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2.1. Point de départ

Le projet de thèse a commencé à être esquissé au Brésil en 2006, suite à la conclusion du master recherche en sciences de gestion à l'Université fédérale de Bahia (UFBA). Le mémoire intitulé « Estudo exploratório em bancos comunitários : conceito, características e sustentabilidade » (Étude exploratoire en banques communautaires : concepts, caractéristiques et soutenabilité) présenté en 2007 a été le premier travail académique portant sur les Banques Communautaires de Développement (BCD) comme forme originale d'organisation de finance solidaire (Passos, 2007).

Nous avons étudié deux cas emblématiques (Banque Palmas et Banque Bem) qui ont été les prototypes de nombreuses expériences de BCD créées au Brésil à partir des années 2000. La question centrale de cette étude exploratoire dans le cadre du master, « Que sont les banques communautaires et comment fonctionnent-elles ? », est née des interrogations qui agitaient les débats au sein même du Réseau brésilien des BCD, auquel j'ai participé en tant qu'observatrice. À cette époque, le défi principal n'était pas de constater les singularités de ces expériences, mais au contraire, leurs points communs afin de caractériser une typologie de finance solidaire en émergence au Brésil (Passos, 2007 ; Passos, 2008).

Bien que les expériences soient principalement conditionnées par leurs territoires, nous avons pu distinguer des caractéristiques qui leur sont communes afin de parvenir à une définition générale. Conformément à la définition retenue par le réseau national brésilien, les BCD se définissent comme des services financiers solidaires, organisés en réseaux, de nature associative et communautaire (Melo Neto et Magalhães, 2007). Elles ont pour objectif la réorganisation de l'économie locale en stimulant la création de travail et de revenus, selon les principes de l'économie solidaire. En outre, les BCD sont des expériences qui s'insèrent dans la dynamique de l'économie solidaire avec pour objectif de démocratiser le système financier (Passos, 2007 ; Passos, 2008).

Ce travail de recherche a été mené dans le cadre de l'Incubateur technologique d'économie solidaire et gestion du développement territorial (ITES) de l'UFBA, sous la direction de Genauto Carvalho de França Filho. L'ITES est l'un des plus importants laboratoires de recherche-action sur l'économie solidaire au Brésil. Elle a été responsable entre 2014 et 2016 de l'accompagnement des BCD implantées dans la région nord-est du pays dans le cadre d'un partenariat avec le Secrétariat National de l'Économie Solidaire (SENAES).

Les BCD représentent aujourd'hui un cas d'école (Passos, 2007 ; Passos, 2008 ; Leal, 2013 ; Leal et Almeida, 2016 ; Hudon et Meyer, 2016), notamment du fait de l'usage des monnaies sociales au sein de ces initiatives (Rigo, 2014). Plusieurs études se sont intéressées à la Banque Palmas comme un cas emblématique d'économie solidaire. Mais l'analyse de BCD à partir du débat sur la finance solidaire, à notre avis, permet de mettre en lumière des spécificités de ces initiatives par rapport au champ de l'économie solidaire et de comprendre les défis inhérents à leur secteur d'activité, la finance.

2.2. Questions de recherche

La finance solidaire est devenue un aspect important de la politique publique d'économie solidaire au Brésil mise en place de 2003 à 2006 (MTE, 2006). La pérennisation des initiatives économiques solidaires étant l'un des défis majeurs du développement de l'économie solidaire au Brésil, les acteurs de l'économie solidaire commencent à revendiquer la finance solidaire en tant que stratégie de satisfaction des besoins de financement de ces initiatives (Heck, 2006 ; FBES, 2006).

En ce qui concerne le rapport entre l'économie solidaire et les finances solidaires, il y a un postulat selon lequel les finances solidaires seraient une stratégie pour assurer le financement des initiatives du champ de l'économie solidaire. Cela présuppose que :

- Les initiatives de finances solidaires s'inscrivent dans un débat sur le problème de « soutenabilité » (ou pérennisation) des initiatives de l'économie solidaire.

- Les finances solidaires ne s'adressent qu'à des structures identifiées comme appartenant au champ de l'économie solidaire.

- Les finances solidaires sont capables de répondre aux demandes de financement des entreprises solidaires.

Nos travaux précédents nous ont permis de comprendre qu’en réalité, ces présupposés sont très difficilement atteignables en pratique. L'observation du cas emblématique de la Banque Palmas, première initiative de banque communautaire au Brésil, nous a permis de constater que ces produits et services financiers ne servent qu'au développement des initiatives d'économie solidaire, mais notamment au développement de l'économie locale. De plus, à côté de l'activité financière, l'institution qui gère le projet « Banque Palmas » en articulation avec d'autres organisations locales mène des actions de natures diverses (sociale, culturelle etc.). Deux aspects nous semblent saillants dans ce cas. Le premier est justement cette articulation entre la dimension économique et la dimension sociale. Le deuxième est l'engagement citoyen dans un processus de réappropriation de l'espace public pour penser le développement du territoire. Cela est révélateur de la dimension politique de ces initiatives, dont l'importance est souvent minorée (Vallat, 2003).

De cette réflexion sont nées les questions qui guideront la recherche : Dans quelle problématique les finances solidaires s'inscrivent-elles ? Quels dialogues entre économie solidaire et finances solidaires ? La finance solidaire est-elle un outil de développement de l'économie solidaire ?

