Artis (2009) distingue quelques formes prises par la finance à partir de années 1978, tels que clubs d’Investisseurs solidaires, capital-risque solidaire, sociétés financières solidaires et fonds de garantie solidaire. Nous cherchons à identifier et caractériser les différentes formes de finances solidaires actuelles pour penser une typologie d'acteurs. Cela nous permettra d’éclaircir notre périmètre d'analyse.

La finance solidaire, aujourd'hui, est composée d’une grande diversité de statuts, de formes organisationnelles et d'activités (Artis, 2011). Concernant l'hétérogénéité des formes d'organisation, Artis (2011) explique que les structures de finance solidaire se sont constituées sous différents statuts juridiques privés, et en souligne trois. Il y a des structures qui se constituent sous la forme d'association selon la loi de 1901, comme France Active et Adie. Le

choix est dû à sa souplesse de gestion, sa non rentabilité et son accès possible à des ressources non marchandes (privées et publiques). Le deuxième type de statut est l'indivision volontaire, qui est en particulier le cas des Cigales.

« C'est le cas typique des Cigales, c’est utiliser un outil, les clubs d’épargne en indivision volontaire, l’outil club d’investisseur, avec un statut de 1978, qui est un peu dérivé, pour en faire un club d’investisseur solidaire. » (Éric Larpin)

Le statut de société anonyme sous forme lucrative ou sous forme coopérative régi par la loi de 1947 sur les sociétés commerciales est principalement utilisé par les sociétés d'investissement de petite ou moyenne taille (Artis, 2011). Les structures sont constituées surtout sous les statuts d'association et coopérative, qui semblent être plus cohérents avec leur projet. Artis (2011) explique que

« de nombreuses organisations de finance solidaire utilisent les statuts de l’économie sociale (associations ou coopératives) qui semblent convenir à leur vocation socioéconomique, à leur nécessité de mobiliser des ressources supplémentaires, en plus de celles générées par leur activité pour assurer leur pérennité, et leur vocation à répondre aux besoins socioéconomiques de leurs membres et de tierces personnes (bénéficiaires, collectivités, banques). » (Artis, 2011, p. 27)

Les finances solidaires mobilisent plusieurs outils financiers sous la forme de prêt et d'investissement.

« Pour la Nef, l’idée est de faire très vite du prêt et Cigales et Garrigue, c’est du capital-risque solidaire. Investir, prendre des participations au capital directement dans les entreprises, c’est le modèle qui sera ensuite repris pour IES, Autonomie et Solidarité, etc. » (Éric Larpin) Quant à la diversité d’activités de financement, Artis (2011) souligne que la finance solidaire en France développe le microcrédit, l'apport en capital (participation en capital ou apport en compte courant) et les fonds de garantie. Le microcrédit peut exister sous la forme de prêt d'honneur et de microcrédit professionnel. Le premier, selon l'auteure, est l'outil financier du réseau France Initiative tandis que le deuxième est l'outil de l'Adie.

« D'abord, le microcrédit est un prêt à caractère social pour des personnes, qui dans un processus de création d'activité, ont rencontré un refus des organismes bancaires pour financer leur projet en l'état actuel. (…) Il existe deux formes principales de microcrédit en France, le

prêt d'honneur et le microcrédit professionnel. Le premier est un prêt personnel à taux zéro sans garantie pour financer une création d'activité dont le montant se situe entre 3 000 et 7 500 euros, pour une durée de 2 à 5 ans sous une condition d'éligibilité territoriale. C'est l'outil financier du réseau France Initiative. Le second est un prêt personnel d'un petit montant sur une courte durée sans garantie matérielle. Par exemple, l'ADIE propose un taux d'intérêt de 7,02 % pour une durée de 24 mois maximum et demande une contribution de 5% du montant du prêt obligatoire pour abonder un fonds de solidarité. De plus, une caution morale est obligatoire, c'est-à-dire qu'une personne se porte caution solidaire du prêt à hauteur de 50 % des fonds prêtés. » (Artis, 2011, p. 27)

L'apport en capital (participation en capital ou apport en compte courant) est l'activité développée par les sociétés de capital-risque solidaire, telles que la Herrikoa, Garrigue, Autonomie et Solidarité et IES. Cet outil est aussi proposé par le réseau France Active, comme l'explique Artis (2011) :

