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1. Objet d'étude et problématique de recherche

1.2. Finances solidaires comme objet d'étude

1.2.3. Dimension politique des finances solidaires

P. Glémain ne s'intéresse pas particulièrement à la dimension politique de la finance solidaire. Celle-ci reposerait sur son rôle dans le développement local (Glémain, 2010a ; Glémain et al., 2012). En outre, le terme « politique » tel qu'employé par P. Glémain fait souvent référence à l'action des acteurs publics.

En examinant les représentations qui fondent le projet d'initiatives de finance solidaire, Artis (2011) vérifie que la finance solidaire recherche l'équilibre entre la dimension politique et économique, entre le local et le global et entre la finance et l'éthique. Les dimensions politique et économique de la finance solidaire opposent ela portée globale d'un projet alternatif de société à celle plus locale des projets de développement économique territorial. Les différentes représentations de la finance solidaire s'accordent sur la volonté de favoriser l'initiative économique (Artis, 2011).

Si la finance solidaire rassemble des initiatives qui soutiennent la création d'activité économique, son objectif final, plus précisément son projet politique, peut être appréhendé de différentes manières. Selon D. Vallat, les finances solidaires peuvent être pensées, d'un côté, dans une perspective d’économie solidaire comme une appropriation citoyenne des services bancaires et financiers, et de l'autre côté, comme un instrument de lutte contre l’exclusion et

de cohésion sociale. La deuxième conception peut être partagée par les acteurs de l’économie solidaire mais également par les promoteurs du libéralisme, comme le montre le soutien des grandes organisations internationales à la microfinance au Sud (Ferraton et Vallat, 2011a). Le rôle politique des finances solidaires doit être questionné, affirme Vallat (2003), « sous peine de finalement se révéler comme de simples palliatifs au chômage. » (Vallat, 2003, p. 76). L'auteur fournit deux pistes pour penser la dimension politique des finances solidaires. La première idée est que la finance solidaire contribue à la démocratisation. L’absence durable de travail, souligne Vallat (2003), remet en question le lien entre l’individu et le groupe, ce qui affaiblit la société, comprise comme la somme de tous les liens. Il argumente l’actualité de l’analyse fonctionnaliste d’Émile Durkheim sur la solidarité organique, pour qui la cohésion sociale dans la société moderne est fondée sur la différenciation et l’interdépendance entre les individus et la société. Dans « De la division du travail social » (1893), Durkheim démontre que le lien social est basé sur la participation à la division du travail. Ainsi, le chômage implique d’être privé d’un espace fondamental d’intégration (Vallat, 2013).

Le chômage, menant à l’exclusion, peut menacer la démocratie (Vallat, 2003). L’auteur suggère que l’insertion par l’activité économique à travers l’entreprenariat est un premier pas vers l’intégration sociale qui elle-même est la condition sine qua non d’une participation à l’espace public. Ainsi, favorisant l’intégration de l’individu dans la société, les finances solidaires contribuent à la démocratisation : « Si pour eux, la lutte contre le chômage est un objectif central, il se double fréquemment d’une ambition sous-jacente qui consiste à remettre l’homme au centre de l’économie. » (Vallat, 2003, p. 78), ce qui est, pour Vallat (2003), un projet « aux résonances polanyiennes ».

Vallat (2003) souligne que, dans ce sens, le projet politique est de placer l’homme au centre de l’économie ; d’orienter l’action économique selon les principes de solidarité et réciprocité, de manière à refonder les relations sociales et à créer du lien social. Cela constitue une condition à la participation à l’espace public.

La deuxième piste fournie par D. Vallat repose sur l'idée selon laquelle les finances solidaires étendent le champ des libertés positives au sens d’Amartya Sen. À partir d’une lecture de la pauvreté et de l’exclusion comme des phénomènes qui nient les libertés des individus, Vallat (2003) affirme que

« Les organismes de finance solidaire mettent en œuvre une liberté instrumentale (à travers le développement de libertés positives) qui a pour objet, in fine, de renforcer les libertés substantielles (liberté de vivre vieux, de se distraire, d’être en bonne santé, etc.) des personnes marginalisées. La création d’entreprise est ici le vecteur de ce développement des libertés substantielles. » (Vallat, 2003, p. 79)

Certes, le financement solidaire a une dimension politique qui est rarement mise en avant surtout quand on parle de la finance solidaire (au singulier). Mais, compte tenu de l'hétérogénéité des initiatives, est-il possible de les rassembler autour d'un projet politique commun ?