2.3. Phase exploratoire

Entre novembre 2013 et novembre 2014 a eu lieu la recherche exploratoire en France et au Brésil. L'objectif a été de préciser les questions, les objectifs et la problématique de recherche ainsi que sélectionner les cas d'études. En France, les activités réalisées dans cette période nous ont permis d’identifier de nombreuses organisations et acteurs qui coordonnent des initiatives d’économie solidaire et de finances solidaires dans différentes régions. Nous avons fait le choix de débuter notre recherche par des rencontres directes avec les acteurs. La stratégie principale a été la participation en tant qu'observatrice à des événements organisés autour du mois de l'économie sociale et solidaire et de la semaine de la finance solidaire en France, qui ont lieu chaque année au mois de novembre. Nous nous sommes servis de l'observation et des entretiens non-structurés. Lors de cette première année de recherche, nous avons rencontré des acteurs dans quatre territoires : Bretagne, Île-de-France, Rhône-Alpes et Midi-Pyrénées. Cela nous a permis d’identifier quelques spécificités des initiatives liées à leur territoire. Ainsi, pour saisir la problématique et la dimension politique sous-jacente aux

initiatives, notre analyse devrait rendre compte de leurs contextes historiques et socio- politiques.

Les rencontres avec les acteurs de l’économie solidaire se sont révélées fructueuses et ont confirmé la pertinence de notre thème d’étude. D'un point de vue analytique, ces premiers mois de la recherche ont soulevé des questions qui ont amené à construire la problématique. La recherche exploratoire a montré que la finance solidaire en France n'est pas réservée aux acteurs issus de l'économie solidaire, comme c’est le cas dans le contexte brésilien. Ainsi, la recherche des problématiques liées à l'émergence des finances solidaires en France est devenue nécessaire pour comprendre la place de ces initiatives dans le champ de l'économie solidaire. De plus, nous avons été confrontés à la nécessité d’établir une distinction entre les conceptions de « finance solidaire », « finance éthique », « microfinance » et « microcrédit », qui passent couramment pour des synonymes (Guérin et Vallat, 1999) malgré leurs frontières conceptuelles (Ferraton, 2006 ; Artis, 2013).

En Midi-Pyrénées, une organisation a plus particulièrement retenu notre attention. Parmi toutes les initiatives des finances solidaires que nous avons rencontrées, la société Initiatives pour une Économie Solidaire (IES) est la seule à cibler les entreprises d'économie solidaire dans son activité de financement. En outre, cette organisation semble avoir un rapport étroit avec le réseau territorial de l'économie solidaire. Pour cette raison, nous avons trouvé autour de cette initiative des pistes pour approfondir nos questions de recherche.

Un séjour de trois mois au Brésil (de septembre à novembre 2014)5 nous a permis de réfléchir

à la mise en place d'une étude comparative. Nous avons pu réaliser diverses activités, parmi lesquelles le suivi des activités des réseaux régionaux et nationaux de banques communautaires qui ont eu lieu dans trois villes (à Salvador, à Fortaleza et à Vitória) et la participation à des manifestations scientifiques et sociales comme le 13ème Séminaire international du Réseau ibéro-americain de chercheurs sur la globalisation et le territoire (à Salvador) ; la 1ère Rencontre des initiatives des Finances solidaires de Bahia (à Feira de Santana) ; la Rencontre franco-brésilienne sur l'économie sociale et solidaire ainsi que la 3ème Conférence nationale de l'Économie solidaire (à Brasília).

5 Nous avons bénéficié d’une bourse de mobilité internationale du Programme Paris Nouveaux Mondes,

Nous avons cherché à comprendre l'état du débat autour des finances solidaires au Brésil, ainsi qu’à établir un état des lieux de la production scientifique sur ce thème. Nous avons constaté que la finance solidaire est très peu traitée dans la littérature en tant qu'objet de recherche.

Des données qualitatives ont été récoltées auprès de deux banques communautaires qui ont été précédemment étudiées dans le cadre du master recherche : « Banco Palmas » (à Fortaleza) et « Banco Bem » (à Vitória). Les données récoltées à l'aide de la technique d'enquête (par entretien semi-directifs) et d'observation ont servir à interroger la pertinence des problèmes de recherche.

À la fin de la recherche exploratoire, nous avons choisi les terrains qui semblaient plus fertiles pour faire ressortir des éléments qui alimenteront notre réflexion : au Brésil, le « Banco Bem », dans la ville de Vitória do Espírito Santo et, en France, IES, située en banlieue sud de Toulouse. Le choix de ces cas d'étude ne tient pas compte des caractéristiques socio- démographiques ou des caractéristiques communes. Leur particularité est d'affirmer dans leur projet une forte articulation avec des initiatives d'économie solidaire dans le but de développer le territoire, ce que nous souhaitons interroger. Quels sont les acteurs qui se sont rassemblés autour de ce projet ? Quel était le problème initial autour duquel les citoyens se sont organisés ? Comment les acteurs ont-ils déterminé le territoire sur lequel ils devraient intervenir ? De quel territoire parle-t-on ? Quelle est la finalité de l’intervention de l'initiative de finances solidaires sur le territoire ? Comment les acteurs ont-ils envisagé d’atteindre leurs objectifs ? Le projet initial construit par ces acteurs s’inscrit-il dans une économie solidaire ? Quelle est la représentation économique des acteurs impliqués dans cette initiative ? Le projet est-il révélateur d’une représentation substantive de l’économie ? Ou, au contraire la représentation de l’économie par les acteurs impliqués dans cette initiative est-elle celle d’une économie formelle ? Finalement, ces initiatives parviennent-elles à générer de nouvelles dynamiques socioéconomiques sur le territoire ? - Ces sont des questions que nous voulons approfondir dans chaque étude de cas.