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Chapitre I : Mise en perspective historique des pratiques de financement solidaire

2. Brève chronologie des finances solidaires contemporaines

2.2. Cigales et Garrigue : finances solidaires relevant d'une économie alternative et

Le Mouvement Cigales est identifié comme une forme originale de finance solidaire en France. Éric Larpin souligne l'importance du mouvement Cigales, qui se présente comme un mouvement d'éducation populaire. Ici, l'éducation a une double perspective : épargnants/investisseurs et entrepreneurs apprennent ensemble. Outre un modèle ou une méthodologie de finances solidaires, les Cigales se présentent comme un mouvement alternatif12. Cela renvoie à la dimension politique de son projet et à son origine au sein du

réseau pour une économie alternative, l'Aldea (Agence de liaison pour le développement d'une économie alternative). Les Cigales sont créées pour répondre à des interpellations à la mise en œuvre du projet d'économie alternative porté par les acteurs de l'Aldea et puis du Reas. Cela est une piste importante pour penser les croisements entre les finances solidaires contemporaines et le mouvement de l'économie solidaire.

L'Aldea, le premier réseau de l'économie solidaire en France, est créé en 1981. Ros (2014) explique qu’en réalité, le terme « économie solidaire » n’est pas utilisé à ce moment-là. Ce réseau revendique une économie « alternative », notion apparue au milieu des années 1970. « La référence à l'alternative est alors à entendre au sens anglo-saxon du terme de « solution de remplacement », et non au sens français de « choix entre deux partis pris ». » (Ros, 2014, p. 179-180)

Il s’agissait, selon Carliez (2014, p. 102) d’« une agence très particulière, née dans la mouvance alternative des années 1980, qui visait à faire émerger des pratiques qui 12 Fédération national des Cigales. http://cigales.asso.fr/

transforment l'économie, en modifiant notamment la gestion de l'épargne ». Pour réaliser une partie de cette ambition, l'Aldea a créé en 1983 l'outil Cigale et, deux ans plus tard, la coopérative Garrigue (Carliez, 2014). Autonomie et Solidarité, affirme Ros (2014), est également héritier du réseau Aldea.

A partir du témoignage de Patrick Sauvage et Philippe Riché, des membres fondateurs de l’Aldea, Ros (2014) explique que l’action de l’agence s’est située sur trois plans : Développer

un réseau d'intercommunication, pour de nouveaux comportements économiques ; Créer des outils pour favoriser de nouveaux comportements économiques ; Expérimenter de nouveaux modes de vie et d'emploi.

Ainsi, la création d’outils pour soutenir des projets économiques solidaires est devenue l'un des axes d'action de l’Aldea. Il est à souligner que, selon les membres-fondateurs de l'Aldea, les initiatives de finances solidaires Cigales et Garrigue ont été créées en vue de « favoriser des nouveaux comportements économiques » (Ros, 2014). Autonomie et Solidarité, affirme Ros (2014), est également héritier du réseau Aldea. Ces deux méthodologies de finances solidaires serviront de référence lors de la construction du projet IES.

L'Aldea publie en 1984 sa charte, intitulée « Manifeste pour une autre économie ». Dans ce document, le premier questionnement d'un projet politique que les membres de l'Aldea veulent mettre en pratique est le rapport à l'argent. Cet extrait de la charte est révélateur de cette idée :

« Certains vivent déjà cette utopie, qui devient ainsi réalité. Dans de tels lieux, accessibles à tous: - l'argent n'est pas le maître mais l'instrument ; - la valeur individuelle n'est pas confondue avec la richesse matérielle, les diplômes ou la position sociale, mais est reconnue dans la faculté d'être et de partager ; - le travail n'est pas l'obligation de gagner sa subsistance, mais le moyen de se développer en contribuant à la vie du groupe, en harmonie avec les forces de la nature ; - l'efficacité n'est pas le fruit amer de la compétition et de l'exclusion, mais le résultat tant de l'effacement des intérêts particuliers que de l'imagination dans la simplicité des moyens ; - l'activité économique ne concourt pas à la prolifération des besoins, mais répond à la nécessité et à l'attente des Hommes »13..

13 ALDEA, 1984, « Manifeste pour une autre économie », Paris. Disponible sur : « http://www.timothee-

Le mouvement de l'économie alternative en France n'est pas isolé. En articulation avec le mouvement altermondialiste Toes (« The other economic summit »), l'Aldea organise en 1989 un contre-sommet à l'occasion du sommet du G7 à Paris. Ros (2014) explique qu’au cours des ateliers sur la démocratie économique organisés par l'Aldea à l'occasion de cet évènement se sont constitués des espaces de rencontre pour diverses structures, ce qui donne lieu à un débat autour d'un projet politique commun entre le réseau de l'économie alternative et des acteurs de l'économie solidaire. Ces acteurs se sont rassemblés 10 ans plus tard lors de la création du Reas (Réseau de l'économie alternative et solidaire).

« L'organisation du premier sommet anti-G8 en France (The Other Economic Sommet, Toes 89) a été l'occasion de rencontrer plus en profondeur d'autres réseaux et plus particulièrement Solidarité Emploi ; ce qui mènera les militantes de l'Aldea et ceux de Solidarité Emploi vers la création du Reas. » (Ros, 2014, p. 181)

Ros (2014) présente un bref historique de l'Aldea, de Solidarité Emploi et du Reas de façon à démontrer le rapport entre ces réseaux et leur héritage. L'auteure explique que la rencontre des membres fondateurs de l'Aldea et de Solidarité Emploi a rapproché l'économie alternative et la dimension « solidaire » vers la création du Reas. Ainsi, la problématique du chômage est rentrée dans l'ordre du jour du mouvement de l’économie alternative.