Comme nous l'avons affirmé auparavant, la finance solidaire résulte de la rencontre de différentes problématiques. « Revendiquant une relation de financement spécifique, alternative aux intermédiations financières lucratives, la finance solidaire est au croisement de plusieurs problématiques : comportement économique, financement de l'activité, rapport entre créancier et débiteur, gestion des risques. » (Artis, 2011, p. 11). A. Artis rappelle qu'elle « répond d'une part à une demande de financement d'agents rationnés par l'offre de financement bancaire, et d'autre part, à la volonté de certains épargnants de transformer la relation de prêt/emprunt selon des principes de solidarité financière qui sont différents des principes du don, de la philanthropie et de la charité » (Artis, 2011, p. 11). Elle souligne encore que, à côté des besoins financiers non-satisfaits et de l'engagement citoyen à travers l'épargne solidaire, la finance solidaire se développe en raison d'une action publique orientée vers le développement local.

« Dans un contexte de financiarisation de l'économie, une partie de la société civile affirme sa volonté de maitriser l'utilisation des outils économiques en faveur d'un modèle alternatif au modèle capitaliste. Des initiatives en faveur de l'affectation de l'épargne dans des entreprises locales et dans des secteurs d'activités environnementaux émergent afin de favoriser la rencontre entre les aspirations d'épargnants soucieux de participer à l'économie locale et des entrepreneurs qui recherchent des financements dans un contexte économique où les financements bancaires en faveur des PME et des TPE se raréfient. Parallèlement, des acteurs publics, à différentes échelles, prennent conscience de l'absence de financement adapté (proximité, capital risque) pour une frange de créateurs d'activité (...). La rencontre entre ces besoins et ces aspirations impulse la création des premières expériences de finance solidaire. » (Artis, 2011, p. 10)

De cette manière, déterminer le projet politique de la finance solidaire ne nous semble pas pertinent. Cependant, nous pourrons identifier différents projets politiques portés par les initiatives de finances solidaires. Ces projets se concrétisent par le soutien à l'initiative économique, et, selon le projet de l'organisation, cela se traduit concrètement par le soutien à la création d’entreprise par des chômeurs, à l'initiative locale ou à des initiatives relevant de l'économie solidaire. Les différents projets politiques portés par des organismes de finances solidaires ont en commun la quête d'alternatives au système financier traditionnel. « Ainsi, si la finance solidaire est une forme de financement encore marginale, elle questionne les pratiques financières les plus répandues. » (Artis, 2011, p. 11)

Pour Vallat (2003) comme pour Artis (2013c), la dimension politique des organismes de finance solidaire repose sur une position contestataire face au libéralisme.

« Dès lors, la finance solidaire n’est pas une finance éphémère, qui apparaît uniquement lors des crises du capitalisme. Dans certains cas, elle semble avoir un rôle palliatif dans l’accès au crédit professionnel et à l’entrepreneuriat, mais ces configurations ne peuvent faire oublier ses dimensions contestataires, voire transformatrices. » (Artis, 2013c, p. 66)

Vallat (2003) souligne que, au-delà de la contestation, le financement solidaire permet une intervention concrète sur la réalité en termes de transformation sociale.

« Cela reviendrait-il à considérer que la dimension politique des organismes de finance solidaire se réduirait simplement à une contestation du libéralisme ? Par leurs actions, ces organismes ont contribué à transformer la vie de nombreuses personnes : ils dépassent ainsi le simple discours contestataire. En ce sens ces organismes se situent dans la lignée d’une tradition ancienne faisant du crédit un instrument de changement social. » (Vallat, 2003, p. 79)