« Puis, les prises de participation, les apports en compte courant d'associés, ou les autres valeurs mobilières (obligations convertibles en actions, titres participatifs, etc.) sont mis en œuvre par des organisations de finance solidaire. Par exemple, le contrat d'apport associatif est un apport en fonds propres pour les associations. Le contrat d'apport associatif de France Active sans droit de reprise est d'un montant compris entre 5 000 et 30 000 euros sur une période variable de 2 à 5 ans. Le remboursement se fait à l'échéance ou de manière dégressive durant la vie du contrat. Il n'y a pas de charge d'intérêt. » (Artis, 2011, p. 27)

Le troisième outil de financement souligné par Artis (2011) est les fonds de garantie. Parmi les financeurs solidaires aujourd'hui, c'est notamment le réseau France Active qui développe ce produit financier :

« Enfin, la finance solidaire développe des fonds de garantie solidaire qui permettent de couvrir les remboursements en cas de défaut de paiement et offrent la possibilité d'accéder à des prêts bancaires. La garantie France Active est une garantie sur des financements à moyen terme (supérieurs à 6 mois) pendant une période maximale de 5 ans, à hauteur de 50% ou 65 % (pour les créations) du montant de prêts ne dépassant pas la somme de 30 500 euros. Le coût de la garantie est de 2% du montant garanti. » (Artis, 2011, p. 27-28)

L'activité de l’épargne peut être développée de quatre manières, selon le niveau d'intermédiation. Dans le cas des clubs d'investisseurs, les épargnants constituent leurs

cagnottes pour investir directement dans des entreprises solidaires, sans aucune structure d'intermédiation. L'épargnant peut souscrire directement à des actions de structures comme IES, qui collectent directement l'argent auprès des particuliers et des investisseurs institutionnels pour l'investir dans des entreprises solidaires. Il y a une structure de collecte d'épargne, mais l'intermédiation entre épargnant et emprunteur est moins importante que dans les deux autres cas. Autrement, l'épargne peut être mobilisée à travers des comptes à terme ou des livrets. La Nef, par exemple, développe cet outil pour proposer des prêts de manière directe. Enfin, le quatrième type d'activité d'épargne est fait de manière indirecte. C'est le cas des financeurs solidaires qui ont comme ressource l'épargne salariale solidaire. Ce type de financeur, explique Artis (2011), « ne collecte pas d'épargne directement mais gère, pour le

compte d'un tiers, des fonds issus de placements financiers, de la redistribution publique ou privée et de lignes de crédits. » (p. 28)

Cette quatrième forme de mobilisation de l'épargne implique une intermédiation importante entre épargnant et emprunteur, avec la participation d'au moins deux structures intermédiaires. Dans son cadre d'analyse, Artis (2011) n'intègre pas cette modalité car, pour l'auteure, elle ne gère pas de lien entre l'épargnant et l'emprunteur :

« Par contre, les produits d’épargne solidaire intermédiés par un établissement bancaire ou financier ne font pas partie de la finance solidaire définie dans cette recherche. En effet, cette forme d'intermédiation financière ne permet pas la rencontre entre les épargnants et les emprunteurs ainsi que la création de lien social. » (Artis, 2011, p. 28)

Mais cette forme de collecte d'épargne est la plus développée et représente aujourd'hui la principale forme de collecte de finance solidaire en France.

« Des chiffres plus récents montrent une progression importante des montants collectés et investis : en juin 2008, 1.6 milliards d’euros étaient placés dans des produits d’épargne solidaire et 336 millions d’euros ont été distribués à des organisations de finance solidaire. » (Artis, 2011, p. 29)

L'auteure souligne avec réserve que les chiffres mis en avant par Finansol correspondent au total collecté par des produits destinés à la collecte d'épargne solidaire. En effet, la proportion de l'épargne solidaire collectée finançant directement des projets est beaucoup plus faible étant donnée que l'épargne solidaire est en partie réinvestie dans les circuits de financement

classique (Artis, 2011). Seulement 5 à 10 % du total collecté est destiné au financement solidaire.

La collecte d'épargne solidaire à travers des produits d'épargne salariale a été notamment développée par l'association Finansol. Sa création constitue une étape importante dans le processus d'institutionnalisation des finances solidaires en France.