« Suite à la participation au Toes 89 et à la rencontre avec l'Aldea, les militantes de Solidarité Emploi souhaitent élargir leurs marges d'action et aller vers la promotion de l'économie alternative et solidaire en général. Ils seront d'ailleurs parmi les principaux animateurs du Reas. Ainsi, Solidarité Emploi a apporté la dimension « solidaire » de l'économie alternative et solidaire en s'intéressant aux chômeurs. » (Ros, 2014, p. 183)

Le Reas est créé en 1992 sous forme de société anonyme à statut coopératif. Ce réseau cherche, d'un côté, à animer un débat national sur la démocratie économique et, de l'autre, à impulser des initiatives locales, surtout dans la dimension politique-institutionnelle. Selon Ros (2014), les animateurs du réseau ont joué un rôle important dans la création d'un secrétariat d'État à l'Économie solidaire en 2000.

Ces événements qui ont eu lieu entre la fin des années 1970 et la fin des années 1990, à l'échelle nationale ou supranationale, comme le sommet anti-G8, révèlent le lien entre l'émergence du mouvement de l'économie solidaire et les finances solidaires en France. Lorsque l’on met en perspective l'émergence des initiatives de finances solidaires, nous

pouvons noter que des projets locaux ont fait écho à un débat qui s'est répandu au niveau national et qui s'est lui-même inscrit dans des réflexions qui dépassaient les enjeux nationaux, comme le mouvement altermondialiste. L'Aldea, l'un des membres-fondateurs du Reas, est à l'origine d'initiatives historiques des finances solidaires comme les Cigales et la Garrigue. Or, cela montre que ces initiatives locales reflètent aussi un débat qui part du « global » vers le « local ».

Une présentation synthétique de quelques éléments qui caractérisent le contexte d'émergence des finances solidaires en France nous permet de repérer les finances solidaires qui sont nées dans cette perspective, celle d'une économie alternative. Plus précisément, cela nous permet de les situer dans un mouvement de contestation de la financiarisation économique. Ces initiatives vont se rassembler à l'échelle nationale en 1995 autour de la création de l'Association Finansol, dans un mouvement qui part du « local » vers le « national ».

En créant des outils de finances solidaires, l'Aldea visait à « favoriser des nouveaux comportements économiques ». Nous pouvons distinguer deux niveaux de ces « nouveaux comportements économiques ». Au premier niveau, les finances solidaires interrogent l'épargnant/investisseur. Dans ce sens, les finances solidaires permettraient aux épargnants de « rendre leur argent intelligent et solidaire » (Vigier, 2003). Au deuxième niveau, les finances solidaires favoriseraient de nouveaux comportements économiques par le soutien financier à des projets économiques solidaires. Nous pouvons identifier ici deux enjeux importants des finances solidaires en France : l'envie d'épargnants de donner un sens à leur épargne ou/et le besoin de financement d'entreprises solidaires.

Le réseau Solidarité Emploi, comme l'a démontré Ros (2014), est un acteur important dans la constitution du mouvement d'économie solidaire en France. Il a essaimé dans tout le pays et de nombreuses associations du réseau existent toujours.

« L'appel à la constitution de cagnottes et sa médiatisation ont permis à Solidarité Emploi d'essaimer dans toute la France. Il existe, aujourd'hui encore, de nombreuses associations Solidarité Emploi en région, à Toulouse par exemple. En outre, l'attention portée à la question du chômage et la réflexion sur la prise en compte des chômeurs comme source de solutions ont contribué aux débats émergeant autour de la création de Maisons de chômeurs, de Partage (Maurice Pagat), ou de celle de syndicats des chômeurs comme Solidarité nouvelle face au chômage (SNC) » (Ros, 2014, p. 183-184).

Le chômage et l'exclusion sociale sont la problématique à laquelle l'association cherche à répondre, portant une critique sur l'assistanat :

« Solidarité Emploi a été parmi les pionniers dans la critique des politiques d'emploi basées sur l'assistanat et dans la promotion d'actions dont les bénéficiaires sont également les acteurs, qui occupent aujourd'hui une place importante dans le travail social. » (Ros, 2014, p. 184)

Ces initiatives ont été créées comme des outils financiers au service d'un projet porté par un réseau d'économie solidaire. L'activité financière est, ainsi, subordonnée aux dimensions sociopolitique et socioéconomique. Dans son témoignage, Éric Larpin souligne que cet aspect militant est toujours présent dans l'action des Cigales :

« Les gens des Cigales avec ce titre éducation populaire, on a envie de s’approprier des mécanismes économiques, on a envie d’être et on va au charbon, c’est-à-dire, on aide, on accompagne vraiment les porteurs de projet. S’ils ont besoin d’un coup de main financier, on va essayer de les aider sur le plan comptable, on va aller chez eux manger si c’est un restaurant, on va aller donner des tracts à la sortie du métro pour dire que le restaurant est là, on les met dans des réseaux, donc un côté aussi militant très fort, affirmé, qui reste, c’est pour ça que je fais le distingo, toujours le cas dans les structures vraiment de cette finance solidaire des Cigales, de la Nef (…) qu’on retrouve moins chez France Active ou à l’Adie, où il y a des bénévoles (...). Au début, il y a vraiment l’idée de la recherche d’une autre économie qui n'est pas oubliée chez tous ces acteurs. » (Éric Larpin)

2.3. SIDI et FCP « Faim et développement » : dialogues entre les