« La création en 1995 de l'association professionnelle des acteurs de la finance solidaire, Finansol, marque la convergence de la finance alternative et des associations de microfinance autour de la notion de finance solidaire dans laquelle la solidarité se matérialise de deux façons : d'une part, le soutien aux populations fragiles et, d'autre part, la mobilisation de mécanismes de partage des ressources et des risques. Ce regroupement amorce un processus de normalisation et de reconnaissance de la finance solidaire et favorise la professionnalisation et la structuration des acteurs. Il marque aussi la recherche d'une unité face à la diversité des pratiques. » (Artis, 2011, p.30)

Face à ce foisonnement de modèles d'organisations et d'activités de financement et d'épargne, les acteurs de la finance solidaire se sont réunis autour de Finansol sous l'appellation de finance solidaire (Artis, 2011). En réalité, comme l'explique Guillaume Viandier, salarié de l'observatoire de la finance solidaire, les membres de Finansol sont très divers et se sont regroupés en raison d'une caractéristique commune : la collecte d'épargne solidaire.

Nous avons interrogé la directrice de Finansol à propos de la diversité de structures qui se retrouvent au sein de l'association. Elle nous a expliqué, dans une perspective historique, comment ces acteurs se sont rassemblés :

« Il y a eu deux temps à Finansol. Il y a eu le temps de militants avec une grande palette. Il y avait des militants qui étaient des banques et des militants associatifs. Quand Finansol s’est créé, il y a 22 ans maintenant, ceux qui l’ont créée, et c’est la grande originalité en tout cas en France je crois, c’est des acteurs associatifs et des acteurs financiers avec un projet commun qui est comment mobiliser des particuliers par leur épargne pour financer des projets à utilité sociale ou environnementale. Là on avait le CCFD, France Active, l’Adie, Habitat et Humanisme qui étaient des acteurs associatifs qui disaient, on peut s’appuyer sur des citoyens en tant qu’épargnants, comment est-ce qu’on peut les mobiliser dans leur fonction d’épargnant et de l’autre côté, des établissement financiers qui disaient, quels produits créer pour répondre à la demande des acteurs associatifs, des produits bancaires, pour financer des

acteurs à forte utilité sociale et environnementale. Donc, parmi ces deux collèges, il y avait des acteurs très militants comme la Nef, les Cigales, et des acteurs un peu moins militants si on place dans une échelle avec le Crédit Coopératif, la Caisse d’Épargne, le Crédit Mutuel, ces trois, ce qui les regroupe, c’est qu’ils ont un statut coopératif avec ce qu’on appelle un « affectio societatis », c’est-à-dire, ils partagent des valeurs communes qui sont celles de la coopération, du lien avec l’économie sociale et solidaire. Ça a été la première étape, de réfléchir ensemble à quels produits, comment promouvoir. Dans le premier collège il y a des acteurs associatifs avec la volonté de dire, on peut s’appuyer sur des banques mais on peut aussi être acteur de la mobilisation citoyenne par des actions de communication mais aussi par ouvrir le capital à des particuliers. Et par ailleurs, la SIDI, par exemple, la collecte directe d’épargne citoyenne par l’ouverture de leur capital est essentielle, mais ils bénéficient par ailleurs d’outils bancaires, support bancaire, support d’épargne, qui sont proposés par des banques ; le premier produit d’épargne c’est le Faim et Développement, un fonds d’investissement en occurrence où les revenus sont partagés avec le CCFD. Il avait vraiment cette idée d’être bénéficiaire de soit des outils commercialisés par des banques soit des outils promus directement par des financeurs solidaires. Et puis, il y a eu un deuxième temps. À partir de 2007, les banques commerciales sont arrivées à Finansol. » (Sophie Des Mazery) La directrice de Finansol explique dans son témoignage comment ces différents acteurs ont constitué l'association. Dans un premier temps, elle fait référence aux acteurs fondateurs ainsi qu‘aux banques coopératives et mutualistes qui participent à la création de l'organisation, lesquelles ont, selon l'interviewée, un profil « militant ». Dans un deuxième temps, il s'agit des acteurs qui intègrent le secteur au cours du processus d'institutionnalisation.

Chapitre II : Institutionnalisation de la finance solidaire